Merci beaucoup, Madame Rabatel, pour ce témoignage. Nous allons passer la parole au Docteur Salmona pour évoquer l'impact spécifique des violences sur les femmes autistes en termes de psycho-traumatisme. Les rapporteurs vous poseront ensuite des questions.
Docteur Muriel Salmona, psychiatre, psycho-traumatologue, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie. - Merci de nous donner la parole. Nous souhaitons vous faire partager la réalité sur laquelle, ensemble, nous essayons d'alerter depuis longtemps. J'avais déjà dû vous faire part de la réalité des femmes handicapées et des violences qu'elles subissent. Nous savions déjà, avec Maudy Piot, qui est malheureusement décédée, mais qui se battait pour cela, que les femmes handicapées avaient quatre fois plus de risques de subir des violences dans le cadre des violences faites aux femmes. Les dernières études montrent que ce risque est en réalité multiplié par six, en particulier dans le cas de femmes en situation de handicap mental. Comme vous le savez, les principales victimes des violences sexuelles sont les enfants, ce qui se retrouve pour les personnes handicapées.
Je vous ai apporté un document que nous avons présenté avec Marie Rabatel lors de plusieurs colloques. Il donne une bonne lecture de cette problématique. Marie vous a expliqué à quel point les personnes qui souffrent de troubles de l'autisme sont ciblées et vulnérables à toutes les formes de violences. En effet, on parle spécifiquement des violences sexuelles aujourd'hui, mais il s'agit fréquemment de poly-victimisation : toutes les autres formes de violences sont concernées. Toutefois, les femmes autistes subissent de plein fouet les violences sexuelles, comme les chiffres le montrent : 88 % des femmes autistes en sont victimes selon l'étude réalisée en France et 90 % selon des études internationales.
L'impact des violences sexuelles, et particulièrement du viol, est catastrophique pour toutes les victimes, mais il s'avère d'autant plus important si les victimes sont jeunes. Je vous avais d'ailleurs précisé que 81 % des victimes de violences sexuelles ont moins de 18 ans, 51 % moins de 11 ans et 21 % moins de 6 ans. Les prédateurs ciblent avant tout les personnes vulnérables. Par conséquent, ils choisissent a fortiori les personnes ayant un handicap mental ou des troubles de l'autisme. L'impact psycho-traumatique sera plus important pour ces personnes jeunes ou vulnérables et aggravera les symptômes de l'autisme et leur pathologie. Les troubles psycho-traumatiques peuvent apparaître facilement comme des troubles de l'autisme pour des personnes qui ne sont pas formées et qui ne s'interrogeront pas sur une éventuelle aggravation des troubles, et encore moins sur les raisons de cette aggravation. Ces personnes penseront au contraire que la maladie est en cause. Cela est valable également pour les personnes ayant des maladies neurologiques, des handicaps ou des maladies psychiatriques. Toute aggravation est mise sur le compte de la maladie elle-même, sans que soit réalisé de dépistage systématique, sans que l'on cherche à savoir ce qui est arrivé.
En plus des aggravations des pathologies et des maltraitances institutionnelles, le fait d'avoir des troubles psycho-traumatiques importants aggrave également la vulnérabilité de la personne. Le lien entre les violences sexuelles et les troubles psycho-traumatiques a été maintes fois prouvé dans de nombreuses études. Certains symptômes, qui sont des mécanismes de sauvegarde neurologiques que le cerveau met en place, se développent. Il peut s'agir de dissociation traumatique et de mémoire traumatique. La dissociation traumatique est une anesthésie émotionnelle et physique, une déconnexion. Elle engendre des troubles cognitifs importants et augmente la vulnérabilité des personnes. Elle décuple les problématiques des personnes autistes. En outre, la mémoire traumatique fait que les victimes sont continuellement envahies par ce qu'elles ont subi. Les personnes ne peuvent pas mettre des mots sur ce qu'elles ont subi, mais de nombreux symptômes pourront être identifiés par quelqu'un qui a été formé au psycho-trauma. Une personne qui se préoccupe de ces questions pourra ainsi identifier des troubles du comportement qui traduisent une mémoire traumatique, ainsi que des symptômes de souffrance et une situation alarmante.
