Intervention de Olivier Cadic

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 mars 2019 à 16h30
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen en présence de mme nathalie loiseau ministre chargée des affaires européennes

Photo de Olivier CadicOlivier Cadic :

J'aborderai trois points : le Brexit, les Balkans et les relations avec la Chine.

Le Brexit doit intervenir dans 15 jours. Or, 994 jours après le référendum britannique de 2016, nous ne savons ni ce qu'il signifiera ni s'il aura lieu. Theresa May n'est pas encore « K-O », mais son pays est au bord du chaos.

Madame la Ministre, ce fut un honneur et un plaisir d'avoir pu vous accompagner la semaine dernière dans le cadre de votre déplacement à Londres. J'ai apprécié la rigueur et la clarté avec lesquelles vous avez défendu les intérêts de l'Union européenne et de notre pays.

Compte tenu du vote qui aura lieu ce soir à la Chambre des communes, si le Royaume-Uni demandait un report de la date de sortie, quelles raisons pourraient motiver l'accord de la France ?

En point d'orgue de votre visite, vous avez rencontré les représentants de la communauté française du Royaume-Uni. Ils ont apprécié la volonté du Gouvernement de faciliter le retour de ceux qui le souhaiteraient. Quant à ceux qui vont rester outre-Manche, dans l'éventualité d'une sortie, ils ont été rassurés par votre approche de la situation et votre détermination à défendre leurs droits. Je vous remercie sincèrement d'avoir pris la mesure de l'inquiétude de nos ressortissants.

Aussi, je vous pose cette question portée par les associations de défense de ces citoyens européens qui vivent dans l'angoisse, notamment the 3 million et British in Europe : la France soutiendra-t-elle la demande de sanctuarisation du chapitre II de l'accord de retrait en cas d'absence d'accord, afin de protéger les droits de 5 millions de citoyens européens ? Il ne s'agit pas de rouvrir l'accord, mais le Conseil européen doit mandater la Commission pour préparer un accord séparé sur les droits des citoyens, qui s'appuierait sur le chapitre II et qui puisse être ratifié avant la date de sortie du Royaume-Uni de l'Union.

Cette question du Brexit mobilise, voire accapare, les ressources de l'Union européenne depuis près de trois ans. Or, au même moment, plusieurs pays des Balkans -l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, le Kosovo - cherchent quant à eux à se rapprocher de l'Union européenne et travaillent ardemment en ce sens comme vous avez pu l'observer, Madame la Ministre, lors de votre récent déplacement à Belgrade et à Skopje.

N'oublions donc pas que l'Union européenne constitue encore pour de nombreux peuples une espérance, une garantie d'avenir, un idéal. La Commission européenne a adopté l'année dernière une stratégie pour une coopération renforcée avec les Balkans occidentaux, structurée autour de six initiatives thématiques. Celle-ci recouvre les principaux sujets sur lesquels nous pourrons avoir une action bénéfique, et vont dans le bon sens. Malgré ces intentions louables, les pays des Balkans occidentaux font face à des risques majeurs aux conséquences néfastes pour eux-mêmes et pour l'Europe dans son ensemble.

Au niveau démographique et économique, les Balkans souffrent de la fuite de leur jeunesse et de leur population la mieux formée vers l'Union européenne. Comment peuvent-ils, dès lors, se développer durablement ? Lorsque j'étais en Albanie, en septembre dernier, il était proposé aux médecins des cours d'allemand pour leur permettre d'exercer en Allemagne. Comment peut-on se soigner en Albanie si tous les médecins sont attirés vers l'Union européenne ? Ce problème vaut pour toute la zone des Balkans. L'Europe doit tout faire, dans la mise en oeuvre de sa stratégie de coopération, pour mettre fin à ce double jeu, et la France doit l'y encourager.

Au niveau géographique et géopolitique, les Balkans font partie de l'Europe, bien qu'ils ne fassent pas partie de l'Union européenne. Même si la guerre est terminée depuis plus de vingt ans, les tensions sont toujours latentes dans la région ; on le voit, par exemple, entre la Serbie et le Kosovo. Or seule l'Union européenne, en tant que force de paix, est en mesure d'assurer la stabilité et un avenir commun entre ces peuples.

Mettre les Balkans de côté, c'est également courir le risque de laisser cette région sous l'influence grandissante de la Russie, de la Turquie et surtout de la Chine. L'établissement de relations étroites et pérennes entre les Balkans occidentaux et l'Union européenne est donc un enjeu de valeurs, mais également de sécurité collective. Que comptez-vous faire, Madame la Ministre, pour rassurer ces pays sur la perspective d'accession des Balkans à l'Union européenne ?

La Chine fera l'objet de discussions lors du Conseil dans la perspective du prochain sommet entre l'Union européenne et la Chine, lequel devrait être centré sur les questions économiques et commerciales. Or il est un sujet dont les enjeux stratégiques ne se retrouvent pas dans son traitement diplomatique : la République populaire de Chine exerce une surveillance de plus en plus étroite de sa population et elle a développé pour cela une technologie des plus efficaces, sans s'embarrasser de considérations sur les libertés publiques. Malgré la volonté d'universalité des valeurs qu'elle défend, l'Europe n'a pas été en mesure de conditionner son partenariat économique au respect par la Chine des principes démocratiques ou liés au respect de la vie privée. Nous sommes avant tout inquiets de la stratégie d'influence de Pékin, qui promeut un système opposé aux valeurs démocratiques au moment où nous assistons à un recul des démocraties dans le monde.

La Chine a commencé à exporter ses technologies en matière de contrôle et de surveillance. Elle livre gratuitement à Djibouti, en ce moment même, un système de 600 caméras de surveillance avec reconnaissance faciale destiné à surveiller toute la population. Ce système sera contrôlé par le siège des services de sécurité djiboutiens. Orwell l'avait cauchemardé dans son roman 1984 ; la Chine va bien au-delà, c'est devenu l'ère du totalitarisme 2.0 ! Pouvons-nous continuer comme si de rien n'était ? Mon collègue André Gattolin se demandait pourquoi le président chinois allait se rendre à Monaco : il suffit pour le savoir de demander à l'entreprise Huawei ce qu'elle offre dans la principauté...

Il est frappant de constater le contraste entre l'attitude de l'Union face à la Chine et sa politique à l'égard du Cambodge. Alors que les produits cambodgiens sont aujourd'hui exemptés de taxes douanières sur le marché unique dans le cadre de l'accord « tout sauf les armes », ces taxes pourraient être rétablies dès 2020 pour cause de violation systématique des droits de l'homme et du travail. L'esprit qui anime cette décision honore l'Union, mais il y a là deux poids deux mesures.

En s'en prenant aux petits pays, qui n'auront pas d'autre issue que de s'abandonner à la Chine, l'Union européenne se décrédibilise. Dans le même temps, des Chinois achètent des terres agricoles en France, bénéficient des aides de la PAC puis expédient leur production vers la Chine. Où est la cohérence ?

L'Europe a la capacité de faire face aux défis auxquels elle est confrontée, et même de les transformer en opportunités pour se renforcer. Je sais, Madame la Ministre, que vous en êtes convaincue.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion