Intervention de Erick Lacourrège

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 mars 2019 à 10h00
Dématérialisation des moyens de paiement — Audition commune de Mm. Tony Blanco secrétaire général et membre du directoire de la banque postale olivier gayraud juriste à l'association consommation logement et cadre de vie clcv et erick lacourrège directeur général des services à l'économie et du réseau de la banque de france Mme Sophie Lejeune secrétaire générale de la confédération des buralistes et M. Jérôme Reboul sous-directeur des banques et des financements d'intérêt général à la direction générale du trésor

Erick Lacourrège, directeur général des services à l'économie et du réseau de la Banque de France :

Je vous remercie de votre invitation à cette table ronde sur l'un de vos sujets de préoccupation, dont la presse se fait régulièrement l'écho, et sur lequel vous vous êtes mobilisés en adoptant la proposition de loi présentée par Éric Gold.

L'évolution des espèces dans nos sociétés modernes, en France en particulier, s'inscrit dans un paradoxe : contrairement aux idées reçues, la transformation des sociétés modernes en sociétés sans espèces ne s'est pas accélérée. Les chiffres disent même le contraire : les émissions nettes d'espèces dans l'eurosystème n'ont cessé d'augmenter année après année. En 2018, la valeur des espèces en circulation a augmenté de 5,2 % par rapport à 2017 pour l'ensemble de la zone euro, et de 7,5 % en France.

Si la détention d'espèces comme épargne de précaution tend à se développer, on assiste au mouvement inverse en matière de paiement : les Français ont de moins en moins recours aux espèces, au profit des autres moyens de paiement scripturaux.

Depuis la création de l'euro, la circulation des billets a été multipliée par trois, tant en volume qu'en valeur, dont une partie en-dehors de la zone euro, ce qui est une grande réussite de la monnaie unique.

Une étude mise en place dans les pays de la zone euro montre que la part de marché des paiements en espèces pour la population, auprès de l'ensemble des points de vente, reste majoritaire : 79 % des paiements en nombre et 54 % des paiements en valeur se font en espèces. Pour la France, les chiffres sont en retrait : respectivement 68 % et 28 %. Par ailleurs, le montant moyen des paiements effectués en cash par les Français est le plus bas de la zone euro avec 7,5 euros.

Les chiffres montrent que nous ne constatons pas un reflux général des paiements en espèces en zone euro. Nos voisins allemands, par exemple, ont une grande appétence pour les espèces. Le recul constaté dans certains pays ne s'explique pas non plus par un retard technologique : au Japon, les paiements en espèces atteignent des niveaux record.

La baisse des paiements en espèces constatée en France pour les achats de la vie quotidienne s'explique en partie par la prégnance historique très forte de l'utilisation de la carte bancaire dont la part dans les paiements continue de croître.

Deux moyens de paiements nouveaux émergent également dans notre pays : le paiement sans contact - adossé sur le réseau cartes bancaires - et les paiements mobiles - « QR code », virements instantanés... La consommation courante de proximité, qui représente environ 650 milliards d'euros en 2018, s'effectue pour moitié par carte bancaire. Toutes les projections montrent que ce phénomène va continuer de s'amplifier, tandis que les paiements en espèces devraient baisser d'environ 20 % à 25 %.

Dans ce contexte, le modèle économique des acteurs de la filière « espèces » se tend - Banque centrale, réseaux bancaires, transporteurs de fonds... -, notamment en raison de l'augmentation des coûts de gestion. Il s'agit donc d'une situation de rupture, le libre accès aux espèces risquant d'être moins assuré dans certains territoires. Or l'économie française doit continuer de reposer, à un horizon visible, sur un circuit espèces organisé et résilient, même si la tendance est à la réduction forte de l'utilisation de ce moyen de paiement.

La Banque de France, en accord avec le ministère de l'économie, a décidé de travailler à l'élaboration, en 2019, avec l'ensemble des acteurs concernés, d'une politique nationale de gestion des espèces pour garantir le principe de la liberté de choix des espèces comme moyen de paiement.

Les travaux vont être conduits en trois temps : établissement d'un état des lieux précis de l'offre de distribution des espèces en France métropolitaine ; projection de l'évolution de l'offre à horizon 2025 et analyse des stratégies individuelles des acteurs de ce marché ; réflexion concertée sur l'instauration d'une politique nationale de gestion des espèces.

La tentation est grande de scander que nous nous dirigeons vers une société sans espèces. En réalité, à notre horizon de vie, les espèces continueront d'être utilisées. N'oublions pas que, dans les situations de crise, quelles qu'elles soient, nous devons faire face soit à une ruée des consommateurs sur les espèces, soit à la nécessité de suppléer l'absence des autres moyens de paiement, notamment scripturaux.

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