Intervention de Marie Rabatel

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 14 février 2019 : 1ère réunion
Audition de Mme Marie Rabatel présidente de l'association francophone de femmes autistes et du docteur muriel salmona psychiatre psycho-traumatologue

Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes (AFFA) :

J'aimerais vous donner un exemple concret de ce qui se passe sur le terrain. Onze enfants ont été victimes d'agressions sexuelles, et notamment de viol par sodomie, commis par des éducateurs dans une institution. Les parents ont porté plainte contre celle-ci, mais on leur a fait comprendre qu'ils risquaient de se retrouver avec leur enfant à charge. L'institution les a également menacés de faire un signalement à l'ASE pour refus de scolarisation. Lorsque l'enquête a été lancée, elle a été classée sans suite, car les enfants ne verbalisent pas, malgré tout ce qui peut être fait au niveau de l'écoute. Les dires des enfants, mais aussi la communication non verbale, n'ont pas été véritablement pris en compte par la gendarmerie. Tout a été interprété de manière décousue.

Au final, trois parents ont fait appel et ont retiré leurs enfants de l'institution. Les autres enfants y sont toujours et restent exposés à l'environnement où ils ont vécu des tortures. Cela ne peut qu'entraver leur parcours vers l'autonomie. Les trois parents ont reçu un signalement de l'ASE pour maltraitance, au motif qu'ils priveraient leur enfant de scolarité.

Dr Muriel Salmona. - Nous connaissons de nombreuses situations similaires. Il s'agit d'actes inhumains, de torture. L'État doit exercer ses responsabilités. Pourtant, il est possible d'agir. Il n'existe pas de fatalité. Les prédateurs vont dans ces institutions, car ils savent qu'ils ne risquent rien. Ils ne sont pas fichés, puisqu'ils n'ont jamais été inquiétés. Pour rappel, les chiffres concernant les adultes indiquent que 12 % des victimes portent plainte et que 73 % des affaires sont classées sans suite. Au total, seules 10 % des plaintes aboutissent à un jugement, ce qui ne signifie pas qu'il y ait condamnation. En croisant ces chiffres avec nos évaluations du nombre de mineurs qui subissent des violences sexuelles et des viols, on peut estimer que 4 % seulement des victimes portent plainte et que 0,3 % des affaires sont jugées en cour d'assises. L'impunité est donc totale ! Les prédateurs ne risquent absolument rien...

Il faut le savoir, les prédateurs font des photos ou des films, ils diffusent leurs agressions. Cette prédation est totalement inhumaine. Ils cherchent à agresser ce qui est le plus précieux, qu'il s'agisse d'un bébé ou de personnes vulnérables. Pendant longtemps, la société pensait que les enfants qui subissaient des crimes ne comprenaient pas ce qu'il leur arrivait et qu'ils oublieraient ces faits. En effet, une amnésie traumatique peut survenir. Mais l'oubli est en soi un symptôme traumatique. En outre, les enfants peuvent être traumatisés même s'ils ne comprennent pas une situation. Nous constatons tous les jours que les phénomènes les plus incompréhensibles sont en réalité les plus impactants. Quand nous comprenons ce qui se passe, nous pouvons calmer le traumatisme.

Quelle vision du monde ces victimes auront-elles ? Quelle confiance accorderont-elles à la société alors qu'elles sont enfermées dans leur souffrance et leur solitude, sans pouvoir parler ?

J'aimerais évoquer la question des auditions des victimes. Je travaille avec la gendarmerie sur la mallette MAEVAS qui concerne les éléments d'audition. Tout ce qui existe actuellement est pensé pour des enfants qui ne sont pas traumatisés. Les dispositifs sont donc totalement inadaptés. Les questions relatives aux droits de la défense et à la présomption d'innocence des accusés sont toujours prises en compte, mais ce système ne permet pas d'obtenir d'informations satisfaisantes. Il faudra former les professionnels pour qu'ils effectuent des dépistages systématiques de situations de violence et qu'ils apprennent comment parler aux victimes, comment leur poser les questions afin de produire des réponses utilisables.

En effet, la manière de poser les questions a une grande importance. Trop souvent, les questions sont posées de manière ouverte. Or il est difficile pour les personnes autistes de répondre à ce type de questions, car cela laisse un trop grand éventail de réponses possibles. Je fais partie du groupe de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) consacré aux femmes handicapées. Nous souhaitons créer un outil adapté aux femmes autistes et accessible à tout le monde. Si vous demandez à une personne autiste de répondre par oui ou par non, vous obtiendrez une réponse, qui sera la bonne. En revanche, si vous posez une question ouverte, vous recevrez une réponse faussée. Il s'agira d'un cumul de détails et l'interlocuteur aura l'impression de ne pas comprendre cette réponse.

Souvent, les questions peuvent avoir un double sens pour nous. Je prends un exemple. La question « Est-ce que vous avez pris un coup ? » peut être mal comprise par une personne autiste en raison de l'homophonie entre les mots « cou » et « coup ». La réponse peut donc se trouver en total décalage avec la question posée par un policier ou un gendarme. J'essaie de faire passer le message que nous devons trouver des outils pensés pour les personnes autistes. Ces outils pourront d'ailleurs être valables pour toutes les personnes de la société, aussi bien les personnes handicapées que non handicapées, les personnes migrantes que non migrantes, les personnes francophones que non francophones.

Nous avons réalisé un outil de prévention sous forme de pictogramme avec le Planning familial. Ce type de présentation permet une lecture accessible à tous. Quand on sait faire pour les plus faibles, on sait faire pour tout le monde.

Dr Muriel Salmona. - J'aimerais rebondir sur un autre élément. Dès qu'il y a une première agression ou un premier viol, cela engendre un psycho-traumatisme. Pour vous aider à vous figurer ce qu'est la dissociation, il faut vous représenter un paysage de montagne avec du brouillard. Si quelqu'un vous demande de décrire le paysage, vous ne pouvez rien décrire. En revanche, si l'on vous demande : « Est-ce qu'il y a des montagnes ? », vous pourrez répondre. Il faut donc poser des questions précises aux victimes pour obtenir des réponses utilisables.

Une grande précaution entoure les auditions pour enfants et les questions fermées sont très peu utilisées. Or les questions ouvertes sont totalement inadaptées. Cela contribue à expliquer que tant d'affaires soient classées sans suite. Les droits de la défense ne peuvent s'exercer aux dépens de ceux des enfants qui subissent des violences sexuelles et au prix de l'abandon de la justice et de la protection des personnes les plus vulnérables. Il faut repenser les dispositifs.

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