Je ne le crois pas. Je n'exprime là que mon avis personnel, mais on ne peut fermer les yeux sur la réalité du régime d'el-Assad. La France, comme d'autres grands pays démocratiques, ne répugne pas à traiter avec des dictateurs, elle l'a déjà fait, si c'est dans son intérêt. Mais il s'agit là d'un régime qui est accusé de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité avérés. Une procédure est engagée en France. La realpolitik a ses limites, il y a une balance à opérer entre nos valeurs et nos intérêts. Dans ce cas, je pense qu'elle penche en faveur de nos valeurs. Il s'agit d'un régime qui a tout de même trahi trois présidents français !
Les services secrets, eux, peuvent traiter avec tous types de régimes, si cela reste secret. Il faut tout de même avoir des canaux de communication. Cela n'a pas été possible en Syrie : nous avons eu, fin 2013, des contacts, mais des agents des services extérieurs et intérieurs français, censés participer à une réunion au Liban, s'étaient retrouvés en quelque sorte « piégés » dans le bureau du chef de la sécurité intérieure de Bachar el-Assad, qui conditionnait la coopération avec les services syriens à la réouverture de l'ambassade. Ce contact avait ensuite été rendu public par Bachar ! On ne pouvait donc pas maintenir des relations dans ces conditions-là.
La coopération avec les services de renseignement syriens n'a d'ailleurs, de mon expérience, jamais rien donné, car ce qui les intéresse, c'est de suivre leur opposition intérieure et non la lutte anti-terroriste. Au contraire, puisqu'en mars et juin 2011, Bachar el-Assad a fait libérer des centaines de djihadistes dont certains sont devenus des cadres d'Al-Qaïda et de Daesh. J'ajouterai que nos partenaires européens qui ont gardé des liens avec le régime, notamment par le biais des services de renseignement syriens, n'ont pas de résultats en matière de coopération dans la lutte anti-terroriste.
Que faut-il faire alors ? La France a des atouts. Nous avons soutenu un certain nombre de groupes d'opposition. En particulier les Kurdes, pas pour des raisons idéologiques mais parce qu'il s'agit des partenaires les plus fiables dans la lutte contre Daesh que nous n'aurions pas pu vaincre sans eux. Les Russes et les Iraniens, contrairement à ce qu'ils prétendaient, ne s'intéressaient pas du tout à la lutte anti-terroriste. Leur but était de soutenir le régime, et ils se sont attaqués aux groupes modérés les plus dangereux pour le régime. C'est grâce aux Kurdes, aux Forces démocratiques syriennes aussi, que Daesh a été chassé du nord de la Syrie. Nous les avons beaucoup aidés, la France était à Kobané bien avant les Américains.
Ce n'est que mon avis personnel, mais j'aurais été très heureux si les Kurdes avaient pu contrôler la frontière syro-turque en Syrie et faire la jonction entre la Rovaja et Afrin. Il n'y a à ma connaissance jamais eu d'infiltration djihadiste dans les zones contrôlées par les Kurdes. La contrepartie, c'était évidemment l'interdiction absolue pour les Kurdes d'attaquer la Turquie, qui est un allié. Cela n'a pas été possible parce que la Turquie n'était évidemment pas d'accord et que les Américains ont finalement soutenu la prise d'el-Bab par la Turquie en février 2017. Les Russes ont ensuite lâché les Kurdes à Afrin, pour prix de leur rapprochement avec la Turquie et du processus d'Astana. La jonction n'a donc pas pu se faire.
Il y a des questions presque existentielles qui se posent ici pour notre politique étrangère. Allons-nous, après le retrait américain, continuer à protéger les Kurdes ? Allons-nous les abandonner ? En avons-nous les moyens militaires, diplomatiques, et comment justifier l'effort de défense sinon ? Au fond, la question c'est de savoir si la France est une grande puissance ou non. Nous avons aussi comme atout d'avoir appuyé les groupes d'opposition modérée - mais avec lesquels le régime n'a pas intérêt à négocier aujourd'hui.
Autre atout pour la France en Syrie, c'est l'Europe. Il faudra reconstruire la Syrie, et ni la Russie ni l'Iran ne pourront le faire seuls. Il y aura besoin de l'Europe, il faudra une politique européenne cohérente, qui n'existe peut-être pas encore. La France, l'Allemagne, d'autres, auront leur mot à dire. Ceci ne devrait pas être inconditionnel.
Le retrait américain n'est pas nouveau. La politique de Trump s'inscrit dans la continuité de celle d'Obama. C'est Obama qui a décidé le retrait des troupes américaines d'Afghanistan. L'ensemble des troupes de la coalition est passé de 140 000 à 14 000. On ne peut réussir à faire avec 14 000 soldats ce que l'on n'a pas réussi à faire avec 140 000. Les Américains sont aujourd'hui engagés dans des négociations assez étranges avec les talibans, menées par Khalilzad, ancien ambassadeur américain en Afghanistan. J'ai des interrogations. Le gouvernement afghan est laissé de côté, marginalisé dans ces négociations, alors que nous l'avions inclus lors des réunions de Chantilly.
Le retrait américain avait commencé sous Obama, tout comme le retrait d'Irak. En Irak, l'administration Obama souhaitait maintenir des hommes mais n'a pas pu à cause d'un désaccord sur la question des immunités des soldats américains. Ils sont revenus en 2015 pour combattre Daesh, et évoquent de nouveau un retrait. Tout cela ne doit pas nous surprendre. Trump n'a pas de parole d'une heure à l'autre, ce qui est préoccupant, mais à plus long terme il est prévisible : il fait ce qu'il a dit dans sa campagne. Il y a une logique.
Mais au niveau français, et européen, nous avions vivement critiqué la politique étrangère américaine, appelé à la multipolarité au temps de Jacques Chirac. Aujourd'hui, nous ne sommes pas contents parce que les Américains se retirent. Il faut savoir ce que l'on veut. Doit-on s'inquiéter du retrait américain alors que les interventions américaines n'ont pas toujours produits les résultats escomptés : Afghanistan, Irak ? Dans quelle mesure la France, l'Europe, sont-elles prêtes à assumer pleinement leurs responsabilités ?
L'accord nucléaire iranien n'est pas parfait car il dispose que, dix ans après son entrée en vigueur, les Iraniens ne seront plus tenus de limiter leur programme d'enrichissement d'uranium. Par ailleurs, cet accord ne comprend pas de volets balistique et militaire, alors même que le programme nucléaire iranien ne répondait à aucune politique industrielle civile, ce qui inquiétait légitimement Israël. Toutefois, la « politique du pire » n'est pas la solution !
Dans le monde arabo-musulman, on assiste à une sorte d'épuration ethnique qui a d'abord visé les juifs - sous la pression du conflit israélo-palestinien et de la politique migratoire israélienne -, puis les chrétiens d'Orient et d'Afrique du Nord. Seuls le Liban et l'Égypte ont conservé d'importantes minorités chrétiennes, mais elles sont la cible d'attentats. Le Proche et le Moyen-Orient ainsi que l'Afrique du Nord ont ainsi perdu une part conséquente de leur « biodiversité ethnique », sans qu'il existe de moyen d'enrayer cette hémorragie. Dans ces régions, l'Islam ne dialogue donc plus qu'avec lui-même...