Intervention de Anouar Kbibech

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 13 mars 2019 à 14:5
Audition de M. Anouar Kbibech vice-président du conseil français du culte musulman

Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman :

Madame la présidente, mesdames les sénatrices, je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation et vous dire le plaisir que j'ai à intervenir au nom du CFCM sur une question cruciale, qui nous interpelle tous, mais à propos de laquelle, pour une fois, le culte musulman n'est pas le premier concerné. D'autres problématiques nous touchent plus directement...

Le CFCM a été mis en place en 2003, afin de parler au nom du culte musulman, et non des musulmans de France. Nous avons vocation à intervenir sur un certain nombre de questions relatives à la pratique du culte, que ce soit en matière de formation des imams, de construction des mosquées, d'abattage rituel, ou de pèlerinage à La Mecque, sujets pratiques qui concernent le citoyen français de confession musulmane.

Dans ce cadre, nous sommes des interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics, des ministères - intérieur, santé pour les aumôniers dans les hôpitaux, justice pour les aumôniers des prisons, défense pour les aumôniers militaires, affaires étrangères et tourisme pour l'organisation du pèlerinage. Le CFCM et ses antennes régionales, les conseils régionaux du culte musulman (CRCM) sont également les interlocuteurs des différentes administrations, préfectures, mairies pour jouer un rôle de facilitateur, par exemple en matière de construction d'un lieu de culte ou d'une mosquée.

Concernant la question des violences qui auraient été commises ou dont des imams ou des responsables en contact avec des mineurs dans le cadre du culte musulman se seraient rendus coupables, jamais le CFCM ou les CRCM n'ont été saisis de questions de cette nature.

Ainsi que vous le savez, il n'existe pas de clergé dans l'islam ni de hiérarchie. Les imams sont des personnes comme les autres. Ils ne sont pas soumis à une obligation de célibat et sont parfois actifs dans la vie civile. Très peu d'imams se consacrent totalement à la conduite de la prière ou à l'exercice de la fonction d'imam. On considère qu'il existe environ 2 500 mosquées ou lieux de culte musulman en France. D'après les statistiques, on compte 1 500 à 1 800 imams. Très peu sont des professionnels.

L'imam n'a donc pas de statut particulier du point de vue civil ou religieux. Ce ne sont d'ailleurs pas forcément des religieux. D'ailleurs, la question de l'imam est relativement souple dans la religion musulmane. Quand un groupe de fidèles se retrouve dans une mosquée ou ailleurs, c'est celui qui connaît le plus grand nombre de versets du Coran qui conduit la prière et devient imam. Cette banalisation fait qu'il y a très peu de cas d'agressions ou de suspicions d'agressions sexuelles.

En préparant cette audition, j'ai essayé de répertorier les quelques cas qui sont remontés à la surface, soit qu'ils aient été médiatisés ou qu'ils aient donné lieu à des poursuites judiciaires. J'en ai trouvé deux ou trois en remontant sur vingt ans. On en recense un à Mulhouse, en mai 2001. Il s'agit d'attouchements sur des fillettes de onze ans et treize ans pendant des cours d'arabe ou des cours de religion. Ceci a donné lieu à une plainte de la famille. En août 2007, en Meurthe-et-Moselle, un imam qui pratiquait des séances de désenvoûtement ou d'exorcisme a été accusé de procéder à des attouchements sexuels sur deux hommes majeurs, qui ont porté plainte. Le troisième cas, le plus récent, date de janvier 2016, et s'est déroulé aux Mureaux, où un enseignant a été accusé d'agression sexuelle sur des fillettes de onze ans pendant des cours à domicile.

Ces cas restent marginaux et ne constituent pas un sujet de préoccupation majeur pour le culte musulman, notamment en France.

Le CFCM mène-t-il une réflexion pour faire face à ce type de situation ? Vu le nombre pratiquement inexistant des cas, ceci ne fait pas partie des priorités du CFCM. Il n'existe pas de réflexion spécifique sur cette question. La consigne est cependant donnée aux responsables des mosquées, le cas échéant, de se rapprocher immédiatement des autorités compétentes, police ou justice.

