Intervention de Bernard Seillier

Réunion du 21 décembre 2004 à 21h45
Création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité — Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier :

Celui-ci s'était borné à reproduire les dispositions en vigueur pour le délit de provocation raciste ou antisémite, sans préciser les cas d'application de ces discriminations.

L'article 225 - 2 précise a contrario les conditions dans lesquelles ces discriminations constituent une infraction pénale. Il s'agit du refus de fourniture d'un bien ou d'un service, de l'entrave à l'exercice normal d'une activité économique, du refus d'embaucher, du licenciement d'une personne ou du refus d'accepter une personne à l'un des stages de formation.

Par ailleurs, l'article 432 - 7 du code pénal vise les discriminations commises par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions lorsqu'elles consistent, d'une part, à refuser l'exercice d'un droit accordé par la loi et, d'autre part, à entraver l'exercice normal d'une activité.

Ainsi, en écartant la référence à l'article 225 - 1 du code pénal établissant une liste de discriminations extrêmement exhaustive et en retenant la seule référence aux articles 225 - 2 et 432 - 7 délimitant le champ d'application des discriminations qu'il serait prohibé de promouvoir, le Gouvernement a voulu, à juste titre, préserver la liberté de débattre des grands sujets de société dans notre pays. Il me semblait important de le rappeler.

C'est sur l'article 17 ter du projet de loi que porte principalement la controverse publique. Cet article vise, d'une part, à réprimer plus sévèrement les diffamations et les injures commises envers une personne à raison du sexe, de l'orientation sexuelle et du handicap et, d'autre part, à réprimer d'une manière identique des faits comparables commis à l'encontre d'un groupe de personnes.

La loi du 29 juillet 1881 permet de réprimer la diffamation définie comme toute allégation ou imputation d'un fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. L'injure, à la différence de la diffamation, ne comporte l'imputation d'aucun fait.

Ces dispositions de caractère général permettent d'ores et déjà de réprimer les diffamations ou les injures motivées par le sexe, l'orientation sexuelle de la victime ou encore son handicap. Cependant, compte tenu de la gravité des propos en cause, il a paru opportun de relever la sanction au niveau de celles qui sont prévues pour les diffamations et les injures à raison de la race ou de la religion.

Par ailleurs, comme tel est le cas s'agissant des diffamations ou des injures racistes, il a semblé souhaitable de viser les diffamations et les injures non seulement à l'égard des particuliers, mais aussi à l'égard des groupes de personnes non identifiées.

Ces dispositions, en particulier en raison de leur contenu imprécis, sont à la source des vives inquiétudes qui se sont exprimées ces dernières semaines. Nombre de journalistes et d'écrivains s'inquiètent : c'est le moment ou jamais, madame la ministre, de les rassurer !

Afin de garantir la liberté de pensée, d'expression et de débat dans notre pays, nous devons préciser ce qu'il est entendu par injure et diffamation concernant notamment l'orientation sexuelle. M. le garde des sceaux a indiqué au cours de la première lecture qu'il était le garant d'une justice rendue dans la sérénité ; il a donc souhaité apaiser les esprits.

La liberté de pensée, d'expression et de débat exige parallèlement que soient contrôlées les dérives que, sous couvert de lutte contre certaines formes de discrimination, certains tentent d'instaurer dans la société.

Ainsi, en matière d'éducation, le dossier scolaire du site internet du collectif « SOS homophobie » incite à une grande vigilance contre toute menace de prosélytisme en milieu scolaire sous couvert de lutte contre l'homophobie.

D'un autre côté, la pétition signée par des maires pour faire prévaloir l'objection de conscience face à la perspective d'une banalisation de l'institution matrimoniale révèle une question sociétale majeure.

Il sera impossible de prétendre censurer les débats menés sur ces deux questions par une interprétation extensive du texte que nous examinons aujourd'hui. Ces questions relèvent non pas seulement de la protection de la liberté individuelle, mais également du respect dû aux institutions que sont l'école et le mariage. Il doit être possible de les aborder sans être pour autant mis en examen pour injure ou diffamation.

C'est pourquoi le travail de la Haute autorité devra contribuer à faciliter le discernement entre les discriminations nécessaires et condamnables. Si les liens amoureux et sexuels entre personnes de même sexe ont pu être tour à tour ritualisés, condamnés, marginalisés ou tolérés dans l'histoire, ils n'ont jamais été proposés comme fondateurs des institutions de droit commun relatives à la génération et à la filiation au sein de la société.

C'est pourquoi la question de l'homosexualité ne peut être rapprochée de l'émancipation noire, de l'émancipation juive et de l'émancipation des femmes que parce qu'elle relève d'une même dynamique, commune à toute la civilisation occidentale. Cette dynamique vise à rétablir le sujet comme individu libre, pensé à la fois comme citoyen et comme personne.

Mais, à l'inverse des trois autres combats émancipateurs, celui qui est mené au titre de l'orientation sexuelle ne peut comporter automatiquement et intégralement les mêmes objectifs. Il ne peut revendiquer de droit l'accès au mariage et à la filiation. En effet, le droit du mariage et le droit de la filiation n'ont pas pour objet de satisfaire les seules libertés individuelles, ils visent aussi à protéger les libertés conjugales de l'homme et de la femme associés. Ce sont bien les libertés découlant du lien conjugal entre l'homme et la femme que ces droits visent à protéger. L'institution matrimoniale et la filiation ne peuvent relever des seules volontés individuelles, indépendamment des conditions de différenciation sexuelle.

C'est à ce niveau que se révèle le choix entre rébellion et normalité pour la revendication sociale au titre de l'orientation sexuelle. Ce sera toujours une pierre d'achoppement, car deux courants traversent le combat homosexuel. Un seul est compatible avec la République, celui qu'a bien exprimé Jean-Louis Bory, dans les années soixante-dix, et qui peut être résumé par trois de ses slogans : « ni honte, ni prosélytisme », « droit à l'indifférence », « je ne plaide pas, j'informe ». En revanche, à la même époque, le plaidoyer de Guy Hocquenghem invitant à la rébellion ne peut être retenu.

Le présent projet de loi peut marquer une avancée non négligeable dans la lutte contre les discriminations. J'ai confiance dans la sagesse des magistrats appelés demain à juger les cas qui leur seraient soumis ; je suis sûr qu'ils confirmeront l'interprétation régulièrement donnée par les ministres, ainsi que par le président ou le rapporteur de notre commission des loi. Ce texte est légitimement attendu par les tribunaux et par ceux que le contenu nécessairement imprécis des dispositions de l'article 17 ter inquiète a priori.

N'ayant pas modifié, pour ma part, l'analyse que j'avais portée devant vous lors de la première lecture et que je viens de développer dans la présente intervention, je voterai en faveur de ce projet de loi.

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