Madame la ministre, je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention. Sachez qu’il n’y a pas, d’un côté, des dogmatiques, et, de l’autre, des pragmatiques.
Mon collègue Pascal Savoldelli et moi-même, nous avons entamé un tour de France des livreurs à vélo. Nous étions ainsi à Nantes la semaine dernière. Vous avez raison, ils bousculent nos certitudes. Certes, ils nous disent qu’ils sont séduits, par exemple, par l’indépendance, comme vous le dites, mais très vite, ils ajoutent : « On se rend compte que, en vérité, on n’est pas véritablement indépendants. »
En effet, pour atteindre un salaire correct, de 1 800 ou 2 000 euros, il faut travailler 70 heures par semaine, c’est-à-dire sept jours sur sept, soit dix heures de run, comme ils disent, par jour. Vous le voyez, ils se rendent compte qu’être indépendant, c’est bien plus complexe que ce que leur ont vendu les plateformes numériques…
À cela s’ajoute le fait qu’ils n’ont pas de protection sociale. S’ils ont un accident, ils doivent y faire face tout seuls. Ils réclament donc une protection sociale. C’est la raison pour laquelle un certain nombre d’entre eux, et ils sont bien plus nombreux que vous ne le dites, revendiquent un statut de salarié.
Par ailleurs, comme l’a dit M. Jacquin, ces plateformes, on le voit, détournent le statut d’autoentrepreneur et favorisent le travail déguisé, notamment pour les mineurs et les sans-papiers. C’est une nouvelle forme d’esclavage moderne ! Certains autoentrepreneurs sous-louent en effet leur compte à des travailleurs sans-papiers ou à des mineurs, à qui ils prélèvent ensuite 40 % ou 50 % des gains. Finalement, il ne reste pas grand-chose à ces derniers !
Mes chers collègues, je vous invite à mener une réflexion bien plus large sur cette question. Lors de notre tour de France des vélos, nous rencontrons aussi des commerçants. Eux aussi nous disent avoir un véritable problème : ils sont obligés de passer par ces plateformes, qui représentent 40 %, 50 %, parfois 60 % ou 70 % de leur chiffre d’affaires. En réalité, ils sont dépossédés de leur propre restaurant.
Lorsqu’ils sollicitent un prêt auprès d’une banque, on leur rétorque que leur chiffre d’affaires est non pas de 100, mais de 30, car 70 vont à Uber, Deliveroo ou d’autres. Ils sont fortement dépendants de ces plateformes et peuvent perdre une part importante de leur chiffre d’affaires s’ils rencontrent un problème, car ils peuvent être déconnectés.