Selon une étude du FMI, un Brexit sans accord n'aurait qu'un effet très faible, voire nul, sur l'économie française - une perte entre 0 et 1 demi-point de PIB. Toutefois, le secteur de la pêche serait particulièrement impacté. Le Gouvernement a donc instauré un dialogue avec les représentants de cette profession et il veillera, ainsi que la Commission, à ce que des aides soient mises en place en attendant la conclusion d'un nouvel accord de pêche avec le Royaume-Uni. Michel Barnier sait que ce sujet est prioritaire, en particulier pour la France.
Nous veillons également à assurer la continuité de l'activité des établissements bancaires au travers du projet de loi d'habilitation que vous avez voté. Les six ordonnances ont été adoptées en conseil des ministres et les décrets d'application sont pratiquement tous pris. L'État sera donc prêt si un Brexit sans accord devait survenir le 29 mars.
Le Brexit sans accord faisant partie des probabilités, je souhaite faire passer un message aux opérateurs économiques. Il est important que les entreprises, notamment les PME, en particulier lorsqu'elles n'ont commercé qu'avec des États membres de l'Union européenne, s'informent auprès des directions départementales des douanes, lesquelles se sont organisées pour pouvoir leur répondre et les conseiller.
Qu'il y ait ou non ratification de l'accord de retrait, il y a une constante : le gouvernement de Mme May impose au secteur financier britannique la perte du passeport européen, que le Brexit ait lieu le 30 mars, donc en cas d'absence d'accord, ou à l'issue de la période de transition. Des établissements financiers britanniques souhaitant continuer à travailler au sein de l'Union européenne ont pris des dispositions depuis de longs mois pour se redéployer en direction de Dublin, Paris et Francfort. J'ai récemment signé l'accord de siège permettant l'installation très prochaine, dans des conditions quelque peu inédites, de l'Autorité bancaire européenne à Paris. Il est en effet rare qu'un tel accord soit prêt et signé avant même l'arrivée de l'organisation concernée ; je compte sur vous pour qu'il soit ratifié avant l'été. Les conditions matérielles et l'accompagnement du personnel de l'Autorité ont été pensés par l'État, la ville et la région.
Monsieur Requier, vous m'interrogez sur les infrastructures et les recrutements nécessaires pour d'éventuels contrôles douaniers consécutifs au Brexit. Nous prenons pour le moment des mesures unilatérales et provisoires. Des bâtiments et des aires de stationnement seront prêts le 29 mars ; les douaniers et les vétérinaires sont recrutés et en cours de formation. Nos douaniers font du zèle ; ils ont l'opportunité d'obtenir des conditions financières et de travail plus avantageuses et Gérald Darmanin travaille sur cette question avec leurs organisations syndicales. Cela dit, malgré tous nos efforts, le Brexit aura des conséquences, en particulier en l'absence d'accord.
M. Gattolin me demandait quelles seraient les conséquences d'un Brexit sans accord sur le budget de l'Union européenne. L'accord de retrait contient, non des sanctions, mais simplement le calcul des sommes dues par le Royaume-Uni, en tant qu'État membre. Il ne peut donc pas s'en départir, quoi qu'en disent certains hommes politiques britanniques ; c'est imparable juridiquement.
Monsieur Cadic, vous me demandez ce qui pourrait, selon nous, justifier un report du Brexit. Nous n'avons pas besoin d'un report, mais d'une décision britannique. Depuis deux ans, avec patience et bonne foi, nous avons mis en oeuvre la décision prise démocratiquement - même si des questions demeurent quant à l'ingérence de puissances étrangères dans les processus électoraux - par le peuple britannique. C'est à lui de choisir si une porte doit être ouverte ou fermée, s'il veut sortir avec ou sans accord. Il faudrait une initiative nouvelle et crédible, c'est-à-dire soutenue par une majorité à la Chambre des communes, pour qu'un report soit déclenché. Le Parlement sait nous dire ce qu'il ne veut pas ; pour le moment, on ne l'a pas entendu nous dire ce qu'il veut. Mme May a elle-même averti les parlementaires britanniques sur ce point ; elle plaide pour un report de courte durée, car elle se voit mal organiser des élections européennes.
Je connais les revendications exprimées quant à la sanctuarisation, en cas de sortie sans accord, du chapitre de l'accord relatif aux citoyens ; il s'agirait de négocier un accord séparé sur ce point avec les autorités britanniques avant la date de sortie. Cela est impossible avant le 29 mars ; les droits des citoyens sont défendus dans l'accord de retrait, qui peut toujours être adopté, en particulier si l'on accorde au Royaume-Uni quelques semaines supplémentaires. J'ai en tout cas demandé au gouvernement britannique que les droits de nos citoyens y résidant soient préservés en cas de sortie sans accord ; grâce à la loi que vous avez adoptée, s'ils devaient revenir en France, leurs diplômes, leurs qualifications et leurs années de cotisations seraient pris en compte.
