Ce moment de rencontre est important pour vous présenter l'action de l'Autorité et pour entendre quelles sont vos priorités en matière de concurrence.
En 2018, le nombre de concentrations que nous avons examinées reste extrêmement important, signe d'une activité économique dynamique dans notre pays. Les décisions de l'Autorité concernent tous les secteurs : distribution, santé, professions règlementées, médias, numérique, transports, BTP, services, énergie et agriculture.
Quelques affaires concernant des pratiques anticoncurrentielles me semblent importantes. À la fin de l'année dernière, nous avons rendu un avis sur l'affaire Stihl qui portait sur le statut des ventes en ligne de matériels de motoculture. Pour la première fois, une autorité nationale se prononçait après la décision de référence de la Cour de justice de l'Union européenne sur l'affaire Coty qui portait sur la capacité d'une entreprise à limiter les ventes en ligne. Nous avons posé des principes importants en condamnant le fait que l'entreprise interdisait de facto la vente en ligne de ses produits.
Nous avons sanctionné un cartel dans le domaine des produits électro-ménagers, dits « produits blancs ». La sanction s'est montée à 190 millions d'euros car cette entente avait duré plusieurs années. Toutes les entreprises concernées ont choisi la transaction avec l'Autorité : à cette occasion, nous avons démontré l'intérêt des procédures de clémence puisque l'amende de l'entreprise Bosch a été réduite de plusieurs dizaines de millions d'euros.
Nous avons également sanctionné des pratiques monopolistiques en matière de déchets hospitaliers en Corse. La sanction infligée à la PME incriminée n'était pas d'un montant considérable mais c'est la première fois que l'Autorité sanctionnait des prix excessifs, notion assez peu utilisée jusqu'alors. Cette notion est pertinente pour protéger les entreprises qui dépendent d'un monopole, comme c'était le cas dans cette affaire : cette PME avait augmenté ses prix de façon brutale et disproportionnée en profitant de sa position monopolistique.
Enfin, nous avons infligé une sanction à Fnac-Darty qui n'avait pas respecté toutes les obligations de cessions qu'elle avait souscrite lorsque nous avons autorisé le rapprochement des deux entreprises.
En matière de contrôle des concentrations, nous avons accepté le rapprochement des deux plateformes numériques, Seloger et Logic-Immo. Nous avons appliqué les nouveaux concepts propres à l'économie numérique : marchés bifaces et effets de réseaux. Nous avons autorisé la création d'un acteur européen de grande taille, un leader français avec de grandes parts de marché : le droit de la concurrence n'est donc pas antinomique de la constitution d'entreprises européennes, dès lors que la concurrence continue à s'exercer sur le marché.
Nous nous sommes aussi prononcés sur le rapprochement entre distribution numérique et physique. Nous avons ainsi autorisé le rapprochement entre Sarenza et Monoprix et entre André et Spartoo. C'est ce que nous appelons le « phygital », c'est-à-dire la fusion entre la distribution physique et digitale. Nous allons y consacrer une étude spécifique dans les prochains mois, car nous devons anticiper cette importante évolution.
La décision Cofigéo porte sur un rapprochement problématique dans le secteur des produits alimentaires transformés. Nous avions demandé à l'entreprise de céder certaines unités et licences. Pour la première fois, le ministère de l'économie a décidé d'intervenir, comme la loi l'y autorise depuis la création de l'Autorité en 2008, car il estimait que notre décision pouvait être reconsidérée pour des motifs d'emplois et de développement industriel, qui dépassent l'analyse concurrentielle stricto sensu.
Enfin, beaucoup d'opérations importantes dans le secteur de la distribution ont eu lieu outre-mer. Nous avons rendu trois décisions en la matière : nous avons ainsi autorisé un rapprochement tout en maintenant la concurrence, car nous sommes très sensibles à l'effet de ces concentrations outre-mer où les hausses de prix peuvent être nocives.
À la demande du Gouvernement ou du Parlement, nous avons dû rendre des avis très rapidement, notamment sur la publicité en ligne en début d'année dernière. Cet avis a fait référence y compris au niveau international, puisqu'il a inspiré d'autres autorités, notamment allemande, australienne et canadienne, à se pencher sur ce sujet. Nous avons récemment rendu un avis sur l'audiovisuel qui démontre que les évolutions en cours font émerger des concurrences entre les chaînes de télévision traditionnelles et les nouveaux acteurs comme Netflix ou Amazon. Nous avons insisté sur les différences entre les cadres réglementaires applicables : de multiples contraintes législatives pèsent sur les acteurs traditionnels, alors que les nouveaux acteurs peuvent produire librement et diffuser de la publicité ciblée, interdite à la télévision. Il y a urgence à alléger les contraintes sur les acteurs traditionnels pour rééquilibrer le jeu concurrentiel.
