Intervention de André Peyrègne

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 13 mars 2019 à 14:5
Audition conjointe de Mm. André Peyrègne président de la fédération française de l'enseignement artistique ffea et maxime leschiera président des conservatoires de france

André Peyrègne, président de la FFEA :

Nous sommes sensibilisés à ce problème depuis toujours. En trente-cinq ans de direction du conservatoire de Nice, j'y ai été directement confronté à trois reprises. L'article du magazine L'Obs paru il y a quelques mois a beaucoup choqué nos collègues en raison de son titre : « Silence, on viole dans les conservatoires ». Il est parfaitement injuste de jeter ainsi l'opprobre sur l'ensemble de nos établissements. Le problème est grave, mais il faut le ramener à sa juste mesure.

Dans nos établissements, le public est constitué à 80 % de mineurs. Il faut que les professeurs soient sensibilisés à ce problème, et ils le sont. Les professeurs sont des éducateurs qui forment à l'art, mais aussi à la vie. Éducateurs, ils doivent être protecteurs, et donc penser à l'attitude qu'ils adoptent vis-à-vis des élèves.

L'enseignement culturel est particulier en ce qu'il établit une relation singulière de l'élève au « maître », comme on disait au dix-neuvième siècle. Le terme s'emploie moins, mais le respect existe toujours. Dans le domaine musical, les relations sont plus intimes que dans l'Éducation nationale. Le professeur est un modèle pour l'élève. Généralement instrumentiste, il se met au piano ou il prend son violon, et le but de l'élève est d'imiter son professeur. L'emprise du professeur sur l'élève, du maître sur le disciple, est considérable, qu'elle soit intellectuelle ou humaine.

Les conservatoires se transforment parfois en lieux de confidence. Combien de fois avons-nous découvert, nous, directeurs de conservatoire, des problèmes qui ont lieu dans les familles ? Les enfants se confient à leur professeur de conservatoire comme ils ne le feraient pas à un professeur de l'Éducation nationale. La relation est très particulière dans le domaine de la musique, de la danse et du théâtre.

Le danger de cette proximité se situe à plusieurs niveaux. Tout d'abord, l'enseignement est individuel, fondé sur une relation où le maître demande un effort technique particulier à chaque élève.

Autre particularité du métier, le professeur touche l'élève. Le professeur de piano prend la main de son élève pour arrondir les doigts ou placer le poignet. Il touche ses épaules pour s'assurer qu'il est en position stable sur son tabouret. Le professeur d'instrument à vent touche les lèvres de son élève. Le professeur de danse touche les jambes de son élève. C'est inévitable. Des exceptions existent, bien sûr, comme ce professeur de percussions atteint d'une sclérose en plaque qui le tenait immobile à la fin de sa carrière : il parvenait à faire passer tout son savoir auprès des élèves sans aucun geste. C'est le contre-exemple le plus parfait de ce que je viens d'énoncer, mais c'est une exception. Le professeur de chant touche le diaphragme de son élève pour lui faire sentir l'appui de la colonne d'air. Des dérives sont possibles. Le professeur doit faire preuve d'une morale sans faille.

La matière artistique que nous enseignons fait appel aux sentiments et à l'émotion. Quand on joue une sonate de Beethoven, quand on joue du Schubert ou du Chopin, on fait passer une émotion intime et amoureuse. « Tu dois jouer avec amour ; libère-toi », conseille le professeur à l'élève. C'est là l'essence de l'interprétation. Combien de fois avons-nous entendu un jury dire : « C'est parfait techniquement, mais il n'a jamais été amoureux. Lorsqu'il sera amoureux, il deviendra un grand interprète » ? La frontière est ténue entre la bienséance et ce que nous sommes en train de pourchasser. Sans parler du théâtre où l'élève est amené à lire des tirades amoureuses en les adressant à la personne qui lui fait face, en l'occurrence son professeur.

Je veux pour finir évoquer l'organisation des cours dans les conservatoires et les écoles de musique. Dans les nouveaux bâtiments - j'ai supervisé la construction du nouveau bâtiment du conservatoire de Nice qui a une dizaine d'années d'existence -, toutes les portes ont un hublot. On demande souvent aux professeurs de donner leurs cours porte ouverte. Dans le cas d'un enseignement individuel, l'élève qui précède reste un peu plus longtemps et l'élève qui suit arrive un peu plus tôt. Nous avons réfléchi à ces problématiques.

Certaines choses sont spécifiques à nos métiers : nos professeurs sont des artistes, ont des répétitions et peuvent être soumis au dernier moment à des changements d'horaires qui ne leur permettent plus d'assurer leur cours à l'heure prévue. Ils préviennent leurs élèves par SMS. La relation entre le professeur et l'élève est quelque peu particulière. Il faut aussi évoquer la question des répétitions du soir : les cours ont lieu en dehors des horaires scolaires, à 18 heures, 19 heures, 20 heures, 22 heures. Quand il faut trouver un horaire commun à plusieurs élèves, par exemple pour les répétitions de groupes de musique de chambre, c'est souvent tard le soir. Si les parents ne peuvent pas accompagner l'élève, le professeur peut proposer de passer le prendre en voiture. Ces pratiques sont inhérentes à notre métier. Elles ne débouchent pas forcément sur des délits, heureusement ! Mais il faut avoir conscience des spécificités de notre métier.

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