J'en viens au sujet des relations entre l'Union européenne et la Chine. Des signaux parfois perturbants sont envoyés par certains États membres. Il faut saisir les opportunités de dialogue avec la Chine, notamment en matière de lutte contre le changement climatique, mais il faut avancer les yeux ouverts : réciprocité et transparence dans les aides d'État sont importantes. La Commission est sortie de sa naïveté antérieure. Les initiatives chinoises de « nouvelles routes de la soie » peuvent avoir de l'intérêt, mais les pays intéressés doivent se poser la question des normes sociales et environnementales respectées par la Chine avant de recevoir des investissements. Je me réjouis que l'Europe ait adopté la position défendue par la France sur l'importance du filtrage des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques ; c'est une vraie nouveauté. En revanche, des propos récents d'un membre du gouvernement italien laissent à penser que ce pays est aujourd'hui moins regardant quant à son ouverture aux aspects les moins protecteurs de la mondialisation.
Quant à la taxation des GAFA, nous regrettons évidemment l'absence d'accord à l'échelon européen, d'autant que 23 États membres étaient prêts à s'engager dans cette voie et que le temps presse. Nous mettrons en place une telle taxe au niveau national, de même que le Royaume-Uni, l'Autriche, l'Italie et l'Espagne. Ces mesures transitoires prendront fin quand l'OCDE aura mis en place un instrument mondial.
Monsieur Allizard, vous m'avez interrogée sur la place du Royaume-Uni dans l'architecture de défense et de sécurité européenne. Nous prenons des initiatives pour remettre la France au coeur de l'Europe et faire entendre notre voix. Le Royaume-Uni reste notre grand partenaire en matière de défense et de sécurité ; il faudra trouver moyen de continuer à travailler avec lui bilatéralement et sous d'autres formats. C'est pourquoi le Président de la République a proposé la réunion, au sein d'un Conseil européen de sécurité, des pays européens au sens géographique, avant que l'Union européenne ne prenne elle-même les décisions qui s'imposent. Ne pas écouter les Britanniques dans ce domaine serait une faute.
Quant aux réactions allemandes à la tribune du Président de la République, la situation actuelle de précampagne pour les élections européennes se traduit par des tensions au sein même de la coalition au pouvoir. Le SPD souhaite que l'on se souvienne que les propositions françaises avaient largement inspiré le contrat de coalition, que la nouvelle patronne de la CDU ne semble pas avoir lu dans le détail, puisqu'elle s'est montrée - quelle surprise ! - hostile à la création d'un bouclier social. Il y a en Europe ceux qui veulent la détruire, ceux qui pensent qu'il ne faut rien changer - dont fait manifestement partie Mme Kramp-Karrenbauer - et ceux qui, comme nous, estiment que l'Europe doit traiter les mécontentements, les inquiétudes et les inégalités.
Quant à la position défendue par Mme Kramp-Karrenbauer concernant un siège européen au Conseil de sécurité des Nations unies, elle est politiquement irréaliste et juridiquement irréalisable ; nous n'y sommes en outre pas favorables, comme en témoigne le traité d'Aix-la-Chapelle. Cette position affaiblirait la voix de l'Europe, dont cinq États sont membres cette année du Conseil de sécurité. Pourquoi, demain, n'y en aurait-il qu'un seul ?
M. Reichardt a eu raison de souligner l'importance du maintien du Parlement européen à Strasbourg, qui est son siège aux termes des traités. Strasbourg est la capitale de la démocratie et des droits de l'homme en Europe. C'est l'honneur de cette ville ; c'est la fierté de la France. Nous ne transigerons donc pas sur cette question.
M. Leconte craint que la tribune du Président de la République soit contre-productive ; je l'invite à la relire, ainsi qu'à noter le soutien que lui ont apporté les chefs de gouvernement espagnol, portugais, finlandais, suédois, néerlandais, belge ou encore luxembourgeois, ainsi que ses alliés allemands du SPD. Elle contient nombre de propositions concrètes, telles que la remise à plat de Schengen, et susceptibles de permettre des avancées.
