L'analyse concurrentielle est toujours complexe, monsieur Chatillon : il faut considérer les parts de marché, mais aussi le marché pertinent et la dynamique concurrentielle sur ce marché. Une entreprise peut disposer de parts de marché importantes sans avoir la capacité d'en investir d'autres. La Commission européenne s'est interrogée sur la capacité des entreprises chinoises à venir concurrencer Alstom et Siemens sur les marchés européens, à savoir la signalisation et la grande vitesse. Au regard des appels d'offre passés et à venir, la Commission a estimé que les entreprises chinoises ne pourraient pas y répondre dans l'horizon temporel considéré. Le contrôle sur les concentrations européennes s'est mis en place depuis une quinzaine d'années et de nombreuses grandes entreprises européennes ont pu se constituer librement : voyez Bayer-Montsanto, Essilor-Luxottica, PSA-Opel... Le nombre de refus est resté assez limité.
En revanche, il est nécessaire de s'interroger sur la concurrence potentielle et la dimension temporelle à prendre en compte. Un acteur majeur peut être amené à intervenir sur un marché à brève échéance et avec des moyens très importants : c'est un des éléments que nous avions pris en compte lors du rapprochement entre Seloger et Logic-Immo car nous avons estimé que Facebook et Amazon étaient intéressés par ce marché et qu'il fallait anticiper cette évolution.
L'Autorité ne s'est en revanche pas penchée sur les publicités sur les produits de parapharmacie qui ne disposent pas d'AMM. Ce domaine est plutôt celui du ministère de la santé et de la DGCCRF.
Nous regardons de très près les acquisitions prédatrices, monsieur Dubois. La consultation que nous avons menée avec les entreprises et les avocats sur la refonte de notre contrôle des concentrations a donné lieu à des analyses internes pour voir s'il y avait eu des opérations non décelées. Des études universitaires ont également passé en revue les acquisitions pharmaceutiques de ces dernières années et elles ont démontré que 6 % d'entre elles avaient pour but de tuer un concurrent potentiel. Nous devons toutefois prendre en compte certains enjeux en termes de sécurité juridique pour les entreprises.
La Commission est ouverte à la réflexion sur les aides d'État. Il y a déjà eu des avancées récentes telles que les projets européens d'intérêt commun : un premier projet vient ainsi d'être autorisé. Il faut sans doute poursuivre la réflexion sur les aides d'État de manière plus fine, pour déterminer celles qui sont compatibles avec le marché unique.
L'asymétrie entre les anciens et nouveaux acteurs de l'audiovisuel est réelle, madame Renaud-Garabedian. Lorsque le contexte économique bouleverse un secteur, les règlementations n'évoluent pas assez vite. Ce fut le cas avec les taxis et les VTC, de même avec Airbnb et l'hôtellerie. La loi de 1986 sur l'audiovisuel a été modifiée à plusieurs reprises mais elle pèse fortement sur les acteurs historiques - les quotas de diffusion, les règles relatives à la publicité... Face à Netflix et aux autres géants, il faut réagir. La manne de la publicité télévisée des chaînes gratuites ou les ressources des chaînes payantes comme Canal + qui financent notre écosystème audiovisuel risquent de disparaître, alors que les acteurs sont déjà fragilisés. Le statu quo n'est donc plus tenable. Chacun doit se mettre autour de la table pour définir de nouvelles règles. Aux États-Unis, de formes innovantes de publicité se sont développées : il faut nous en inspirer pour éviter que les GAFA ne bénéficient de manière disproportionnée de la situation actuelle.
Les acteurs de l'audiovisuels sont soumis à de fortes contraintes lorsqu'ils définissent leur grille de programme, madame Bertrand : il est paradoxal d'interdire les films les vendredis et les samedis sur les chaînes de télévision alors que les géants du numérique les diffusent toute l'année. À l'usage, on voit aussi que les salles de cinéma n'ont pas souffert du visionnage de films sur les écrans domestiques. Nous devons donc donner aux acteurs historiques plus de liberté.
