J'espère que ce format permettra des échanges riches, à quelques jours d'un Conseil européen qui sera particulièrement observé.
Ce Conseil se tiendra les 21 et 22 mars, une semaine avant la date prévue pour le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, et quelques jours après un nouveau vote du Parlement britannique. Il ne fait aucun doute que la question du Brexit occupera une grande partie des esprits, et probablement des échanges.
Notre objectif, je l'ai déjà dit et je le répète, est la ratification de l'accord de retrait, afin d'assurer une sortie ordonnée du Royaume-Uni, offrant autant de clarté et de sécurité juridique que possible aux citoyens, aux entreprises et à l'ensemble des parties prenantes. Depuis le vote négatif du 29 janvier sur la ratification de l'accord de retrait aux Communes, les échanges se sont poursuivis entre les hauts responsables européens et les autorités britanniques pour trouver des réponses acceptables aux préoccupations exprimées par une majorité de députés britanniques. Plusieurs réunions se sont tenues entre Michel Barnier, notre négociateur, le ministre en charge du Brexit Stephen Barclay et l'avocat général britannique Geoffrey Cox.
Le gouvernement britannique a présenté une proposition autorisant le Royaume-Uni à sortir de manière unilatérale du backstop. Cette proposition avait déjà été faite en 2018, et a déjà été rejetée. Elle n'était donc pas nouvelle. L'Union européenne a indiqué à plusieurs reprises que l'accord de retrait ne sera pas rouvert et que seules des clarifications pourraient y être apportées. C'est ce que le président Juncker et Michel Barnier ont fait le 11 mars au soir en négociant avec Mme May un instrument sur l'accord de retrait et en faisant une déclaration conjointe complétant la déclaration politique.
Je précise bien devant vous que l'accord de retrait n'a été modifié en rien, et que l'Union européenne est restée dans le cadre défini par le Conseil européen dans ses orientations du 23 mars 2018. L'ensemble, composé de l'accord de retrait, de ces deux textes et d'une déclaration unilatérale britannique, a été soumis par la Première ministre à la Chambre des Communes le 12 mars. Celle-ci a perdu largement ce vote : 242 voix pour, 391 voix contre. Je ne peux que le regretter. Je prends note de la volonté exprimée hier par la Chambre des Communes d'éviter un retrait sans accord.
Notre position est claire : l'Union européenne a fourni des assurances au Royaume-Uni en décembre, en janvier, en mars ; nous sommes arrivés au bout de la négociation sur les conditions du retrait, et l'accord de retrait n'est pas renégociable, y compris le backstop, qui vise à garantir l'absence de frontière physique en Irlande tout en préservant l'intégrité du marché unique. La solution ne peut être trouvée qu'à Londres : à eux de sortir de l'impasse où ils se sont placés ! C'est aux Britanniques de choisir, mais ce choix porte plus que jamais entre l'accord de retrait ou la sortie sans accord. On ne peut pas nous dire qu'on ne veut pas de l'accord et qu'on ne veut pas non plus d'une absence d'accord.
L'hypothèse d'une extension courte et limitée de la période de négociations de deux ans prévue par l'article 50 du traité sur l'Union européenne, que Mme May propose aujourd'hui aux Communes, n'a de sens que si elle s'inscrit dans une stratégie alternative crédible. Qui peut croire que quelques semaines de plus, en elles-mêmes, permettraient de trouver une solution, alors que nous négocions depuis deux ans ? Enfin, la durée de l'extension qui serait demandée est cruciale : quel sens cela aurait-il pour le Royaume-Uni d'organiser des élections européennes juste avant son départ ?
Les chances d'une sortie sans accord sont donc désormais très élevées. Dans tous les cas, nous serons prêts. L'État a fait tout ce qu'il avait à faire, sur la base de la loi d'habilitation que vous avez bien voulu voter à cet effet. Je me suis rendue jeudi dernier à Londres avec le sénateur Olivier Cadic pour rencontrer à nouveau la communauté française. Nous demandons que ses membres bénéficient du maintien de leurs conditions actuelles de séjour. Je suis aussi allée à Cherbourg avec vous, monsieur le président Bizet, il y a une quinzaine de jours, pour écouter les marins-pêcheurs. Nous travaillons de façon déterminée avec la Commission européenne, comme sur le plan national, pour leur venir en aide en cas de sortie sans accord.
Je tiens enfin à souligner devant vous que, s'il est normal que le budget de la politique agricole commune (PAC) soit, comme l'ensemble du budget, affecté par la perte de la contribution du Royaume-Uni, nous veillerons à maintenir les financements de la PAC. Ceux-ci ne peuvent servir de variable d'ajustement au Brexit. De ce point de vue, la position présentée par la Commission n'est pas acceptable : nous l'avons dit et nous le répétons, nous ne l'accepterons pas.
Ces discussions sur le retrait du Royaume-Uni ne doivent pas nous faire perdre de vue notre objectif central de relance du projet européen. L'ordre du jour du Conseil européen nous permettra de présenter certaines des idées exposées par le Président de la République dans sa tribune pour une renaissance européenne, qui s'articule autour de trois grands principes : défendre notre liberté, protéger notre continent et retrouver l'esprit de progrès.