Monsieur Ouzoulias, vous avez salué la proposition de création d'une agence européenne de protection de la démocratie ; elle est plus utile que jamais alors que l'État de droit recule et que des influences extérieures sont régulièrement relevées dans les processus électoraux. Nous avons mis en place un processus d'alerte rapide qui permettra de défendre chaque État contre des cyberattaques et de signaler aux autres États membres la diffusion de publicités politiques ou de fake news en provenance d'États extérieurs. Il faut aller plus loin : nous proposons que des experts nationaux puissent être détachés chaque fois qu'un pays se heurte à de telles attaques. En moyenne, un média comme Sputnik diffuse 18 fake news chaque jour ! L'interdiction du financement de partis politiques depuis des pays tiers est, elle aussi, importante.
Les Balkans sont en Europe, par leur géographie, par leur histoire, parfois tragique, et par leur civilisation. Ni l'Europe ni les Balkans ne sont en revanche prêts à un nouvel élargissement. Nous devons nous interroger sur ce qui a fait partir le Royaume-Uni : pourquoi n'avons-nous pas su convaincre le peuple britannique de rester dans l'Union européenne ? J'ai récemment été en Serbie et en Macédoine du Nord ; j'ai salué les efforts de réconciliations entrepris avec leurs voisins, mais j'ai aussi pu mesurer les difficultés et la hauteur de la marche qu'il leur reste à monter. Ces pays préfèrent notre franchise amicale à la bienveillance indifférente que d'autres États membres leur servent. Certes, la Russie, la Chine et les pays du Golfe s'intéressent à cette région ; c'est pourquoi nous devons y être présents et renforcer nos partenariats. Le Président de la République ira en Serbie en juillet prochain. L'Union européenne doit faire beaucoup plus, notamment au bénéfice de la jeunesse et des mobilités circulaires. En revanche, je le dis sans démagogie, l'élargissement n'est pas pour demain.
Sur la fusion entre Alstom et Siemens, la Commission n'a fait que dire le droit. Je ne le lui reprocherai pas, mais ce droit ne correspond plus à la réalité économique de la mondialisation. Le droit de la concurrence européen doit nous permettre de prendre en compte les aides d'État qui existent dans d'autres parties du monde et de construire des champions de taille critique dans les secteurs où c'est nécessaire. Il ne s'agit pas de porter atteinte aux droits du consommateur.
Vous m'avez aussi interrogée, monsieur Leconte, sur le parquet européen : la coopération renforcée a enfin su trouver un aboutissement. Il faut à présent désigner qui sera le procureur général européen. Deux excellentes candidatures ont été déposées : un magistrat français de très grande qualité, d'une part, et l'ancienne procureure anticorruption de Roumanie, d'autre part. Cette dernière n'est pas défendue par son pays ; c'est une magistrate de grand courage, compte tenu des difficultés que lui oppose le gouvernement roumain actuel. Il revient au Conseil et au Parlement de trouver un accord ; il est trop tôt pour vous indiquer notre position, mais il est impératif que ce parquet européen voie le jour rapidement.
Je suis d'accord avec M. Reichardt : il est nécessaire de finaliser l'union bancaire et d'aller plus loin dans l'union des marchés de capitaux. Quant au budget de la zone euro, on est en effet encore loin d'une gouvernance satisfaisante : qu'il le dise à ses amis politiques au Parlement européen, à la Commission et au Conseil !
Quant à la Hongrie et à la Pologne, monsieur Ouzoulias, je ne dirai pas que ces pays sont loin de la démocratie parce qu'ils seraient arrivés plus tard. Je me souviens pourquoi ils sont entrés dans l'Union européenne : ils sont tombés amoureux, non d'un marché, mais de la liberté, de la démocratie et de la fin de l'oppression.
S'agissant de la Catalogne, si l'État de droit est important à l'Est, il l'est aussi au Sud. Cela implique de ne pas organiser une consultation opaque et contraire à la Constitution de son pays. Le président du gouvernement espagnol a tendu la main aux séparatistes catalans et n'a reçu que des rebuffades ; il a même payé un prix élevé, puisqu'il a perdu la majorité et a dû convoquer de nouvelles élections législatives. Il y a chez les séparatistes catalans comme chez certains extrémistes de droite espagnols des gens qui ne veulent pas de solution à la crise catalane.
Enfin, la dimension extérieure de l'action de la Chine, en particulier en Afrique, n'a pas échappé au Président de la République, qui était à Djibouti avant-hier. Il a pu dire à nos partenaires africains, non pas que nous menons une politique néocoloniale, comme l'affirment certains membres du gouvernement italien, mais que nous avons pour ambition d'être des partenaires respectueux. Nous n'imposons pas des clauses léonines.