Notre enquête montre que le facteur de risques le plus important de continuation des violences est d'en avoir déjà subi. En effet, un enfant qui a déjà subi des violences sexuelles et qui présente des troubles psycho-traumatiques risque fortement d'en subir à nouveau tout au long de sa vie. Environ 70 % des personnes qui ont subi des violences sexuelles en subiront à nouveau. Ce pourcentage est supérieur à 80 % pour les personnes autistes. Cela aggrave les psycho-traumatismes et les risques de vulnérabilité.
Les conséquences sont très importantes sur la santé mentale. Les personnes qui ont subi dans l'enfance des violences sexuelles disent à 96 % que ces violences ont eu un impact important, voire très important, sur leur santé mentale. Ces conséquences comprennent des risques de dépression ou de passage à l'acte suicidaire, mais aussi des conduites auto-violentes, des mutilations et, de manière générale, une souffrance importante. En outre, certains troubles qui s'apparentent à des troubles du comportement traduisent en réalité une détresse totale. Les conséquences peuvent également être d'ordre physique, par exemple au niveau cardio-vasculaire, pulmonaire, digestif ou immunitaire. Les victimes risquent de développer, par exemple, une hypertension artérielle ou du diabète. Il s'agit d'un facteur de risques majeur et d'une perte de chance effroyable. Nous nous battons, car tout cela pourrait être évité.
Les symptômes des pathologies se trouvent donc aggravés par les violences sexuelles. Plus les victimes sont vulnérables, plus elles se trouvent exposées aux tortures que sont les violences sexuelles, pour reprendre la définition de la Cour européenne des droits de l'homme, qui parle d'actes « cruels, dégradants et inhumains ». La mémoire traumatique fait que les victimes vivent de réelles tortures. Pourtant leur souffrance ne sera jamais reconnue comme étant liée à des actes de cruauté et de torture, mais comme inhérente à leur handicap. Cette situation est d'une injustice terrible.
Il faut donc protéger les victimes au niveau institutionnel et à tous les autres niveaux. Il est indispensable de mettre en place un dépistage afin d'agir le plus tôt possible, en repérant un enfant qui présente des troubles de l'autisme et qui vient de subir des violences sexuelles. Cet enfant doit être protégé et recevoir des soins adaptés, qui fonctionnent. Il est possible de traiter les psycho-traumatismes pour les enfants et les personnes qui ont des troubles de l'autisme. Ensuite, nous pourrons repérer les agresseurs.
Les agresseurs qui attaquent des enfants ou des personnes souffrant de handicaps graves sont des gens extrêmement dangereux. Ils jouissent d'attaquer les personnes les plus fragiles et qui devraient être les plus protégées. On ne peut pas dire que les enfants sont victimes de violences parce qu'ils ne savent pas se défendre. On entend parfois qu'il faut apprendre aux personnes autistes à dire non. Cette affirmation témoigne d'une forme de naïveté, car il est particulièrement difficile aux personnes autistes de manifester leur opposition. De plus, le prédateur passera outre ce « non », évidemment, et la victime ne pourra sans doute pas s'opposer lorsque l'agresseur passera à l'acte, du fait de l'état de sidération propre à ces situations et de la stratégie de l'agresseur. Après l'agression, elle ne pourra pas parler, puisqu'elle pensera qu'elle n'aura pas su se défendre elle-même alors qu'on lui avait expliqué comment le faire. Un sentiment de culpabilité s'ajoutera à sa souffrance.
Les prédateurs font énormément de victimes, parfois des centaines pour un seul agresseur. Si on les repère et si on les arrête, on peut donc sauver des centaines d'enfants.
