Intervention de Renaud Donnedieu de Vabres

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 27 mars 2019 à 9h30
Audiovisuel extérieur — Audition de M. Renaud Donnedieu de vabres ancien ministre de la culture et de la communication

Renaud Donnedieu de Vabres :

Monsieur le rapporteur, je soutiens volontiers la combativité de la commission de la culture du Sénat pour imposer un audiovisuel extérieur digne de nos ambitions. Cet objectif ne pourra pas être atteint sans une réflexion sur les contenus. Si j'étais ministre de la culture, je demanderais à la présidente de France Télévisions quelle a été sa stratégie vis-à-vis de l'Union européenne depuis deux ans. Dans mon exposé liminaire, j'ai évoqué avec vous une piste de réflexion pour développer chez les citoyens une meilleure connaissance du patrimoine culturel européen à travers des émissions sur ce sujet qui seraient diffusées dans tous les pays européens.

En ce qui concerne la question des partenariats, il me semble qu'une coopération avec des acteurs privés pourrait être lancée sur des missions qui ne portent pas sur l'information. Je souhaite toutefois insister sur la spécificité de France 24 et TV5 Monde qui s'adressent à un public qui ne connaît pas bien la France. Par conséquent, je ne crois pas à l'efficacité de partenariats, voire d'une fusion entre ces acteurs et France Télévisions ou Radio France. Il ne s'agit pas de brider les journalistes qui doivent être libres dans leur travail. Toutefois, ces derniers ont une cible particulière, à savoir des publics qui sont informés à travers d'autres sources audiovisuelles étrangères.

Pour accroître notre influence politique et peser dans le grand débat européen qui s'annonce, il me semble que notre pays gagnerait à réclamer le poste de commissaire chargé de la culture, de l'éducation et de la communication, plutôt que de se battre sans cesse pour celui de commissaire chargé de l'économie et des finances, dont on connaît les marges de manoeuvre limitées. Ce serait un signal très fort, y compris vis-à-vis de nos concitoyens.

La question de la diffusion en clair de France 24 en plusieurs langues sur le territoire national est un sujet complexe. Autoriser une nouvelle chaîne d'information en clair pourrait déstabiliser le paysage audiovisuel, après la création de plusieurs chaînes d'information au moment de la mise en place de la TNT. France 24 est déjà accessible en numérique sur notre territoire. Je ne suis pas certain que sa diffusion en clair en langue arabe permettrait de détourner certains jeunes Français de regarder Al-Jazeerah. Je crois plutôt que nous gagnerions à mettre en place une stratégie offensive en matière de contenus, ce qui suppose de mobiliser des moyens.

Vous connaissez mes liens avec le Président Jacques Chirac et je ressens beaucoup de tristesse après les rumeurs qui ont circulé à son sujet ces derniers jours. Cet épisode révèle une nouvelle fois les nombreux problèmes posés par la circulation des fausses informations.

Il me paraît important que notre audiovisuel extérieur porte un message de vérité : l'objectif n'est pas de travestir la réalité. Il ne faut pas passer sous silence la grande violence qui accompagne les manifestations des gilets jaunes, mais il faut aussi évoquer le bon fonctionnement général de notre pays, en dehors de ces épisodes brutaux ou de paralysie.

Deux éléments me paraissent à la fois essentiels et étroitement imbriqués : les contenus et la langue de diffusion. Sans contenus solides et intelligents, peu importe la langue dans laquelle ceux-ci sont diffusés : le public ne sera guère au rendez-vous. J'estime que des partenariats privés pourraient être envisagés pour créer des émissions à caractère culturels afin d'accroître l'attractivité des contenus.

Le principe de rapprochements entre chaînes européennes pour créer et diffuser des contenus constitue à mes yeux une piste intéressante. Compte tenu des conséquences graves au niveau européen qu'est susceptible d'avoir la crise politique entre la France et l'Italie, deux membres fondateurs, la création et la diffusion d'émissions soulignant les liens artistiques et culturels étroits entre nos deux pays, par exemple, seraient tout à fait opportunes. Est-ce à France 24 de le faire, avec la question de ses moyens, ou à d'autres médias de s'en charger ? Quoi qu'il en soit, je suis favorable à ce type d'opérations « commandos ».

Beaucoup de progrès restent aussi à faire en matière de circulation des oeuvres européennes au sein de l'Union européenne. La culture et le cinéma américains restent largement dominants. C'est vrai en France et ça l'est encore plus dans le reste de l'Union.

Fusionner le ministère de la culture et de l'éducation nationale me paraît l'exemple type de la fausse bonne idée. Un gouvernement est un orchestre symphonique : chaque ministère a sa partition à jouer. Après des événements dramatiques comme les attentats du 13 novembre 2015 qui ont porté atteinte à des lieux de culture et à notre mode de vie, la réponse doit être non seulement celle du droit, de l'ordre et de la sécurité, mais aussi celle de la liberté et de la diversité, sans quoi le risque de dérives et d'amalgames serait grand. Dans de telles circonstances, c'est avant tout au ministre chargé de la culture de porter ce second message. Le ministre de la culture me paraît également mieux placé que le ministre de l'éducation nationale pour s'exprimer dans le cadre de la crise européenne actuelle. Il est vrai que des passerelles se créent entre les deux ministères dans le cadre de la mise en oeuvre de la politique de l'éducation artistique et culturelle, mais il serait regrettable de confondre la rue de Valois et la rue de Grenelle.

En revanche, je crois qu'il y a une réflexion urgente et très opérationnelle à mener sur la structuration du ministère de la culture. La réorganisation qui a découlé de la revue générale des politiques publiques (RGPP) a trop mis l'accent sur la transversalité, privant parfois les acteurs culturels d'un interlocuteur clairement identifié au sein du ministère, ce qui constitue un handicap.

En ce qui concerne la question des médias d'influence, les journalistes de France 24 ne doivent pas farder la réalité. Mais n'oublions pas qu'ils s'adressent à des publics étrangers, dont les centres d'intérêt peuvent différer, ce qui explique que l'information ne soit pas traitée de la même manière que par les chaînes d'information intérieures françaises. C'est un élément important à garder à l'esprit dans cette période de tension autour de l'information. La crainte, qui s'était exprimée au moment de la création du Louvre Abu Dhabi, qu'une censure ne s'exerce sur la présentation des oeuvres pour ne pas choquer la population locale ne s'est pas vérifiée. La Bible, le Coran et la Torah voisinent la sculpture d'un homme nu, preuve que nous continuons à endosser le rôle qui doit être le nôtre en termes d'appel à la tolérance et au respect et de promotion de la diversité culturelle et du dialogue des cultures.

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