L'utilisation des données devient le coeur du réacteur des stratégies d'entreprises, monsieur Babary : ainsi, les tarifications se feront de manière individuelle, de même pour la publicité ciblée. La collecte et l'utilisation des données se sont développées sans que les utilisateurs en aient conscience, ce qui pose des problèmes de protection de la vie privée. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) est un acquis important. La CNIL a ainsi prononcé une première sanction de 50 millions pour non-respect de ce règlement. Ne faudrait-il pas que les professions s'autorégulent pour avoir moins recours aux données personnelles ? Notre analyse concurrentielle prend en compte les données et nous échangeons régulièrement avec la CNIL sur les thèmes de la concurrence et de la protection de la vie privée.
Nous n'avons pas été consultés sur la privatisation d'ADP et de la Française des jeux, madame Lamure. Lorsqu'un acteur privé - ou public - intervient sur plusieurs marchés, il convient d'être attentif. Nous avions ainsi conditionné la reprise de l'aéroport de Lyon par Vinci à diverses mesures compensatoires car nous nous interrogions sur le rôle de Vinci comme opérateur de l'aéroport et comme acteur du BTP. Cette reprise risquait d'impacter les PME présentes sur le site. Nous avons donc imposé la présence de la DGCCRF lors des appels d'offre pour s'assurer que les autres entreprises puissent avoir accès aux appels d'offre.
Certaines pratiques de démarchage sont effectivement préoccupantes, monsieur Gay : des consommateurs ont pu être lésés. Depuis notre décision sur Engie, les règles d'utilisation des bases de données sont claires. Cependant, il convient de rester vigilant sur les contrats d'énergie ; nous y veillerons avec la DGCCRF.
Notre avis sur l'outre-mer devrait être finalisé fin avril. Nous tirerons le bilan du bouclier qualité-prix qui a plutôt bien fonctionné à La Réunion et plutôt moins bien ailleurs. Les critères pourront être revus pour protéger le pouvoir d'achat mais aussi les productions locales. Nous verrons comment les prix se forment outre-mer, mais il est difficile d'accéder à toutes les données pour expliquer les prix élevés.
M. Duplomb m'interroge sur les contournements possibles de la loi EGALIM. Selon moi, c'est à la DGCCRF de se prononcer sur le caractère licite ou non de la pratique qui consisterait à redonner du pouvoir d'achat au consommateur grâce à une carte de fidélité. En tout cas, la réponse n'est pas évidente sur le plan juridique. Par ailleurs, je ne suis pas sûre que le profit que pourraient tirer les marques de distributeurs de la manne induite par le SRP pour concurrencer les marques nationales soit contraire à la loi ou à son esprit.
S'agissant des plateformes européennes, il existe effectivement un risque de contournement de la loi avec la possible mise en place de mécanismes « donnant-donnant ». Le Parlement pourrait peut-être se saisir de la question des centrales d'achat européennes, car le sujet se trouve aujourd'hui dans un angle mort, alors qu'il est digne d'intérêt.
En réponse à Mme Estrosi Sassone, je précise que la mise en concurrence des contrats de syndics ne résulte pas de l'une de nos propositions. Il est difficile de savoir si ce type de mesure peut induire un risque d'absentéisme ou de disproportion. Si les acteurs du secteur estiment qu'il ne s'agit pas forcément de la réponse appropriée, le constat de la nécessaire mise en concurrence des syndics est largement partagé. Par ailleurs, nous travaillons actuellement sur un avis dans le secteur de la santé, qui traitera notamment de la vente en ligne des médicaments, que nous rendrons au début du mois d'avril. Nous restons, quoi qu'il en soit, attachés au maintien du maillage des officines sur le territoire.
M. Courteau s'inquiète de la mise en demeure envoyée à la France concernant l'ouverture à la concurrence de ses concessions hydroélectriques. Le sujet est complexe et sur lequel nous échangeons avec la Commission européenne depuis plusieurs années. Il m'est difficile de me prononcer sur un dossier dont l'Autorité n'a jamais été saisie formellement. De façon générale, l'existence d'un opérateur dominant efficace n'est pas en soi contraire au droit de la concurrence.
