Nous accueillons aujourd'hui M. Bernard Bajolet, Ambassadeur de France, ancien coordonnateur national du renseignement et ancien Directeur de la DGSE, auteur d'un ouvrage récent sur le Moyen-Orient Le soleil ne se lève plus à l'est, dont le sous-titre pique la curiosité : « Mémoires d'Orient d'un ambassadeur peu diplomate ».
Cette audition prolonge celle du ministre de l'Europe et des affaires étrangères il y a un mois, également sur la situation au Moyen-Orient, ainsi que celle du chercheur Pierre Razoux il y a 15 jours. Par ailleurs, nous entendrons de nouveau le ministre cet après-midi, sur la question des minorités au Moyen-Orient, sujet sur lequel le Sénat est pleinement mobilisé, comme nous avons pu le voir récemment avec l'adoption de la résolution du Sénat sur la justice transitionnelle en Irak.
Je rappelle aussi que notre commission a choisi de consacrer cette année une de ses missions d'information à cette région très sensible, plus précisément centrée sur la Jordanie.
Monsieur l'Ambassadeur, à la lecture de vos mémoires, de très nombreuses questions viennent à l'esprit. Je rappelle que vous avez été notamment ambassadeur en Jordanie, en Bosnie, en Irak, en Algérie, et en Afghanistan.
Pour ma part, j'aurai trois questions liminaires à vous poser. La première est assez générale, elle porte sur la notion que l'on entend parfois dans le débat français de « politique arabe de la France ». Quand on regarde la situation actuelle, la somme des crises et des menaces dans cette région, et la difficulté que la France a à peser dans ces dossiers, je serais tenté de vous demander si vous pensez qu'il y a, aujourd'hui, une « politique arabe de la France », et si oui, quelle est-elle ? Rétrospectivement, ne sommes-nous pas allés, finalement, d'hésitations en hésitations, suivant le cours des événements dramatiques de la région, plutôt qu'en les anticipant ou modifiant ?
Ma deuxième question porte sur notre partenaire américain, que vous connaissez particulièrement bien, et son effacement stratégique aux multiples conséquences : quel est, selon vous, l'agenda américain dans le Moyen-Orient à moyen-long terme ?
Enfin, vous avez dans votre livre une formule frappante sur les chrétiens d'Orient : « Lors des conflits qui ont dévasté l'Orient au cours des dernières décennies, les chrétiens ont parfois été perçus dans l'imaginaire des populations musulmanes comme les alliés de l'Occident, et y remplacèrent les juifs, quasiment disparus, dans le rôle d'ennemis intérieur ». Finalement, ne sommes-nous pas les témoins d'une transformation, sans précédent dans l'histoire, de cette région ? Ce Moyen-Orient qui a toujours été un carrefour de rencontre et de mélange des peuples, n'est-il pas soumis, depuis le milieu du XXème siècle, à un processus continu d'épuration ethnique et religieuse à grande échelle, qui finalement lui fait tourner le dos à son histoire, pour en écrire une nouvelle, radicalisée et appauvrie ?
Monsieur l'Ambassadeur, je vous donne la parole pour une dizaine de minutes, puis mes collègues vous poseront des questions. Je rappelle que cette audition est filmée et retransmise sur le site internet du Sénat.