Intervention de Antoine Lefèvre

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 mars 2019 à 9h10
Proposition de loi relative à l'affectation des avoirs issus de la corruption transnationale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre, rapporteur :

En 2017, le tribunal correctionnel de Paris a condamné le vice-président, qui est également le fils du président de la République de Guinée équatoriale, pour des faits de blanchiment d'abus de biens sociaux, de détournement de fonds publics, d'abus de confiance et de corruption et a prononcé une peine de confiscation de biens lui appartenant saisis en France. Il s'agit en particulier d'un hôtel particulier situé avenue Foch à Paris. Monsieur Obiang ayant fait appel de cette décision, celle-ci n'est pas définitive.

Actuellement, lorsqu'une telle décision devient définitive, le produit des confiscations revient au budget général de l'État. Dans son jugement, le tribunal correctionnel de Paris indique qu'« il apparaît moralement injustifié pour l'État prononçant la confiscation de bénéficier de celle-ci sans égard aux conséquences de l'infraction » et « il paraît dans ce contexte vraisemblable que le régime français des peines de confiscation devrait être amené à évoluer en vue de l'adoption d'un cadre législatif adapté à la restitution des avoirs illicites ».

C'est dans ce contexte que s'inscrit la présente proposition de loi, qui prévoit d'affecter automatiquement aux populations victimes le produit des confiscations prononcées par la justice française dans certains cas de corruption.

Selon les informations communiquées par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), les confiscations prononcées à l'encontre de M. Obiang représenteraient plus de 100 millions d'euros. Moralement, il me semble tout à fait justifié que la confiscation des avoirs issus de la corruption de dirigeants d'États étrangers puisse bénéficier aux populations victimes.

À ce jour, la Suisse est le pays qui est allé le plus loin dans cette logique, en adoptant un cadre législatif spécifique, visant à éviter que les avoirs restitués n'alimentent de nouveau un circuit de corruption. Ainsi, elle a créé une fondation, avec les États-Unis et sous l'égide de la Banque mondiale, pour financer des projets en faveur des jeunes défavorisés au Kazakhstan, indépendamment des autorités kazakhes.

Si je partage les objectifs de cette proposition de loi, elle soulève d'importantes difficultés juridiques et opérationnelles. En la matière, on se heurte d'abord à une difficulté pratique : comment s'assurer que les fonds restitués n'alimentent pas de nouveau les circuits de corruption et qu'ils reviennent bien aux populations victimes ? Cette question est d'autant plus épineuse que l'État est défaillant ou que les dirigeants corrompus sont toujours au pouvoir. Or l'article 1er de la proposition de loi prévoit que certaines confiscations sont affectées « à l'amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l'état de droit ainsi qu'à la lutte contre la corruption ». Les modalités de mise en oeuvre de cette disposition sont renvoyées à un décret en Conseil d'État.

À tout le moins, faudrait-il envisager un financement par le biais de l'aide publique au développement. Prévoir l'affectation de ces sommes à l'Agence française de développement (AFD) étant irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution, je ne suis pas en mesure de vous proposer un amendement en ce sens. Il conviendrait encore de s'assurer que la mécanique budgétaire retenue soit compatible avec le financement de projets de développement, parfois au long cours. Je vous rappelle à ce propos qu'en application de l'article 36 de la loi organique relative aux lois de finances, « l'affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'État ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances ».

Par ailleurs, la proposition de loi fait référence aux personnes étrangères politiquement exposées. Si le code monétaire et financier fait déjà référence aux personnes politiquement exposées, la définition retenue est assez large et, à ce jour, à l'exception de dossiers médiatiques, l'Agrasc n'est pas en mesure d'identifier précisément les dossiers qui seraient concernés par ce dispositif.

En outre, le champ infractionnel retenu mériterait d'être précisé. Ainsi, une confiscation prononcée à l'encontre d'une personne étrangère politiquement exposée condamnée en France pour blanchiment d'argent provenant d'activités mafieuses pourrait échapper à l'État français, sans que cela paraisse justifié.

En définitive, je partage l'objectif de la proposition de loi qui s'inspire de l'exemple suisse et qui montre qu'il est possible d'agir. Toutefois, je pense qu'elle ne résout pas la principale difficulté soulevée, à savoir les modalités concrètes d'affectation des sommes concernées aux populations victimes de la corruption ; la mécanique budgétaire retenue ne me paraît pas être la plus pertinente et enfin, des questions relatives à la définition précise des confiscations concernées demeurent en suspens.

Dans la perspective du G7 sous présidence française qui va se tenir en août à Biarritz, la balle est dans le camp du Gouvernement pour présenter un dispositif crédible d'autant que ce G7 est notamment placé sous le signe de la transparence financière.

N'étant pas en mesure de proposer une alternative satisfaisante sur le plan juridique, et compte tenu de l'ensemble de ces remarques, je m'en remettrai à la sagesse de la commission des finances.

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