Je me suis basée sur vos questions pour préparer mon intervention. J'ai fondé cette association sur le conseil du maire de ma ville car j'ai été victime d'abus sexuels lorsque j'étais enfant et que je vivais au Maroc. L'auteur était l'employé de mon père. Cette expérience malheureuse m'a poussée à réfléchir. Pendant huit ans j'ai été abusée et violée par le plus fidèle employé de mon père. Très tôt, je me suis donc demandé pourquoi on pouvait éprouver du désir pour un enfant. J'avais décelé chez mon agresseur une prise de distance progressive lorsque j'ai grandi et que j'ai commencé à prendre une apparence plus féminine : j'ai compris qu'il était attiré par les petites filles. Mon départ à quinze ans m'a sauvé.
Je suis arrivée en Algérie et j'ai rencontré une petite fille à l'attitude fermée : elle m'a rappelé mon enfance. Bouleversée par son état, j'ai fait parler cette petite fille qui m'a dit être victime de son père, de son oncle et de son frère. Je l'ai incitée à dénoncer tout de suite les faits alors qu'elle me suppliait de ne rien dire. Mes conseils ont fonctionné et tout a changé chez elle. Ce fut ma première action. Ensuite, j'ai commencé à rencontrer des victimes et à déceler le mode opératoire des agresseurs. J'ai progressivement pu mieux identifier les différents profils des auteurs par le biais de mes rencontres avec des victimes.
À partir de l'âge de vingt ans, j'ai eu la volonté de comprendre cette attirance pour les enfants qu'éprouvent les pédophiles. J'ai constaté que les pédophiles ne souhaitaient en général pas faire de mal aux enfants et souffraient de ne pas pouvoir expliquer leur attirance. À partir de là, j'ai décidé d'aller vers les auteurs dès qu'un dialogue était possible, ce qui n'est pas toujours le cas.
J'ai commencé à réunir les familles, à faire des médiations. J'ai mené ces actions seule, en autodidacte. C'est le combat de ma vie : je suis animée par ce combat et en premier lieu par la volonté de prévenir les passages à l'acte. Les auteurs que j'ai rencontrés m'ont indiqué que s'ils avaient bénéficié plus tôt de cette écoute et de cette empathie, ils ne seraient jamais passés à l'acte.
J'ai continué mes actions, par le biais du bouche à oreille, et c'est toujours la victime qui m'a orientée vers son auteur. J'ai développé ces actions d'écoute qui se sont avérées efficaces pour prévenir la récidive.
Au moment de l'affaire « Marc Dutroux », les articles de presse que je lisais n'avaient rien à voir avec ce que j'avais appris sur le terrain. J'ai constaté qu'aucune action n'était prévue pour prévenir le passage à l'acte.
J'ai été contactée par l'école où était inscrite ma fille, à Créteil, afin d'aider le directeur et l'équipe pédagogique qui suspectaient un instituteur de faits d'abus sexuels sur mineur. J'ai mené une enquête pour m'assurer que cet enseignant avait bien enfreint la loi. Dans le cadre de cette affaire, j'ai rencontré le maire et un inspecteur de l'académie de Créteil. Ils m'ont encouragée à créer une association pour partager mon expérience de terrain. Cela n'a pas été si facile car j'ignorais ce qui se faisait en France sur ces sujets.
Je suis allée à un congrès à Lille pour connaître les dispositifs qui existaient pour la prise en charge des délinquants sexuels. J'ai été surprise qu'on assimile le terme pédophile à celui de délinquant sexuel alors que le pédophile peut être abstinent pendant des années et déraper par manque d'écoute. Ceux que j'ai écoutés étaient accessibles et ouverts au dialogue.
Mon association m'a permis de réaliser ce que je voulais faire : un travail en amont pour prévenir le passage à l'acte. Je me suis renseignée auprès de professionnels, dont des psychologues et des psychiatres. Tous m'ont dit que mon projet était utopique. La prise en charge des victimes et des auteurs d'infractions existait déjà. Ce que je souhaitais, c'était agir pour éviter le passage à l'acte. Pour être pris en charge lorsqu'on est pédophile, il fallait passer à l'acte et enfreindre la loi !
J'ai donc persévéré et j'ai créé un site Internet qui permettait à ces personnes de me contacter par téléphone et par courriel. Ma permanence téléphonique a démarré en 1998 et j'ai constaté le manque criant d'accompagnement des personnes par ce type d'approche. De nombreuses personnes m'ont contactée pour me faire part de leurs attirances et de leur volonté de ne pas passer à l'acte. J'ai pu éviter de nombreux abus.
Les premiers qui m'ont contactée étaient des enseignants ou des éducateurs sportifs qui souffraient de l'étiquette accolée au pédophile, vu comme un délinquant dangereux.