Intervention de Olivier Cigolotti

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 mars 2019 à 9h35
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume de belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre camo — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Olivier CigolottiOlivier Cigolotti, rapporteur :

L'accord intergouvernemental dont il nous est demandé d'approuver la ratification porte sur le programme de modernisation de la capacité motorisée de l'armée de terre belge, résumé par l'acronyme CaMo pour « Capacité motorisée ».

Ce projet remarquable a pour point de départ la volonté du gouvernement belge, affirmée en 2016, de moderniser l'ensemble de son armée. C'est également dans ce cadre que la Belgique vient d'annoncer le week-end dernier l'achat conjoint, avec les Pays-Bas, de nouveaux chasseurs de mines pour un montant de deux milliards d'euros pour les deux pays. Ce contrat important a été remporté par Naval Group.

Pour moderniser son armée de terre, la Belgique a fait le choix, après avoir examiné ce que faisaient ses voisins et ses partenaires de l'OTAN, de s'associer au programme Scorpion français.

Signalons d'emblée que la Belgique ne cherchait pas du matériel, mais un partenariat structurant de long terme, dont l'acquisition d'un nouveau matériel n'est que l'un des aspects. C'est dans ce cadre que s'inscrivent le programme CaMo belge et l'accord intergouvernemental qui nous est soumis.

Premier aspect remarquable de cet accord, le contraste frappant entre son importance considérable et le faible écho qu'il rencontre. Moi qui en ignorais tout il y a encore quelques semaines, comme probablement la plupart d'entre vous, j'ai découvert que cet accord ouvrait des perspectives sans précédent pour notre armée de terre. S'il s'agissait simplement d'une vente d'armement, il ne nécessiterait pas de convention spécifique, même si l'élément matériel le plus saillant du projet est la décision du gouvernement belge d'acheter, dans le cadre de ce programme, 442 véhicules blindés du programme Scorpion, soit 382 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) Griffon et 60 engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar. L'acquisition de ces véhicules n'a de sens qu'avec l'accès au Système d'information et de combat Scorpion (SICS).

Deuxième point saillant, l'ampleur de ce programme, qui représente pour la Belgique un investissement de l'ordre de 1,5 milliard d'euros. La presse française s'est largement fait l'écho du choix du F-35 américain pour la modernisation de l'armée de l'air belge, au détriment du Rafale ; mais mesure-t-on que le montant de ce contrat représente presque la moitié de celui contrat F-35 ? Si l'on y ajoute le montant de l'achat conjoint, avec les Pays-Bas, de chasseurs de mines que j'ai mentionné, les critiques à l'encontre de la Belgique ne sont-elles pas malvenues ?

Mais le point le plus important dans ce dossier est celui que j'évoquais en introduction : bien plus qu'un simple achat de matériel, la Belgique conclut avec la France, à travers le programme CaMo, un partenariat stratégique conduisant à une transformation complète de son armée de terre. Avec ce programme, l'armée de terre belge se dote d'une nouvelle organisation, d'une nouvelle doctrine, de nouvelles modalités d'entraînement et d'une nouvelle organisation de son soutien, selon un schéma identique à celui de l'armée de terre française.

L'intérêt de cette opération est triple. Opérationnel d'abord, car l'objectif final pour les deux armées est l'interopérabilité, à un niveau supérieur aux exigences de l'OTAN. En effet, alors que l'OTAN demande une interopérabilité entre les alliés au niveau des brigades, ce programme prévoit une interopérabilité au niveau d'un groupement tactique interarmes (GTIA), voire au niveau d'un sous-groupement tactique interarmes (SGTIA). Cela ouvre des perspectives opérationnelles totalement inédites pour nos deux pays, tout en respectant scrupuleusement la souveraineté et l'autonomie de chacun, puisque la possibilité opérationnelle d'un déploiement commun n'entraîne aucune obligation de faire.

Son deuxième intérêt est financier : le développement des synergies entre les deux armées et l'augmentation du volume des commandes seront naturellement source d'économies pour nos deux pays, en particulier dans la maintenance, la gestion des stocks et des pièces détachées. Cela devrait également être le cas des commandes ultérieures de ces véhicules, car l'amortissement des coûts fixes du programme se fera sur un nombre de véhicules bien plus importants, au bénéfice des acheteurs.

