Le sujet est tellement vaste que si je balaie ce qui dépasse strictement le Moyen-Orient mais que l'on appelle l'« arc de crise », je crois que mon intervention liminaire durerait toute la matinée. Vous vous rappelez que cette notion d'« arc de crise » remonte au Livre blanc de 2008. Cet excellent document a marqué un tournant dans notre stratégie et mis en avant la fonction « connaissance et anticipation », c'est-à-dire la fonction de renseignement, ainsi que sa relation, en particulier avec cet « arc de crise » qui court de l'Afghanistan au Maroc et inclut aussi au sud le Sahel, qui est une zone particulièrement sensible pour la France. Au sein de l' «arc de crise», on peut se concentrer en effet sur la zone Proche et Moyen-Orientale.
La « politique arabe de la France » est une expression qui est née au moment de la « Guerre des Six jours » de 1967. Elle fut vite abandonnée par le Quai d'Orsay car dans cette région, il y a des pays comme Israël et l'Iran qui ne sont pas arabes. Toute cette région méditerranéenne, et au-delà de la Méditerranée, représente une zone d'intérêt majeur pour la France - c'est notre étranger proche - et il est important d'avoir, sinon une politique arabe, une politique à l'égard de cette région.
À la suite du conflit de Syrie, quand on regarde la situation sur place, on constate que la Syrie et le Liban étaient un des axes d'intérêt majeur de la France, des pays sur lesquels la France a exercé des responsabilités historiques.
Lorsque j'étais à Damas, j'avais le sentiment que nous étions davantage focalisés sur le Liban et pas suffisamment sur la Syrie. Hafez Al-Assad nous le reprochait souvent. Sous Claude Cheysson, nous avions ouvert un magnifique centre culturel à Damas qui s'est trouvé trop petit, nous avions un lycée français, il y avait la mission laïque, dans lequel ont été formés les fils du président actuel. Nous avions un bureau de liaison à Alep que nous avions baptisé « consulat général » dans un palais ancien, le palais de Venise. Notre influence s'est ainsi de nouveau développée à Alep. On avait une école française à Alep. Tout cela paraît en grande partie perdu dans le conflit récent.
La question se pose de savoir si la France aurait pu avoir une politique différente de celle qu'elle a pratiquée. Nous pourrons en reparler. Notre marge de manoeuvre n'était pas immense face à Bachar el-Assad. D'ailleurs quatre présidents s'y sont « cassé les dents », si je puis dire : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande qui n'a pas essayé car les circonstances ne s'y prêtaient pas, et Emmanuel Macron lui-même en est revenu quasiment à la case départ. Mais on a quelques atouts en Syrie, en dépit des apparences, dont je pourrais parler plus tard.
L'Irak est un pays où la France paraissait complètement marginalisée, après le discours de Dominique de Villepin en février 2003 refusant l'intervention. Au départ, nous étions des parias. Les Américains expliquaient aux Irakiens qui y croyaient notre opposition en raison des intérêts notamment économiques qui la liait au régime de Saddam Hussein, ce qui était complètement faux. Les Irakiens tous partis confondus se sont rendu compte que c'était pour d'autres raisons que la France s'opposait à l'intervention. Aujourd'hui on est loin de cela.
Nous avons un jeu important à jouer dans ce pays sous l'influence, de fait, des États-Unis et de l'Iran, qui ne s'entendent guère entre eux, la France peut jouer le rôle de troisième larron ; d'autant plus qu'elle parle à tout le monde, ce qui a toujours été le cas, sauf les terroristes naturellement.
Le Premier ministre Adel Abdel Mehdi est francophone et francophile. Il a beaucoup d'expérience mais aussi beaucoup de difficultés.
Le Premier ministre n'a pas pu constituer complétement son gouvernement. Il y a au Parlement deux blocs rivaux et équivalents qui n'ont pas la même sensibilité mêmes s'ils sont dominés par des chiites.
Donc, il y a un rôle pour la France même si elle n'a pas réussi son rétablissement dans le domaine pétrolier.
L'Irak n'a pas résolu son problème de fond qui est la marginalisation des sunnites ce qui fournit le terreau au terrorisme. Celui-ci a perdu ses bases territoriales mais les problèmes qui l'alimentaient demeurent. Le terrorisme restera dès lors toujours une menace. C'est un problème non résolu.
La France a pu renforcer ses relations avec l'Iran à la suite de l'accord sur le nucléaire du 14 juillet 2015. Cet accord est aujourd'hui remis en cause par l'administration américaine qui paraît vouloir jouer la politique du pire en favorisant finalement - c'est l'effet sinon les objectifs - les radicaux par rapport aux modérés. L'Iran a des difficultés puisqu'officiellement la production pétrolière a diminué de plusieurs centaines de milliers de barils/jour, ce qui met le gouvernement en difficulté.
Les Etats-Unis reprochent à l'Iran le développement de son influence régionale mais ce sont les premiers à l'avoir promue. Les États-Unis ont mis au pouvoir en Irak des chiites pro-iraniens, et la dérobade d'Obama en août 2013 leur a ouvert la voie en Syrie ainsi qu'aux Russes. Ils trouvent maintenant que l'Iran a trop d'influence. Ceci est un peu paradoxal.
S'agissant du processus de paix israélo-palestinien, vous vous interrogiez sur la voix de la France. Je trouve que cette voix est bien faible et que l'on ne l'entend pas beaucoup sur ce problème majeur.
Les faits qui se sont inscrits sur le terrain notamment les implantations juives dans des territoires palestiniens font que maintenant la solution à deux États est extrêmement difficile.
Il est toujours dangereux, même si les Palestiniens paraissent résignés, de parier sur la résignation des peuples. Malgré tout, je reste très admiratif de la confiance que certains interlocuteurs, certains intellectuels israéliens comme palestiniens paraissent encore avoir. Je lisais des propos tenus récemment par un ancien responsable du service intérieur, M. Ami Ayalon, qui, lui, continue à croire à une solution à deux États et qui préconise un gel des implantations hors croissance naturelle à Jérusalem-Est et dans les gros blocs de colonies... Il y a des personnes qui continuent à croire à une solution à deux États. Ces personnes y croiront d'autant plus qu'ils seront soutenus par d'autres pays dont la France. Mais je reconnais qu'on n'entend guère notre voix sur ces sujets-là. Or si la France dispose d'un réseau diplomatique très étoffé, c'est aussi la voix du droit et de la justice et quand elle dit le droit et la justice, la France a des chances d'être entendue.