Je ne reviendrai pas sur l'échec de la commission mixte paritaire sur un texte dont nous partagions pourtant pleinement l'objectif initial, à savoir favoriser la croissance et la transformation des entreprises.
Comme vous le savez, les privatisations - le ministre préfère parler de cessions d'actifs - d'Aéroports de Paris, ou ADP, et de la Française des jeux ont constitué la principale pierre d'achoppement entre nos deux chambres.
Après avoir essayé, en commission, d'assortir la privatisation d'ADP de garanties fortes, le Sénat s'était exprimé à une large majorité, en séance publique, contre cette opération compte tenu des doutes sur son intérêt financier et du caractère stratégique de l'entreprise. Sans surprise, l'Assemblée nationale a rétabli l'autorisation et le cadre général de la privatisation. Des inquiétudes se sont toutefois exprimées au sein même de la majorité sur cette opération, nourries par l'examen parlementaire sans concession réalisé au Sénat, dont le travail sur ce volet du texte n'aura pas été vain.
L'Assemblée nationale a finalement conservé de nombreux garde-fous introduits par notre assemblée et a même « ressuscité » certains amendements de commission qui avaient été supprimés en séance publique, par cohérence avec la position de la majorité sénatoriale sur l'opération de privatisation.
L'Assemblée nationale a notamment rétabli l'obligation d'évaluer le cahier des charges d'ADP tous les dix ans - contre une fois au bout de trente-cinq ans dans le texte adopté par les députés en première lecture.
Nos collègues ont adopté les dispositions introduites par le Sénat en séance publique afin de transformer l'autorité indépendante de supervision des redevances aéroportuaires, ou ASI, en autorité administrative indépendante ou de la rattacher à l'Arafer. Il s'agit là d'un apport majeur à l'amélioration de la régulation de ce secteur stratégique.
Enfin, l'Assemblée nationale a rétabli les dispositions introduites en commission spéciale, puis supprimées en séance, visant à faciliter la participation des collectivités territoriales au capital d'ADP en cas de privatisation.
Je pense que ce bilan conforte notre choix de travailler à améliorer la copie de l'Assemblée nationale en commission spéciale, tout en réservant le débat plus politique sur l'intérêt même de l'opération à la séance publique.
Je tiens toutefois à signaler que nos collègues députés n'ont pas repris les aménagements au principe de la double caisse que nous avions introduits en première lecture. Je regrette vivement ce choix, dont j'espère qu'il ne conduira pas à fragiliser Air France dans les prochaines années.
En ce qui concerne la Française des jeux, nous avions, dès le début de nos travaux, refusé de signer un chèque en blanc au Gouvernement. Là encore, l'Assemblée nationale a rétabli l'autorisation de la privatisation, tout en précisant que la future autorité de régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard devra être instituée sous forme d'autorité administrative indépendante.
S'il s'agit d'une évolution bienvenue, elle reste néanmoins très insuffisante : tant le périmètre des droits exclusifs confiés à l'opérateur que les contours de la régulation du secteur demeurent incertains. Dans ces conditions, je continue de penser que rien ne nous garantit que le Gouvernement ne favorisera pas la valorisation de l'entreprise au détriment des impératifs de santé publique et d'addiction au jeu.
Concernant la réforme de la fiscalité des jeux, j'observe avec satisfaction que l'Assemblée nationale a conservé le nouveau régime d'imposition introduit par amendement au Sénat, sur l'initiative du Gouvernement, et dont les modalités avaient été largement remaniées par un sous-amendement de notre commission. Nos collègues députés ont toutefois supprimé l'exonération de prélèvements fiscaux et sociaux prévue pour les jeux dédiés au patrimoine, introduite par un amendement du rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier.
Comme mon homologue de l'Assemblée nationale l'avait rappelé lors de la commission mixte paritaire, les dispositions visant à améliorer et diversifier les financements des entreprises constituaient le volet le plus consensuel du projet de loi.
De nombreux apports du Sénat ont ainsi pu être conservés, à l'exception notable de la réforme de l'épargne retraite. L'Assemblée nationale est revenue sur l'essentiel des modifications apportées par notre chambre - je pense en particulier au nouveau cas de déblocage anticipé visant à financer les travaux d'adaptation du domicile en cas de perte d'autonomie. Il s'agit d'une erreur, un récent sondage montrant qu'une grande majorité de Français lie maintenant les enjeux de la dépendance à ceux de la retraite.