Concernant l'évolution européenne, une directive très importante vient renforce les autorités de concurrence en Europe : le rapprochement du pouvoir des autorités, qui tire les conséquences du succès du réseau européen de concurrence, est en marche. Les autorités en Europe vont pouvoir prononcer des sanctions administratives avec des montants dissuasifs, même pour les associations d'entreprises car les plafonds actuels vont être supprimés. Le secteur économique doit avoir conscience de ce changement important. Les autorités auront également le droit de prononcer des injonctions structurelles et de se saisir d'office pour prononcer des mesures conservatoires. Ce dispositif d'urgence permettra d'intervenir très vite en l'attente de la décision au fond ne soit prise. Dans le cadre de la clémence, un statut d'immunité pénale sera créé, et pourra, dans certaines conditions, s'appliquer aux dirigeants d'entreprise. Enfin, les autorités pourront se prononcer sur l'opportunité des poursuites pour rejeter des plaintes qui ne seraient pas prioritaires. Ces mesures figurent dans la loi Pacte qui doit revenir au Sénat début avril, et seront complétées par d'autres mesures propres de droit interne : l'Autorité sera ainsi plus réactive.
Concernant le projet de fusion entre Alstom et Siemens, le débat a été nourri et nous l'avons suivi de près en échangeant régulièrement avec le Gouvernement et la Commission européenne. Il ne nous revient pas de commenter dans le détail la décision prise par l'Europe - notamment en ce qui concerne l'appréciation de la pénétration chinoise sur le marché européen - mais rappelons que la politique européenne en matière de concentration prend en compte le bénéfice escompté pour les consommateurs et les entreprises. En outre, la politique industrielle et l'équilibre des relations commerciales passent aussi par d'autres instruments : peut-être faudrait-il réviser la politique européenne en matière d'aides d'État. Enfin, les relations avec d'autres régions du monde relèvent plus d'outils propres au commerce international que de la politique européenne de la concurrence.
J'en viens au numérique : concernant les concentrations, nous ne proposons pas de substituer un contrôle ex post au contrôle préalable, mais d'ajouter un contrôle supplémentaire pour éviter des opérations non décelées. Notre proposition a été mise en débat lors des états généraux du numérique. Lorsque le Premier ministre est venu pour le dixième anniversaire de l'Autorité, il a indiqué qu'il était ouvert à cette évolution : il s'agit de lutter contre les acquisitions prédatrices pour réduire la concurrence dans le secteur du numérique mais aussi dans celui des médicaments ou de la biotech, le but étant d'intervenir sur des concentrations qui se trouvent sous les seuils d'autorisation mais qui peuvent avoir un effet nocif sur la concurrence. Par exemple, le rachat de Whatsapp par Facebook a des effets durables sur le marché mais il n'a pas été soumis au contrôle de concentration, car l'entreprise dite « cible » n'a pas de chiffre d'affaires.
Dans le secteur du numérique, nous restons très mobilisés : en début d'année, nous avons demandé à Google de suspendre sa décision à l'égard d'une PME française et nous lui avons demandé de préciser les règles qu'il appliquait en matière de publicité en ligne, afin de clarifier ses relations avec les entreprises qui travaillent avec lui.
Avec l'autorité allemande, nous présenterons cet été un panorama sur les algorithmes et sur les problèmes juridiques qui émergent, notamment en matière de charge de la preuve pour déceler et sanctionner les collusions tarifaires par algorithme.
J'avais proposé au Gouvernement de créer une unité numérique : à ce jour, je n'ai pas été entendue, mais je ne perds pas espoir de le convaincre d'agir, alors que les Anglais en ont une et que les Américains ont annoncé la mise en place d'une cellule de ce type. Il ne faudrait pas que la France soit en retard.
Prochainement, nous allons avoir un échange avec Mme Laure de la Raudière qui a rédigé un rapport sur les blockchains et avec un universitaire spécialiste de ces questions pour décrypter ces nouvelles problématiques.
Concernant les sujets de la loi EGALIM, notre avis sur le seuil de revente à perte (SRP) a été assez négatif. Nous avons estimé que le relèvement de ce seuil ne serait pas automatiquement favorable aux producteurs agricoles. Ce dispositif pourrait favoriser certains fournisseurs tout en réduisant le pouvoir d'achat des consommateurs, puisqu'il n'y a pas d'obligation de reversement aux agriculteurs. En outre, l'encadrement des promotions réduit la concurrence et touche aussi au pouvoir d'achat, notamment alimentaire.
Nous continuons à regarder de près les centrales d'achat : nous avons ouvert des investigations contentieuses sur les accords présentés en notification. Grace à la loi EGALIM, nous allons nous saisir des nouveaux pouvoirs qui nous sont dévolus. Pour la première fois, nous allons mener une enquête économique sur l'impact de ces accords en amont et en aval afin d'y voir plus clair sur les centrales d'achat.
Avec mes collègues étrangers et avec la Commission européenne, j'évoque régulièrement la question des centrales d'achat européennes car il ne faudrait pas qu'elles déterminent des référencements qui affectent la France sans que notre cadre réglementaire s'applique. Mais il est très difficile pour la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de contrôler des accords conclus hors de nos frontières.