Hier, l'Assemblée nationale a voté une résolution portant création d'une assemblée franco-allemande, composée de membres de l'Assemblée nationale et du Bundestag. Pourtant, les travaux que nous avons menés au Sénat au cours des derniers mois ont montré l'importance d'une coopération globale entre les quatre chambres de nos deux parlements, compte tenu de nos compétences respectives. Le Sénat se trouve, d'une certaine manière, sorti du jeu en ce qui concerne les travaux sur la convergence législative entre nos deux pays.
Nos travaux préalables au Conseil européen se déroulent en commission plutôt qu'en séance publique, ce qui restreint la solennité de ce que nous pourrions souhaiter communiquer au Gouvernement, à la veille d'un sommet européen.
Nous avons suivi avec inquiétude les débats à la Chambre des communes. Personne ne sortira gagnant de la situation actuelle devenue pour ainsi dire « out of control ». Compte tenu de nos interdépendances économiques, nous sommes tous inquiets. L'enjeu est aussi celui de la paix, qui était à la source du projet européen, paix entre la France et l'Allemagne, paix dans les Balkans ou paix en Irlande. Le fait que le no deal n'ait été évité que de quelques voix, hier, donne froid dans le dos.
La tribune d'Emmanuel Macron aux citoyens européens, avec un message proche du « l'Europe c'est moi », tenant un peu de Louis XIV et un peu de Bonaparte, n'a pas forcément été appréciée de la CDU ni de Westminster. L'effet est contre-productif. Au moment où il faudrait redoubler d'ambition sur les ressources propres de l'Union européenne, aucune proposition concrète sur un budget spécifique de la zone Euro, comme si le président avait déjà perdu toutes ses ambitions et toutes ses illusions. Au moment où il faudrait définir des outils démocratiques permettant aux citoyens de mieux contrôler les politiques européennes, les citoyens sont invités à rester des citoyens et des sujets des États membres. Au moment où l'Europe fait face à une défiance des peuples, il aurait fallu rappeler l'union bancaire, le sauvetage de la Grèce, la lutte contre la fraude fiscale, la réponse à la crise migratoire de 2015, le renforcement de la zone Schengen et du mandat Frontex qui a permis la division par plus de dix du nombre d'entrées irrégulières. Madame la Ministre, renoncer à dire ce que l'Europe apporte, c'est favoriser ceux qui veulent la remettre en cause.
Enfin, comment entendre la proposition de créer un office européen de protection des réfugiés et apatrides, quand la dernière actualité nous inquiète sur la pérennité du principe de l'indépendance de notre office français ? Mieux vaut commencer par nous occuper de la France. Mieux vaudrait aussi mettre en place une cour européenne du droit d'asile, statuant en appel, plutôt que des institutions chargées de l'instruction des premières demandes. Sans parler du manque de solidarité dont nous avons fait preuve envers l'Italie en utilisant les procédures de Dublin, de la manière la plus restrictive possible.
Je note avec intérêt la proposition d'interdire le financement des partis politiques européens par des puissances étrangères. Pour ce qui concerne la France, nous avions inscrit cette proposition à l'initiative du groupe socialiste du Sénat dans la loi pour la confiance dans la vie politique, à l'été 2017.
Depuis la COP21 de 2015, nous avons pu constater que le dérèglement climatique exigera plus d'efforts que ce que nous pensions. En outre, rien ne garantit que nous parvenions au résultat que nous nous étions fixé en 2015 au niveau mondial. Dans ce contexte, l'Europe ne doit pas fléchir sur ses engagements. Elle doit utiliser sa position de première puissance commerciale pour placer cette exigence au centre des échanges avec ses partenaires.
Il est déplorable que la France soit à nouveau perçue comme un frein à l'intégration européenne des pays candidats dans les Balkans. Cela reflète un manque de confiance dans l'idéal européen. En agissant ainsi, nous livrons progressivement cette partie de l'Europe à d'autres puissances habiles à tirer parti de nos doutes. Les élections présidentielles en Ukraine, à la fin du mois, se déroulent dans un pays désorienté et désillusionné, où la population paie depuis cinq ans le fait d'affirmer sa perspective européenne. Ce pays aura besoin d'attention et de solidarité dans les mois à venir.
Quant à la Turquie, la question des droits ne doit pas nous conduire à abandonner les démocrates, les journalistes, les avocats, ou les universitaires qui comptent sur le dialogue entre la Turquie et l'Union européenne pour les défendre. Saluons aussi la volonté de liberté et de dignité du peuple algérien depuis ces dernières semaines. L'Union européenne doit pouvoir accompagner ce mouvement positivement, sans avoir peur. C'est essentiel pour l'avenir de nos relations.
La conférence de Varsovie a montré combien les Européens étaient divisés sur l'autonomie politique dont l'Europe pouvait se prévaloir pour affirmer sa position sur l'accord nucléaire avec l'Iran. Nous ne pouvons pas subir ces atteintes à notre crédibilité que représentent les menaces de sanction que les États-Unis ont adressées aux entreprises européennes. Au-delà de notre relation avec l'Iran, c'est toute la stratégie de lutte contre la prolifération nucléaire qui est remise en cause.
Enfin, nous sommes le premier partenaire commercial de la Chine, et la Chine est notre second partenaire commercial. La présence croissante de la Chine en Afrique est une question que nous ne pouvons pas éluder, car les enjeux sont de sécurité, de protection de l'environnement et des ressources halieutiques, ou encore de gouvernance et d'engagement financier. Nous ne pouvons pas laisser prospérer des affrontements entre la Chine et l'Union européenne sur ce continent.
Madame la Ministre, le refus de la fusion entre Alstom et Siemens pourrait convaincre un fervent européen de retourner sa veste. Pourtant, la Commission n'a fait que dire le droit, un droit issu de l'après-guerre, de la CECA et de la volonté de lutter contre les monopoles. La situation a évolué, mais pas le droit européen. C'est à la Commission européenne ou bien au Conseil de prendre l'initiative de le changer. Il faut le faire. Lorsque l'Europe était de loin le premier marché mondial, lorsqu'elle disposait d'une avance technologique dans la plupart des secteurs, elle pouvait penser que la concurrence interne était productive. Ce n'est plus le cas, car les marchés les plus gros et les plus porteurs sont souvent hors d'Europe, tandis que des acteurs forts émergent ailleurs qu'aux États-Unis ou en Europe. Droits sociaux, contraintes environnementales, tous ces points doivent être intégrés au droit de la concurrence. Veillons-y dans les accords que l'Europe signe avec le reste du monde. La désindustrialisation n'est pas une fatalité. Il n'y a pas aujourd'hui moins d'usines dans le monde qu'auparavant, mais elles doivent être correctement réparties.
Enfin, Madame la Ministre, je voudrais connaître les intentions du Gouvernement sur la candidature du magistrat français Jean-François Bonnet à la tête du parquet européen. Cette nouvelle coopération renforcée ayant pour objet principal la lutte contre la fraude aux fonds européens et à la TVA, la personnalité choisie sera essentielle pour garantir la crédibilité de cette nouvelle structure, mais aussi pour inciter les pays de l'Union qui ne sont pas encore intégrés à ce dispositif à le rejoindre. C'est important, au moment où l'on introduit dans les négociations du prochain cadre financier pluriannuel de l'Union un principe de conditionnalité des fonds alloués aux États membres. Le Gouvernement fera-t-il le choix du symbole un peu provocateur en suivant les recommandations du Parlement européen, ou bien suivra-t-il la voie de la consolidation de cette coopération renforcée, afin qu'elle puisse être acceptée par ceux qui sont encore réticents ?