Un cas a été récemment signalé dans une mosquée d'Île-de-France, où quelques femmes majeures se sont plaintes d'attouchements sexuels durant des séances de désenvoûtement. Nous avons immédiatement invité les responsables de la mosquée à procéder à un signalement auprès de la police et de la justice.

S'il n'existe pas de référent sur ces questions au sein du CFCM, une permanence administrative est cependant assurée à notre siège. Nous y recevons des appels de la part de citoyens français de confession musulmane ou de responsables de mosquée, voire d'imams, sur des questions liées à la pratique du culte. Il y a toujours possibilité de recevoir des plaintes ou des appels de personnes que l'on oriente vers des référents s'agissant de telle ou telle question, mais celles-ci ne concernent pas, pour le moment, des cas d'attouchements ou de suspicion d'agression sexuelle.

Bien sûr, il existe aussi dans les mosquées des dispositifs d'écoute. Le responsable de la mosquée est tout le temps au contact des fidèles, des parents et des familles en cas de besoin. Dans les grandes mosquées, on trouve même des cellules d'écoute dotées d'assistantes sociales. C'est le cas, par exemple, de la grande mosquée de Strasbourg, ou de la grande mosquée d'Évry-Courcouronnes. Si des cas de cette nature devaient survenir, ces cellules d'écoute pourraient servir de relais en cas de besoin.

Le CFCM informe-t-il systématiquement les autorités administratives ou judiciaires ? Pour le moment, le cas ne s'est pas présenté, mais la consigne est passée aux responsables des mosquées ou aux imams. On est parfois confrontés à des détections de cas de radicalisation où, de manière préventive, on peut être amené à sensibiliser les autorités administratives ou judiciaires en cas de menace à l'ordre public ou à la sécurité, mais pas dans le cadre d'agressions sexuelles supposées.

Concernant les actions de prévention, il faut tout d'abord dire que, dans la religion musulmane, toute relation sexuelle est très « réglementée ». La religion musulmane n'autorise aucun rapport sexuel hors mariage. Une agression de mineur par un imam constituerait en outre une circonstance aggravante. La religion musulmane ne se pose pas la question de savoir si la pédophilie est un péché ou non : c'est un terrible péché ! On franchit là en effet toutes les lignes rouges.

Certaines actions peuvent être renforcées. Le CFCM a procédé à la mise en place d'une charte de l'imam, qui exige que celui-ci respecte les valeurs et les lois de la République et modère son discours vis-à-vis des fidèles. Il doit aussi adopter un comportement irréprochable sur le plan moral. On pourrait renforcer cette charte le cas échéant.

Le CFCM a également établi une convention-type afin de préciser la relation entre l'imam et la mosquée. Aujourd'hui, cela se fait d'une manière informelle. Il n'existe pas forcément de contrat en bonne et due forme entre l'imam et la mosquée, précisant les droits et les devoirs de chacun. Cette convention-type est en train d'être généralisée. Nous y indiquons que l'imam ne doit pas procéder à certaines actions comme le fait de jouer le rôle de « rabatteur » pour l'organisation du pèlerinage à La Mecque, certains s'en chargeant moyennant finances, ou de procéder à un mariage religieux sans qu'il y ait eu un mariage civil au préalable.

La femme qui est dans ce cas de figure se retrouve en difficulté en cas de répudiation, puisqu'elle n'est pas protégée par la loi civile. C'est d'ailleurs une pratique qui est punie sur le plan pénal. Nous exigeons dorénavant dans cette convention que le mariage religieux ait lieu après le mariage civil.

On pourrait renforcer cette convention-type, mais force est de constater que les cas ne se multiplient pas. Cette question ne constitue donc pas pour nous une préoccupation s'agissant du comportement des imams ou des responsables au sein des mosquées.

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