Intervention de Sophie Ferry-Bouillon

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 13 mars 2019 à 14:5
Audition de mmes sophie ferry-bouillon avocate au barreau de nancy élue dominique attias ancienne vice-bâtonnière du barreau de paris et josine bitton membre du groupe « mineurs » du conseil national des barreaux

Sophie Ferry-Bouillon, avocate au barreau de Nancy, élue au Conseil national des barreaux :

C'est frappant de constater que les infractions sexuelles ont principalement pour cadre le milieu familial. Enfin, c'est ce que nous disent les statistiques. Est-ce un reflet fidèle de la réalité ? C'est tout l'enjeu du travail que vous avez entrepris : savoir révéler ce qui est caché.

Dernièrement, la conjonction de la montée de l'individualisme dans nos sociétés et de la désacralisation des institutions a conduit à une libération de la parole. Le législateur que vous êtes doit accompagner ce mouvement pour faciliter cette libération et l'accueil de cette parole.

Vous nous demandez si l'arsenal juridique est suffisant. Toute la profession s'accorde à dire qu'il l'est. Il existe des mesures de protection en amont et en aval. En amont, je vise les obligations de signalement, qui renvoient au secret professionnel, que j'aborderai plus loin. Il y a aussi le temps de l'enquête, avec le contrôle judiciaire et les interdictions éventuels, pour protéger les mineurs.

En aval, il y a bien sûr les textes répressifs, qui nous paraissent très complets.

En revanche, ce qui nous inquiète, c'est le chiffre de 70 % de classements sans suite, ce qui renvoie au manque de moyens, humains et financiers. Quand un mineur porte plainte contre un autre mineur dans un cadre institutionnel, on se contente souvent du « parole contre parole » pour abandonner les poursuites, car on n'a pas les moyens d'enquêter de manière plus approfondie, par exemple dans l'entourage des mis en cause. C'est trop compliqué, trop périlleux. Ce faisant, on laisse peut-être d'autres victimes sur le bord du chemin et on laisse planer un risque sur la société.

Sur la prescription, la tendance est à l'allongement des délais. C'est peut-être insuffisant, mais nous sommes confrontés à des impératifs constitutionnels. Par ailleurs, il faut avoir en tête que le procès n'est pas la solution à tout. Il peut être très violent et contribuer à fragiliser davantage une victime.

Le recueil de la parole de l'enfant, en revanche, est insatisfaisant. Nous avons des professionnels, qui, même avec la meilleure volonté du monde, ne sont pas formés à recueillir la parole de l'enfant. Il y a de surcroît des inégalités de traitement selon les juridictions, les territoires où cette parole sera recueillie. C'est notamment beaucoup plus compliqué en milieu rural.

Je suis sidérée de voir des mineurs se rendre seuls dans des commissariats de police. Un accompagnement par des avocats est parfois organisé dans certains parquets, mais c'est loin d'être le cas partout.

Il faut une formation bien particulière pour savoir poser les bonnes questions à un mineur. Si on ne pose pas les bonnes, on n'aura pas les bonnes réponses. Tout se joue à ce stade. Cela peut être préjudiciable à un éventuel procès, mais également traumatisant pour l'enfant qui devra plusieurs fois répondre aux mêmes questions. L'enregistrement est un garde-fou, mais des problèmes peuvent toujours arriver à ce stade.

Sur le suivi sociojudiciaire et sur le suivi en détention, il y a, là aussi, un manque criant de moyens. Il y a trop peu de psychiatres en prison et le système se repose trop souvent sur les traitements médicamenteux. On peut donc s'interroger sur l'intérêt de l'injonction de soins.

Je conclus sur le problème de la conciliation entre obligation de signalement et secret professionnel. Ce dispositif juridique est très complexe et beaucoup d'obligations sont méconnues. D'abord, soyons clairs, le secret de la confession n'est absolument pas couvert par la loi sur le secret professionnel. C'est une loi canonique qui ne s'impose absolument pas dans notre ordre juridique. Ensuite, le secret professionnel peut être levé par certaines professions, notamment les médecins qui auraient à connaître de maltraitances sexuelles ou physiques envers des enfants. Mais c'est parfois difficile pour eux de se repérer dans ce maquis législatif. Une simplification serait peut-être salutaire. L'article 40, enfin, qui fait obligation aux fonctionnaires de dénoncer des infractions dont ils auraient connaissance dans leur activité, n'est pas suffisamment connu. La lourdeur de sa mise en oeuvre pose de surcroît question.

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