Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 mars 2019 à 16h30
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen en présence de mme nathalie loiseau ministre chargée des affaires européennes

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Il est impossible, dans le cadre de ce débat préalable, de faire l'impasse sur l'incroyable, voire l'hallucinant, spectacle offert par le gouvernement et le parlement britanniques à quelques jours de l'échéance fatale du 29 mars.

Ce spectacle pathétique reflète ce que l'écrivain britannique Arthur Koestler qualifiait en 1964 de « suicide d'une nation » ; il parlait à l'époque des tergiversations britanniques sur l'adhésion au marché commun. Ces votes successifs sont tragi-comiques, un jour en faveur du rejet de l'accord de sortie, le lendemain pour le refus d'une sortie sans accord, et ce soir vraisemblablement pour le report de l'échéance finale. En toile de fond, le gouvernement cherche à éviter un retour immédiat vers les urnes. Or, s'il obtenait un délai supplémentaire de trois mois, jusqu'au 30 juin, il serait obligé de procéder à des élections européennes. Benny Hill a pris le dessus sur William Shakespeare !

Lors des débats parlementaires, les trois quarts des propos sont hors sujet par rapport à la procédure de l'article 50. Cela traduit le terrible déclin politico-télévisuel d'une démocratie ancestrale. Ce n'est plus d'une armada de négociateurs chevronnés dont nous avons besoin, mais plutôt d'un régiment de psychiatres et de psychanalystes pour comprendre comment cette grande nation, et surtout sa classe politique, a sombré tout entière dans un déni de réalité, ce que le génial poète anglais Samuel Coleridge appelait, au début du XIXe siècle, « une suspension consentie d'incrédulité » : la volonté de croire en une fiction en lieu et place de la réalité. En psychiatrie, cela s'appelle le syndrome confusionnel onirique, et, dans les pays anglo-saxons, une encéphalopathie métabolique ou delirium. Outre l'apparition de productions délirantes et hallucinatoires chez le patient, ce syndrome se traduit par une désorganisation de la pensée à travers des propos décousus, inappropriés ou incohérents.

Dans un tel contexte et avec un tel interlocuteur, il faudrait être fou soi-même pour accepter de rouvrir un nouveau chapitre de négociation. Il faut louer le talent et la patience de Michel Barnier, négociateur en chef de l'Union européenne ainsi que de la coalition des Vingt-sept, dont beaucoup doutaient. L'attitude irrationnelle des Britanniques nous a davantage soudés et a beaucoup contribué à cette cohésion.

On pourrait s'amuser de cette situation si nous ne connaissions pas les incidences lourdes d'un Brexit sans accord, pour le Royaume-Uni mais aussi pour le reste de l'Europe. L'une des conséquences immédiates serait la révision drastique des moyens alloués au prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027. Lors d'auditions récentes menées avec mon collègue Jean-François Rapin au sujet de la nouvelle politique spatiale européenne, des coupes possibles ont été évoquées, de l'ordre de 16 % sur les budgets d'investissements. Madame la Ministre, pourriez-vous nous éclairer sur les conséquences budgétaires d'un éventuel retrait sans accord du Royaume-Uni dans ce domaine ?

Qu'adviendrait-il des plus de 40 milliards d'euros, prévus dans le projet initial d'accord, que les Britanniques étaient supposés verser en compensation de leur sortie ? Cette question est essentielle pour le financement de la recherche et de l'innovation dans la prochaine décennie, ainsi qu'en termes d'investissements industriels et de nouvelles technologies. Plus de 100 milliards d'euros ont ainsi été programmés pour la réalisation du projet « Horizon Europe » de la Commission, qui pourrait être le plus ambitieux programme de recherche publique du monde. Si cette ambition n'était pas soutenue, l'avenir de notre continent serait compromis face à la concurrence américaine et chinoise.

Le Conseil européen prépare le prochain sommet entre l'Union européenne et la Chine du 9 avril. L'enjeu est de taille. Le président Xi Jinping procédera en amont à une visite officielle à Rome, du 21 au 23 mars, et passera par Monaco le 24 - on peut se demander pourquoi -, avant de venir à Paris.

Si le récent mémorandum de la Commission sur ce sujet, ainsi que la communication du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et la résolution adoptée la semaine dernière par le Parlement européen témoignent d'une position relativement ferme de l'Union à l'endroit de la Chine quant à l'exigence de réciprocité en matière d'échanges économiques, la politique de chaque État membre est loin d'être totalement harmonisée.

Le cas de l'entreprise Huawei, dans le domaine de la 5G, pose question. Les États-Unis font pression sur certains États, notamment l'Allemagne, pour qu'ils prévoient des accords de sécurité. De nombreux pays sont ouverts, d'autres sont fermés. Il importe d'harmoniser les positions. La résolution du Parlement européen prévoit dans son point 12 que la Commission confie à l'European Union Agency for Network and Information Security (ENISA) une étude sur les risques de cybersécurité ici encourus.

S'agissant des « nouvelles routes de la soie », j'ai été surpris par la déclaration dans le Financial Times du sous-secrétaire d'État italien au commerce, Michele Geraci, annonçant la signature d'un accord avec la Chine. Il est positif que les instances européennes affichent une position ferme face à ce pays, mais on peut s'inquiéter du manque de cohérence des politiques des États membres.

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