S'agissant du pilotage global, les lois de programmation des finances publiques et l'article liminaire de la loi de finances ne constituent pas un support de travail très opérationnel pour la construction de l'ensemble des comptes publics. Face à ces questions, plusieurs niveaux de réponse sont possibles. Le premier, qui obligerait à réformer la Constitution, serait de créer un texte unique, ce qui est plutôt la norme mondiale.
Le deuxième type de réponse consisterait à essayer de trouver des amodiations, en veillant à ne pas aller au-delà d'une modification des textes organiques. Peut-on trouver dans ce champ la proposition d'une première loi financière ? Je crains qu'on soit renvoyé vers le champ de la réforme constitutionnelle, puisque cela suppose de modifier en profondeur la définition de la loi de finances.
En revanche, on pourrait essayer de retrouver un peu l'équivalent par une discussion générale commune sur les volets « recettes ». Ceci n'a pas la même valeur qu'une discussion dans laquelle on examine des amendements, mais peut permettre d'éclairer les choses. Cela obligerait en outre le Gouvernement à coordonner les dépôts du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui pourront être examinés concurremment par le Parlement, avec une vision d'ensemble.
Toutes sortes d'autres choses peuvent améliorer ce pilotage d'ensemble : on peut très bien imaginer enrichir l'article liminaire du projet de loi de finances pour en détailler le contenu et essayer d'en faire le support d'un examen plus approfondi, notamment en matière des recettes, mais aussi de dépenses. On peut également l'enrichir d'objectifs. La discussion générale commune sur les grands équilibres et les recettes aurait sûrement une valeur, mais c'est davantage au Parlement d'en décider.
Je me permets d'insister sur la phase amont de préparation des projets de loi de finances et des projets de loi de financement. Ces processus sont peu coordonnés. Le processus politico-administratif interne à l'exécutif de préparation de la loi de finances commence très tôt, au début de l'année civile, voire un peu avant, et se termine fin juin ou en juillet.
Le processus de la loi de financement est bien plus court, beaucoup plus ramassé et tardif. On pourrait donc probablement remédier à l'atomisation de la discussion sans toucher un seul texte. Il suffit d'organiser la façon dont les choses se passent par le biais d'instructions.
Peut-être faut-il s'interroger sur la question de la complétude des textes financiers. Il existe des « trous dans la raquette ». Ce sont des sujets sensibles, mais la balance des collectivités territoriales pourrait être mentionnée dans le projet de loi de finances, au moins pour information, ainsi que celle des organismes divers d'administration centrale (ODAC). Du côté de la loi de financement de la sécurité sociale, on sait que la balance des hôpitaux, les régimes complémentaires de retraite, le régime d'assurance chômage constituent des informations qui ne sont pas vraiment mentionnées parce qu'on est en dehors du champ du PLFSS.
Le PLFSS a été un énorme progrès par rapport à l'absence de texte qui régnait auparavant. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Fin 1967, le Gouvernement était totalement passé à côté d'évolutions conjoncturelles qui amenaient à des pertes de recettes importantes. En urgence, début 1968, il a fallu organiser un collectif budgétaire pour renflouer la sécurité sociale, qui constituait un ensemble de comptes éparpillés. Grâce au PLFSS, on n'est désormais plus pris au dépourvu.
On constate toutefois une scission. Ce qui était un avantage crée donc à présent un inconfort.
Enfin, forcer chacun à parler le langage de l'autre - ou s'obliger à le faire - pourrait simplifier les choses. J'ai beaucoup mis « la main à la pâte » dans la rédaction du décret sur la gestion budgétaire et comptable publique, qui demande à l'État de parler simultanément dans deux langages, celui des crédits de paiement et des autorisations d'engagement d'un côté, et celui de la comptabilité générale de l'autre. La sécurité sociale est fermement positionnée sur la comptabilité générale, y compris en matière prévisionnelle. C'est un sujet de réflexion intéressant...
S'agissant des questions de solidarité financière et de compensation à l'euro près, quelle est la pérennité de ce qui a été mis en place en 2019 ? L'avenir le dira. Il me semble que ce qui a été proposé permet, de manière assez pragmatique, d'organiser la solidarité financière dans le respect des contraintes de chacun, et notamment des objectifs de redressement de la sécurité sociale. On n'a donc pas affaire à une règle gravée dans le marbre, mais à un objectif, qui semble devoir être décliné au fur et à mesure que le temps passe, et en fonction de la situation de chacun. Cela me paraît assez sage si on ne perd pas l'objectif de vue. Peut-être est-ce, à ce stade, le mieux que l'on puisse faire. Je pense que ceci a une chance d'être pérennisé.
Je voudrais compléter cette considération par l'idée qu'il faut se méfier d'un attachement excessif à la réalisation de l'équilibre de la sécurité sociale si, simultanément, le reste des comptes publics est dans un état de déficit important. Quel sens cela aurait-il de se réjouir d'un équilibre partiel si l'équilibre d'ensemble n'est pas là ? Nous sommes jugés sur celui-ci, et c'est ce que l'on doit viser au bout du compte.