Mon exposé va aborder plus spécifiquement la question de l'imagerie médicale à l'heure de l'intelligence artificielle.
On l'a vu, l'intelligence artificielle permet d'augmenter les capacités cognitives des médecins, pour les aider à mieux prendre en charge leurs patients. Appliquée à l'imagerie médicale, elle permet d'analyser des images très complexes, en prenant en compte des masses de données considérables qu'aucun cerveau humain ne peut appréhender dans leur totalité.
Des exemples récents ont frappé les esprits. J'en citerai trois. En dermatologie, un logiciel d'apprentissage profond, d'abord entraîné sur plus d'un million d'images naturelles, a ensuite été ajusté sur les images de plus de 100 000 lésions dermatologiques, pour apprendre à distinguer automatiquement les lésions cancéreuses des lésions bénignes, comme un dermatologue expert.
Le deuxième exemple concerne le secteur de la radiologie : l'entreprise française Therapixel, représentée ici par son fondateur Olivier Clatz, qui interviendra tout à l'heure, a entraîné un logiciel d'apprentissage sur plus d'un demi-million de mammographies dans le cadre d'un défi mondial et remporté la compétition, en distinguant les mammographies suspectes des mammographies normales mieux que tous ses concurrents. Le logiciel se compare aujourd'hui aux meilleurs radiologues experts sur ce sujet.
En ophtalmologie enfin, des logiciels d'apprentissage entraînés sur plus de 100 000 images de la rétine sont désormais capables de détecter les rétinopathies diabétiques aussi bien qu'un ophtalmologue expert, à tel point que, comme l'a indiqué M. Gruson précédemment, la FDA, agence américaine du médicament, a pour la première fois dans son histoire autorisé un tel logiciel à faire ce diagnostic automatiquement, sans que l'image soit regardée par un ophtalmologue.
Il faut savoir que tous ces travaux autour des images médicales ne se limitent pas au développement de logiciels d'apprentissage profond, qui posent par ailleurs d'autres problèmes dans la mesure où ils s'appuient sur des millions de paramètres difficiles à interpréter ; leur ajustement requiert ainsi d'immenses bases de données renseignées, qui coûtent très cher et sont souvent difficiles à acquérir. Il est aujourd'hui possible de construire des modèles numériques du patient, qui exploitent les connaissances dont nous disposons en anatomie et en physiologie, pour se limiter à un nombre réduit de paramètres plus facilement interprétables. Il s'agit en fait d'algorithmes avec des modèles mathématiques, physiques, biologiques, qui permettent de construire, à partir des images médicales et d'autres données sur le patient, une représentation numérique et personnalisée de ce patient, que l'on qualifie de « patient numérique personnalisé », de « e-patient » ou encore de « jumeau numérique ». Les paramètres et les modèles de ce « jumeau numérique » peuvent ensuite être utilisés par des algorithmes de médecine numérique, c'est-à-dire d'aide au diagnostic, au pronostic et à la prise en charge thérapeutique.
Ces modèles biophysiques du patient numérique permettent aussi d'augmenter les bases de données, en simulant par exemple des maladies rares ou des cas peu ou mal représentés dans les bases de données déjà acquises. Ils permettent donc de faire de la complétion de bases de données.
Enfin, le cadre théorique de ce patient numérique et les méthodes modernes des sciences des données permettent d'intégrer des données sur le patient que l'on pourrait qualifier de « holistiques », c'est-à-dire incluant non seulement les images anatomiques et fonctionnelles du patient, mais aussi les données biologiques (génétiques, métabolomiques, etc.), voire des données comportementales ou environnementales, sur le style de vie par exemple. On est ensuite en présence de données extrêmement hétérogènes, de grande dimension : il s'agit véritablement d'un défi scientifique que de les analyser. La recherche est très active sur ces sujets, notamment dans le cadre des Instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle en cours de déploiement en France. La date limite de dépôt des projets était il y a deux jours. Ceci va permettre de faire progresser la compréhension de certaines maladies, de mieux guider leur prise en charge. On pense notamment au dépistage et au traitement de nombreux cancers, dont ceux du poumon, du sein ou de la prostate.
À terme, le champ d'application de l'intelligence artificielle en imagerie médicale est appelé à servir un très grand nombre de disciplines médicales, dont la radiologie, l'oncologie, mais aussi la cardiologie, la neurologie, la radiothérapie, la chirurgie, etc.
Que se passe-t-il à l'étranger ? Au Royaume-Uni par exemple, la base de données UK Biobank met à la disposition des chercheurs l'ensemble des données (données d'images, génétiques et environnementales) acquises sur plus de 100 000 participants volontaires, suivis dans le temps. Il s'agit donc d'une base de données dynamique.
Aux États-Unis, la base de données ADNI propose, pour une immense cohorte de patients atteints de la maladie d'Alzheimer, des images du cerveau au cours du temps et des données cliniques et génétiques.
En France, des initiatives récentes ont été lancées pour constituer des entrepôts de données de santé associant de l'imagerie et des informations complémentaires sur les patients, afin de mettre ces données à disposition des chercheurs, en préservant leur confidentialité et avec l'accord des participants. A été évoqué précédemment le Health data hub, mais on pourrait citer également l'entrepôt de données de santé de l'AP-HP, France Life Imaging ou encore DRIM France IA, dont Laure Fournier va nous parler dans quelques instants.
Je pense qu'il est nécessaire, concernant ces bases de données, de rappeler l'importance de s'assurer de la bonne représentativité des cas rares, qui par définition ne sont pas nombreux, de l'absence de biais liés au genre, à l'âge, à l'ethnicité et de la présence de sujets sains en nombre suffisant lorsque l'on souhaite effectuer des comparaisons (ce qui pose un problème éthique lorsque la modalité d'imagerie est irradiante par exemple).
Il faut selon moi vraiment encourager ces initiatives, indispensables pour permettre à la recherche de faire des progrès considérables, et veiller à ce que la réglementation, si elle protège suffisamment les patients, ne pénalise pas les chercheurs français et européens face au reste du monde.
Je souhaiterais insister pour terminer sur le fait que l'intelligence artificielle, l'imagerie médicale et le patient numérique sont un ensemble d'outils informatiques au service de la médecine dite « des 4 P » (personnalisée, précise, prédictive, préventive), destinée à mieux soigner non pas le patient numérique, mais bien le patient réel.
Pour faire écho aux propos de Bernard Nordlinger, je voudrais conclure sur le fait que ces nouveaux outils ont vocation à aider le médecin, non à le remplacer. Un certain nombre de qualités du médecin, comme le bon sens, l'empathie, la compassion, la compréhension globale du patient, l'esprit critique, la conscience professionnelle et la créativité, restent encore et pour longtemps l'apanage de l'intelligence humaine et demeurent absolument indispensables dans ce domaine.