Enfin, ce programme initie un partenariat fondamental de long terme avec un pays allié et ami. En effet, en plus des acquisitions de matériels identiques et de la transformation en parallèle des deux armées de terre selon un modèle commun - doctrine d'emploi et modalités d'entraînement communes, opérations d'entraînement conjointes, dont la première devrait intervenir dès cette année -, l'accord intergouvernemental prévoit aussi un examen systématique de tout ce qui peut être conduit en partenariat avec l'armée de terre belge.

Sur le plan industriel, les premières livraisons à l'armée belge interviendront à partir de 2025, lorsque l'armée de terre française aura déjà reçu plus de 900 Griffon. Les exportations ne viendront donc pas cannibaliser le calendrier des livraisons à l'armée française, comme cela a pu se produire par le passé - notamment dans le domaine aérien.

Enfin, cet accord intergouvernemental a une signification politique importante en démontrant, de manière spectaculaire, la capacité de deux États européens à travailler ensemble pour assurer leur défense respective. La France et la Belgique sont alliées dans l'OTAN et membres fondateurs de l'Union européenne. Elles avaient déjà de nombreux projets et actions communs, comme des programmes de formation pour les pilotes de chasse, les pilotes d'hélicoptère, les personnels navigants de l'A400M ou des entraînements spécifiques : entraînement à la plongée des forces armées belges en France ou entraînement des soldats français dans les centres belges de tir sur l'eau. La France et la Belgique ont également signé, le 11 juillet 2017, un accord sur la protection réciproque d'informations classifiées, qui devrait entrer en vigueur prochainement.

Ce cadre commun a sans doute été un élément nécessaire au lancement par la Belgique du programme CaMo, mais il ne se suffisait pas à lui-même. En effet, l'armée belge est traditionnellement très intégrée avec les armées néerlandaise et luxembourgeoise : Belgique et Pays-Bas partagent un état-major de marine unique, commandé par un officier néerlandais secondé par un Belge. L'achat en commun des chasseurs de mines entre dans ce cadre. Quant à l'armée de terre, elle évolue dans un cadre d'interopérabilité avec ses partenaires du Benelux. La décision qu'a prise la Belgique de lancer une transformation profonde de son armée de terre en reproduisant intégralement le modèle français témoigne donc d'un grand courage politique. C'est un acte fort qui engage la Belgique autant que la France.

Cet accord est aussi de bon augure pour les relations entre la France et ses partenaires européens. Nous nous sommes trop souvent considérés comme un grand pays qui ne pouvait traiter, en matière militaire, qu'avec des pays de taille équivalente : d'abord le Royaume-Uni, puis plus récemment l'Allemagne et, de façon complémentaire, l'Italie et l'Espagne. Le programme CaMo montre à quel point cette opposition entre grands et petits pays est détachée des réalités concrètes. Nous avons naturellement des partenariats structurants avec le Royaume-Uni ou l'Allemagne ; mais l'achat, par la Belgique, d'un nombre de Griffon représentant plus de 40 % de celui dont nous allons doter notre armée de terre dans la loi de programmation militaire (LPM) en cours, et sur une période plus courte, montre l'importance de l'effort dont ce pays est capable. Plus fondamental encore est le choix des autorités belges de rechercher l'interopérabilité avec l'armée de terre française, dans une perspective opérationnelle.

Ces réflexions ont un lien avec la mission d'information confiée à nos collègues Hélène Conway-Mouret et Ronan Le Gleut sur la défense européenne, une question qui fait l'objet de nombreux débats, et parfois d'initiatives politiques ou institutionnelles plus ou moins coordonnées. Dans ce cadre complexe, le projet CaMo m'apparaît comme un exemple concret d'Europe de la défense qui se fait, sans grandes annonces, sur le fondement de la recherche de l'efficacité opérationnelle plus que de l'affichage politique : voilà deux pays européens capables de travailler ensemble sur des projets ambitieux de long terme, dans le respect de leur souveraineté et de leurs intérêts respectifs, tout en oeuvrant au bien commun - en l'espèce notre capacité à contribuer à notre sécurité collective. Or le point de départ du projet européen n'était-il pas de défendre la paix ?

Au-delà de cette perspective européenne, cet accord entre la France et la Belgique démontre aussi, dans la ligne du contrat australien sur les sous-marins, notre capacité de plus en plus affirmée à nous inscrire dans des partenariats militaires de long terme où l'autre pays est vu comme un allié plutôt que comme un client. C'est aussi cela que nos partenaires recherchent.

En conclusion, je vous invite à émettre un avis favorable à l'approbation de cet accord.

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