Pour répondre à M. Bourquin, nous étions favorables à l'analyse de la Commission européenne sur la fusion entre Alstom et Siemens. Dans ce type d'opérations, nous intervenons dans le cadre d'un comité consultatif, qui permet à chaque autorité de donner son avis à la Commission européenne. Il faut noter que les syndicats des entreprises concernées ont manifesté leur opposition à la fusion par crainte de suppressions d'emplois, mais aussi que d'autres sociétés, ainsi que plusieurs pays, ont manifesté leur hostilité à l'opération. Cela montre que le réseau européen de concurrence est une réalité et qu'il n'y a pas forcément d'homogénéité entre les positions des uns et des autres.
En outre, nous nous saisirons des faits évoqués par M. Bourquin à propos de l'assurance emprunteur si nous détectons des pratiques contraires à l'esprit de la loi et à la concurrence. L'Autorité a déjà montré qu'elle n'avait pas peur de s'attaquer au secteur bancaire. Je pense à notre décision sur la gratuité de la délivrance des chèques et à notre action en faveur de la baisse des commissions sur les cartes bancaires. L'une des priorités de l'Autorité est de s'assurer que la concurrence est également bénéfique au consommateur.
Mme Loisier me demande si les sanctions de l'Autorité sont suffisamment dissuasives dans le secteur des télécoms. Si l'Autorité est autant intervenue et a prononcé autant de sanctions, c'est parce que les enjeux étaient importants et que l'on a observé de nombreuses pratiques anticoncurrentielles dans la phase d'ouverture à la concurrence du secteur. Je pense à la sanction de 350 millions d'euros infligée à Orange ou aux sanctions très élevées prononcées contre le « cartel des mobiles ». Si certains acteurs ont été condamnés à plusieurs reprises, c'est un peu la rançon de leur poids économique et de certaines pratiques, telles que le non-respect d'engagement souscrits.
M. Duran a évoqué la question des fusions entre distributeurs et acteurs du net. Aujourd'hui, tous les acteurs s'interrogent sur l'opportunité de s'allier à Amazon ; ils cherchent également à conserver un lien avec leurs clients : c'est tout l'enjeu de la livraison des produits alimentaires, à Paris notamment, et des nouveaux modes de distribution comme le drive, par exemple. Nous finaliserons cette année notre étude sur le « phygital ». De notre côté, nous échangeons régulièrement avec les acteurs du secteur, ce qui est essentiel pour bien comprendre les dynamiques du marché.
Je précise à M. Montaugé que l'Autorité de la concurrence a rendu un rapport relatif à l'impact de la normalisation sur le jeu concurrentiel en 2014. Nous avions expliqué à l'époque que cette normalisation pouvait favoriser des pratiques anticoncurrentielles, les acteurs dominant un secteur pouvant imposer des normes, qui empêchent les PME de trouver leur place sur le marché via des surcoûts. C'était le cas avec le développement du bois dans la construction. Notre rapport n'a malheureusement pas été pleinement suivi d'effets. Le sujet est donc toujours d'actualité, notamment en outre-mer : l'Autorité a montré que les règles en matière de construction étaient disproportionnées par rapport aux contraintes de l'habitat local et qu'il fallait peut-être imaginer une application différenciée des règles en outre-mer et en métropole.
Je comprends le sénateur Montaugé lorsqu'il dénonce la concurrence déloyale en Europe, avec des matériaux soumis à des règles moins contraignantes qu'en France. Cela étant, le consommateur est de plus en plus sensible à la qualité des aliments et à la certification environnementale des produits. On prend conscience que la production locale a un intérêt et constitue un critère de choix pour le consommateur.
M. Raison m'interroge sur la loi EGALIM et la question des interprofessions. Nous nous y sommes penchés de très près dans l'avis que nous avons rendu au Gouvernement l'an dernier. Nous avons bien défini ce qui nous paraissait compatible avec le droit de la concurrence et attendons la concrétisation de nos propositions du côté de la DGCCRF et du Gouvernement. Beaucoup d'acteurs du secteur sont mobilisés ; il faut voir si le mouvement né des États généraux de l'alimentation est suffisant pour porter cette dynamique.