J'insiste sur ce point, car j'ai relu tous les articles internationaux pour préparer cette audition. Les conclusions de ces articles prennent acte que les personnes qui ont des troubles mentaux sont plus exposées aux violences sexuelles et en concluent qu'il faut leur apprendre à se défendre. Il est évidemment important d'informer les enfants, mais ce constat est d'une immense crédulité face aux mécanismes qu'utilisent les prédateurs. Une personne qui a des troubles neuro-développementaux restera plus facile à manipuler. L'enquête Virage montre d'ailleurs que la stratégie principale utilisée par les agresseurs sexuels envers les enfants de moins de 15 ans est la manipulation, et non la contrainte par exemple. Les agresseurs sont maîtres dans l'art de manipuler. De ce fait, apprendre aux victimes potentielles à se défendre ne présente pas vraiment d'intérêt pour elles.
Enfin, les psycho-traumatismes liés aux violences sexuelles affectent 100 % des victimes ayant des troubles mentaux ou neuro-développementaux. Ces troubles incluent la dissociation traumatique, qui est un mécanisme de survie face aux violences. Elle perdure tant que la personne est confrontée aux agresseurs, par exemple dans les institutions ou dans la famille. Or la dissociation aggrave la déconnexion et l'anesthésie émotionnelle. Habituellement, les gens ont des difficultés à ressentir de l'empathie pour les personnes autistes. L'empathie fonctionne avec des neurones-miroirs. Lorsque nous sommes devant quelqu'un qui souffre, nous ressentons sa souffrance et nous sommes amenés à agir. Toutefois, si nous sommes face à quelqu'un qui est très traumatisé et qui souffre d'une anesthésie émotionnelle causée par la dissociation, nous risquons de ne rien ressentir si nous ne sommes pas formés à percevoir ces indices. Cela aboutit à une indifférence totale de la part de la société. Notre étude établit d'ailleurs que 83 % des personnes qui ont subi des violences ne sont jamais reconnues, protégées ou soutenues. Cette situation est pire en cas de handicap.
Il est donc nécessaire de suivre des formations. Comme je viens de le dire, des personnes non sensibilisées pourront penser que les victimes en état de dissociation ne ressentent rien. Une étude qui a été faite à Nantes a montré que certains enfants qui avaient des fractures n'avaient reçu aucun traitement antalgique. Il s'agissait d'enfants qui avaient subi des violences sexuelles ou qui avaient été maltraités. La mémoire traumatique, en outre, fait revivre les pires souvenirs aux victimes, qui développent des stratégies d'échappement. La première d'entre elles est d'essayer d'éviter toute interaction, de se calfeutrer, de ne plus parler. Si un soignant ou un éducateur exerce les violences, la victime n'aura plus confiance en personne. Elle ne pourra pas dire si elle souffre. Certaines victimes ne pourront plus se laver si les violences ont eu lieu pendant les soins. D'autres ne voudront plus manger parce qu'elles auront subi des violences sexuelles au niveau de la sphère orale et qu'il leur est insupportable d'avaler le moindre aliment. Il peut aussi arriver qu'elles se mettent à hurler dans certains lieux. Ces comportements seront toujours associés à leur handicap plutôt qu'à une présomption de violence.
Les situations qui rappellent aux victimes les violences qu'elles ont subies génèrent donc des souffrances intolérables. Lorsque personne ne comprend ou ne protège les victimes, celles-ci s'anesthésient complètement en exerçant des violences contre elles-mêmes. Les symptômes d'automutilation ou de mise en danger dans la vie courante sont très fréquents. La mise en danger crée un état traumatique qui déclenche une nouvelle dissociation, ce qui représente parfois la seule solution pour ces victimes. À nouveau, la dissociation aggravera les troubles psycho-traumatiques et autistiques. Cela montre à quel point le piège se referme sur les victimes. Les gens deviennent alors de plus en plus indifférents, violents ou maltraitants vis-à-vis d'elles.
Il est donc indispensable de protéger les victimes et de former les professionnels à ces connaissances spécifiques. Il convient également d'affirmer la volonté que ces crimes et ces délits aggravés ne restent pas impunis, ce qui est actuellement le cas. Si la mère d'un enfant autistique essaie de signaler des faits, les autorités ne la croiront pas et considéreront par exemple qu'elle est trop angoissée. J'ai signalé moi-même de nombreux cas, et cela n'a pas eu d'effet, en dépit de ma notoriété comme spécialiste des violences sexuelles.