Intervention de Anne-Marie Clément

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 26 mars 2019 à 14h45
Audition conjointe de Mme Isabelle deBré présidente M. Michel Martzoff secrétaire général de l'association l'enfant bleu et Mme Anne-Marie Clément présidente de la fédération des comités alexis danan

Anne-Marie Clément, présidente de la Fédération des comités Alexis Danan :

Je vous remercie de votre invitation et de l'ampleur que vous donnez à cette étude, sur un sujet si déroutant qu'il provoque presque le déni. Car imaginer qu'un enfant de deux ans subit des violences sexuelles, voire un acte sexuel, est insupportable. Il est d'ailleurs encore difficile pour les professionnels et les politiques d'aborder ces choses assez crues, voire insoutenables. L'Enfant bleu, avec qui nous travaillons, vous a déjà donné de nombreux éléments utiles, mais peut-être faut-il répéter les choses pour que tout le monde soit bien convaincu ; les choses progressent, je crois.

J'ai commencé à rencontrer des enfants maltraités à la fin de mes études de médecine, en choisissant de travailler dans le service d'un professeur déjà préoccupé, en 1982, par ces questions. Son service accueillait en effet les enfants donnant l'impression ou disant vivre des maltraitances pour un examen rapide, une observation de son état et de son environnement. Et le chef de service travaillait en lien direct avec le procureur. Ce travail interprofessionnel permettait une prise en charge efficace des cas de maltraitance. Dans le système actuel, hélas !, d'autres types de violences, involontaires, s'ajoutent parfois, lors de la prise en charge, à celles subies initialement.

Notre association est, je crois, la plus ancienne association de protection de l'enfance : l'appel d'Alexis Danan date de 1936. À l'époque où je m'y suis engagée, tout le monde espérait qu'une association de ce type finirait par disparaître. Hélas ! elles se sont multipliées, et des institutions spécifiques ont été créées. De bonnes choses ont été faites. En 1936, Alexis Danan évoquait le bagne, les maisons de correction, la misère, on employait des mots forts : bourreaux, torture... « L'enfant qui souffre n'a pas le temps d'attendre », disait Alexis Danan dans son appel ; or ces enfants attendent encore beaucoup, même quand leur souffrance a été déclarée. L'appel a été lancé pour interpeller les citoyens ; ceux-ci ont alors pris conscience de leurs responsabilités d'adultes face à tout enfant. Des petits comités se sont ensuite créés, souvent composés de professionnels constatant des maltraitances. Beaucoup de signalements étaient alors faits lorsqu'une affaire était découverte ; elle était prise en main ; il se passait quelque chose.

Où en sommes-nous en 2019 ? Les comités restent répartis sur le territoire. Mais l'application des lois et des règlements, de même que la pratique de la protection de l'enfance, varie grandement selon l'endroit où l'on se trouve. Même la prise en compte de la parole de l'enfant est variable ! Reste que les associations font un travail considérable. Une majorité de professionnels s'acharne bien sûr à lutter contre ces événements. Mais il faudrait réagir plus vite quand on se rend compte que certaines personnes ne sont pas à leur place.

Les comités se renouvellent ; ils sont désormais quatorze, et deux sont en formation. Nous observons un intérêt croissant des jeunes. Il y a une vingtaine d'années, un silence entourait ces sujets. N'en parlaient que les passionnés, si je puis dire, ou lorsqu'une affaire était révélée. Voilà vingt ans qu'au conseil d'administration de la caisse d'allocation familiales dont je suis membre, j'évoque la protection de l'enfance et les actions possibles dans ce domaine ; jusqu'à une date récente, cela déclenchait une certaine gêne, nul ne se sentait concerné. La semaine dernière, alors que le secrétaire d'État à la protection de l'enfance venait de redire l'importance de cette question, cinq membres du conseil d'administration renouvelé ont pris la parole pour me soutenir. Quelque chose, peut-être, est en train de changer.