S'agissant de la réforme de l'assurance vie, j'observe avec satisfaction que l'Assemblée nationale a repris les dispositions introduites par le Sénat pour encourager la finance solidaire et a fait évoluer sa position concernant la transférabilité des contrats.
Pour mémoire, le Sénat avait adopté, sur l'initiative de Christine Lavarde, un amendement visant à permettre la transférabilité totale des contrats d'assurance vie sans frottement fiscal, au bout de huit ans. Si nos collègues députés ont limité la portée de cet amendement, en permettant uniquement le transfert vers un autre contrat souscrit chez le même assureur, il s'agit d'un premier pas dans la bonne direction. Je ne doute pas que nous y reviendrons dans les prochains mois, compte tenu des attentes des épargnants en la matière.
Concernant la création des reçus d'entreposage, le dispositif voté par le Sénat a été repris à l'identique, hormis un amendement rédactionnel.
L'Assemblée nationale a entériné l'essentiel des aménagements apportés par le Sénat aux cryptoactifs afin de trouver un juste équilibre entre régulation et innovation -- je pense tout particulièrement à l'interdiction du démarchage, du mécénat et de certaines formes agressives de publicité en ligne pour les offres non régulées, qui devrait permettre de mieux protéger le grand public des arnaques de toutes sortes..
Je regrette seulement que nos collègues députés soient revenus sur la soumission des plateformes d'échange d'actifs numériques contre d'autres actifs numériques à un enregistrement obligatoire et à un contrôle continu au titre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Ce choix apparaît d'autant plus surprenant que Tracfin nous avait indiqué que ces acteurs jouent un rôle prépondérant dans les circuits de blanchiment. En l'état, le cadre de régulation français demeure donc en contradiction avec les nouvelles recommandations du Groupe d'action financière, le GAFI, et ce alors même que la France fera prochainement l'objet d'une évaluation par ce dernier.
L'Assemblée nationale a également conservé l'essentiel des aménagements apportés par le Sénat à la réforme du PEA et du PEA-PME, notamment l'assouplissement des conditions de fonctionnement des deux plans, la possibilité pour tout majeur d'ouvrir un PEA ou encore l'ouverture encadrée du PEA-PME aux obligations remboursables en actions non cotées. Nos collègues députés sont uniquement revenus sur la mesure anti-abus visant à exclure la dette immobilière du champ des nouveaux instruments éligibles au PEA-PME.
Concernant l'encouragement à l'émission d'actions de préférence, l'Assemblée nationale a conservé le principal ajout du Sénat, qui me semble de nature à réellement renforcer leur attractivité, à savoir la faculté de rachat des actions sur l'initiative du seul détenteur.
En revanche, l'Assemblée nationale n'a pas tenu compte des appels à la prudence du Sénat sur l'élargissement des prêts interentreprises au vu des risques de dépendance économique des petites entreprises envers leurs donneurs d'ordre. Nos collègues députés ont ainsi rétabli le dispositif qui assouplit simultanément trois des conditions encadrant les prêts.
S'agissant enfin de la Caisse des dépôts, la plupart des articles ont été adoptés conformes par l'Assemblée nationale, à l'exception notable de celui relatif à la fixation par décret du versement annuel de la Caisse à l'État. Nous avons alors eu l'impression d'être revenus très en arrière, avant même l'ancien monde.
Alors que le Sénat avait souhaité faire prévaloir la recherche d'un consensus entre l'ensemble des parties prenantes, nos collègues députés ont préféré aligner les modalités de fixation du « dividende » sur celles pratiquées en droit des sociétés. Je regrette naturellement ce choix qui permet au ministre de fixer unilatéralement, par décret, le montant du « dividende » et ne tient pas compte de la nature particulière de la Caisse.
Pour conclure, si je soutiens naturellement la motion tendant à opposer la question préalable au présent projet de loi, compte tenu des divergences insurmontables entre nos deux assemblées, il me semble que le Sénat aura une nouvelle fois démontré toute son utilité dans l'élaboration fine, et parfois ciselée, de la loi. À l'heure où l'intérêt du bicamérisme est parfois, sinon trop souvent, mis en cause, il me semble important de le réaffirmer avec force. Il s'agit d'une réussite collective.