Conformément à ses conclusions de décembre dernier, le prochain Conseil européen tiendra en effet un débat approfondi sur l'avenir du marché unique, dans la perspective du prochain programme stratégique. Les chefs d'État et de gouvernement discuteront des sujets liés au marché intérieur comme l'innovation, la protection des données ou encore les transformations que l'intelligence artificielle va entraîner.
Au-delà, nous souhaitons que ce Conseil européen engage le débat sur la nécessité d'une réelle politique industrielle européenne. Pour rester maîtresse de son destin, et capable de mener de front les combats contre le changement climatique et pour l'innovation, l'Europe a besoin d'une industrie forte. Face à des concurrents souvent protégés et subventionnés par les États, nous avons besoin d'acteurs européens de premier plan. Nous voulons que le Conseil européen demande à la Commission de présenter d'ici à mars 2020 une vision stratégique de long terme du futur industriel de l'Union, assortie de mesures concrètes.
La France et l'Allemagne ont présenté des propositions. Il s'agit de permettre à l'Union de financer massivement les nouvelles technologies, afin de rendre nos entreprises plus concurrentielles, y compris en révisant les lignes directrices en matière de concentration d'entreprises en Europe pour tenir compte de la concurrence au niveau mondial. Nous proposons aussi que le Conseil puisse avoir un droit de recours après une décision de la Commission. Il s'agit aussi de mieux défendre nos technologies, nos entreprises et nos marchés, en tirant pleinement profit du nouveau cadre de filtrage des investissements, en exigeant une plus grande réciprocité dans les marchés publics avec les pays tiers et en défendant le multilatéralisme tout en le modernisant, chaque fois que c'est nécessaire - je pense notamment à l'OMC.
En outre, les chefs d'État et de gouvernement discuteront des orientations politiques à prendre pour que l'Union européenne soit en mesure de préparer d'ici à 2020 une stratégie de long terme concernant la lutte contre le changement climatique, dans la continuité de l'accord de Paris. Notre objectif commun doit être que l'Union fasse une annonce ambitieuse lors du sommet sur le climat de décembre 2019, si possible en annonçant la neutralité carbone en 2050, comme l'a proposé le Président de la République.
Renouer avec l'esprit de progrès qui caractérise le projet européen, c'est en effet prendre la tête du combat écologique. Cela suppose de prendre des décisions au plus tard en juin. C'est aussi le sens de la proposition, faite par le Président de la République, de créer une banque européenne du climat, qui financera la transition énergétique. C'est aussi pour cela que nous avons une position ambitieuse sur le futur cadre financier pluriannuel, dont l'objectif de dépenses en faveur du climat doit être revu à la hausse par rapport à la proposition de la Commission.
Nous avons obtenu que le Conseil européen de mars soit aussi l'occasion de procéder à un point d'étape sur le projet d'instrument budgétaire pour la zone Euro, sur lequel l'Eurogroupe travaille en vue d'aboutir à des conclusions en juin. Nous progressons sur le financement des investissements nécessaires pour que les économies de la zone Euro convergent. Nous allons revenir en avril sur la gouvernance de ce budget, qui doit relever des 19 membres de la zone Euro. Le Conseil européen de mars pourra donner une impulsion politique utile : il reste beaucoup de travail, y compris sur le volume de ce budget et sur ses modalités de financement : budget communautaire, contribution des États-membres, recettes propres...
Le Conseil européen de mars examinera les progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation et rappellera la nécessité de protéger l'intégrité démocratique des élections européennes et nationales dans l'ensemble de l'Union. Ce sont des enjeux essentiels pour la liberté démocratique. Le Président de la République a ainsi proposé que des experts européens soient déployés immédiatement en cas de cyberattaque ou de campagne de désinformation.
Nous sommes également déterminés à oeuvrer pour renforcer la convergence économique et sociale au sein de l'Union européenne, qui est au coeur du projet européen, pour nous doter de ce que le Président de la République appelle un bouclier social. C'est le sens de l'action que nous avons menée, avec la création d'une Autorité européenne du travail, et avec nos efforts pour lier solidarité financière et convergence sociale au sein du prochain budget européen. Les chefs d'État et de gouvernement reviendront sur l'ensemble de ces sujets lors du sommet informel de Sibiu, le 9 mai, puis à l'occasion de l'adoption en juin prochain du programme stratégique pour la période 2019-2024, qui fixera les orientations et les priorités politiques pour le prochain cycle institutionnel.
Nous voulons nous appuyer, pour définir les priorités de l'Union, sur les principales préoccupations et attentes des citoyens telles qu'elles ont été exprimées en France et au-delà, dans les consultations citoyennes sur l'Europe qui se sont tenues d'avril à octobre 2018, et sur une conférence sur l'Europe qui se tiendra avant la fin de l'année. Nous pourrons ainsi définir les changements nécessaires pour mettre en oeuvre les priorités politiques portées par les citoyens, notamment lors des élections de mai.
Enfin, le Conseil européen fera le point sur quelques situations internationales. Il travaillera notamment à la préparation du sommet entre l'Union européenne et la Chine puis, fin avril, du Forum sur les routes de la soie. L'Union européenne doit mieux se coordonner pour obtenir une meilleure réciprocité commerciale, ou encore des exigences sociales et environnementales rehaussées pour les investissements de la route de la soie. Vous le voyez, les enjeux sont très importants pour ce Conseil européen de mars, qui se saisira de sujets majeurs.