Je partage l'inquiétude de M. Decool face à la possible pénurie de vaccins et de médicaments. Ce problème mérite une attention particulière des pouvoirs publics. Contrairement à certains pays étrangers, le prix des produits de santé est néanmoins très largement régulé en France, ce qui réduit le risque de spéculation.
Pour répondre à M. Gremillet, nous entendons nous saisir pleinement des dispositions nées de la loi EGALIM et nous servir des mesures conservatoires. Je le rappelle, nous nous sommes autosaisis des accords qui nous ont été notifiés l'an dernier et les enquêtes devraient déboucher très prochainement. Je ne pourrai en revanche pas me prononcer sur le rapprochement entre la DGAL et la DGCCRF, car nous n'avons pas été saisis sur ce point.
Que faire lorsqu'un repreneur abandonne ou ferme un site après l'avoir repris ? L'Autorité de la concurrence est très vigilante sur le respect des engagements structurels qui conditionneraient une reprise. Concrètement, lorsqu'une entreprise doit vendre une filiale ou une usine, nous vérifions de très près que le repreneur est de qualité et a les moyens effectifs de maintenir l'emploi et l'outil industriel. Quand ce n'est pas le cas, nous refusons l'agrément ; nous pouvons aussi infliger des sanctions lorsque les engagements ne sont pas tenus. Après la reprise, en revanche, l'entreprise retrouve sa liberté et il est difficile d'intervenir.
Pour aller dans le sens de M. Labbé, je pense que la tendance à la relocalisation de l'alimentation est en effet une tendance forte du marché. Lors des États généraux de l'alimentation, on a d'ailleurs noté que l'ensemble des parties prenantes s'accordaient pour encourager le mouvement. Je suis frappée par cette « révolution » alimentaire des comportements, notamment chez les jeunes, même si une partie de la population reste confrontée à une problématique de pouvoir d'achat. Aujourd'hui, les produits alimentaires qui permettent aux distributeurs de conserver des marges intéressantes sont des produits de niche ou de qualité. C'est pourquoi certaines entreprises mettent en place des filières de qualité.
Mme Férat a évoqué le sujet de l'intelligence artificielle. L'ensemble des régulateurs doit prendre en compte ce bouleversement. L'Autorité s'est saisie de la question des algorithmes, car ils sont de plus en plus utilisés par les acteurs économiques et les pouvoirs publics dans leurs prises de décision. Cette évolution pose de vrais enjeux en termes de démocratie, de transparence et d'équité des règles appliquées. Que se passera-t-il si certains logiciels établissent des stratégies, sans que leurs créateurs l'aient prévu ? À l'heure où le prix des biens en ligne fluctue dans un délai inférieur à la seconde, le suivi de ces prix et la détection d'éventuels cartels constituent un vrai défi pour les autorités de la concurrence.
Mme Noël m'interroge sur la vente des médicaments en ligne. En France, le prix d'un certain nombre de médicaments est fixé librement. Toutefois, le consommateur n'est pas toujours bien informé, parfois en raison de contraintes réglementaires, comme celles qui pèsent sur la publicité et l'affichage. Sur ce point, nous ferons des propositions pour améliorer l'information du consommateur, sans que cela nuise aux missions des pharmaciens. Concernant la vente en ligne, nous proposerons des mesures pour que le cadre national soit mieux adapté au développement de ce nouveau mode de diffusion.
Enfin, pour répondre à la présidente sur l'existence d'entreprises multimodales engagées aussi bien dans les concessions autoroutières que dans d'autres secteurs du transport, je précise que nous prenons bien sûr cette dimension en compte dans notre analyse concurrentielle, par le biais de ce que l'on appelle la « puissance conglomérale », notamment lorsque différents modes de transport que l'on peut considérer comme substituables sont en concurrence.