Nous menons des actions dans les écoles, conduites par des personnes formées. Certains comités évoquent les maltraitances, d'autres présentent les droits de l'enfant. Dans tous les cas, les enfants auxquels nous nous adressons comprennent bien de quoi il s'agit. Certains, à l'issue de ces formations, viennent s'exprimer. Nous allons également dans les établissements du secondaire, voire de l'enseignement professionnel. Récemment, un comité s'est rendu dans une école de manipulateurs radio, car il est des jeunes qui se sentent concernés et disent que ces sujets manquent à leur information primaire. De jeunes professionnels qui demandent à être compétents sur un sujet qui leur tient à coeur, c'est une démarche de citoyen merveilleuse. Nous accompagnons également des étudiants, jusqu'à la rédaction de leur mémoire. J'ai ainsi conduit une étudiante en droit au dernier procès de Daniel Legrand, dans le cadre de l'horrible affaire d'Outreau. C'est un travail de fourmi, mais qui peut apporter un certain nombre de choses, car nous sommes nombreux à le mener. Nous sommes encore présents dans des manifestations d'adultes, des forums, diverses interventions... Bref chaque fois qu'il est possible d'alerter sur la protection de l'enfance, nous le faisons, grâce à notre statut et à notre engagement bénévole.

La fédération souhaite, chaque fois que c'est possible, travailler en lien avec les professionnels qui traitent sur le plan juridique les affaires dont elle a à connaître. Celles-ci lui arrivent généralement par l'appel de personnes en demande de conseil ou de soutien. Nous constatons que, curieusement, se multiplient les appels pour des affaires complexes, déjà révélées et prises en charge mais qui n'avancent pas, ou qui avancent curieusement - car lorsqu'on explique à une petite fille de trois ans que son père restera son père, quoi qu'il lui ait fait, on a du mal à comprendre...

Nous avons tendance, par commodité d'étude sans doute, à scinder les maltraitances par types. Or malheureusement, sur un nombre important d'enfants, il y a plusieurs types de maltraitances. Et les violences psychologiques, la pression, le chantage affectif, les violences physiques, multiplient les effets d'une violence sexuelle : c'est un type de violence globale. On parle certes davantage de violences sexuelles aujourd'hui : c'est intéressant, car on n'en parlait pas auparavant.

Le déni recule heureusement. Dans d'autres pays, cela fait longtemps qu'il a reculé. L'ONU interpelle régulièrement la France sur son attitude dans ce domaine. Le Conseil de l'Europe cite depuis des années le chiffre d'un enfant sur cinq. Il a élaboré une bande dessinée Kiko, destinée aux des tout-petits, qui est un outil utile de prévention sur la façon dont un enfant peut être abordé. C'est un sujet mondial.

La caractéristique essentielle d'un petit enfant est qu'il ne peut pas se défendre seul ; il ne peut composer un numéro de téléphone, il ne va pas à l'école... Et quand il a tenté de s'exprimer mais n'a pas été entendu ou a été renvoyé, parfois avec violence, il s'enferme dans le silence. Dans une affaire sordide récente, une adolescente s'est murée dans le silence, lasse d'avoir, dit-elle, trop parlé, des années durant, pour n'avoir jamais été entendue. Quand une personne se livre à un proche et que celui-ci s'entend accuser de manipulation, cela ne facilite pas la protection de l'enfance. Or c'est un cas de figure fréquent dans les appels que nous recevons, qui laisse les gens démunis.

Alerter, c'est se sentir responsable. Comment faire ? Au-delà du travail de fourmi qui permet de constater, de pointer des éléments et de les recouper avec les constats d'autres personnes, il faut combler un besoin d'informations, à tous les niveaux. Il faut éduquer au respect de l'autre, de son corps, de la réserve et de l'intimité. Or ces notions ne sont pas abordées, alors qu'elles ne sont pas violentes ! Les propos peuvent être bienveillants, très progressifs, ce que les enfants comprennent très bien. Les sites sur lesquels les enfants font leur éducation, eux, sont violents. On peut, plus tard, évoquer la qualité d'une relation, sa progressivité, le rôle de la parole. Me reviennent en tête, en en parlant, les visages d'enfants qui confessaient n'avoir jamais parlé de ces choses-là chez eux. Si l'école n'aborde pas ces questions, cela crée un manque, que l'on remarque, je crois, chez beaucoup. Il faudrait également aborder la question de la grossièreté...

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