Intervention de Laure Fournier

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 21 février 2019 à 9h00
Audition publique ouverte à la presse sur le thème : intelligence artificielle et données de santé : quelle collecte quel accès aux données pour quelles améliorations diagnostiques et thérapeutiques

Laure Fournier, Société française de radiologie, Collège des enseignants en radiologie de France :

PU-PH, Société française de radiologie, Collège des enseignants en radiologie de France. - Merci pour cette introduction. À vrai dire, je préfère me voir comme un phénix qui va renaître des cendres auxquelles certains réduisent, peut-être un peu hâtivement, l'avenir de la radiologie.

Je suis très honorée de représenter ici la communauté des médecins radiologues et vais essayer, dans le temps court qui m'est imparti, d'aborder quatre points qui nous paraissent essentiels.

Le premier concerne l'importance des bases de données. Il s'agit, comme ceci a été souligné à plusieurs reprises, d'un enjeu national, scientifique et industriel, mais aussi médical pour le patient. En effet, les algorithmes qui sont développés et vont conduire à des innovations thérapeutiques ou à des évaluations de nos pratiques de soin sont intrinsèquement dépendants de la population sur laquelle ils ont été développés. Si l'on se contente par conséquent d'utiliser des algorithmes entraînés sur des populations américaines, chinoises ou indiennes, ils ne s'appliqueront pas forcément aux patients français (qui ont des profils de maladies différents), à nos habitudes de soin et à nos politiques de santé. Il conviendra donc, au minimum, de les valider sur nos propres populations.

Au-delà de ces bases de données au sens général, j'insiste également sur l'importance des bases de données en imagerie et le fait de disposer des images elles-mêmes. Lorsque j'ai parlé de mon métier à un ami, il m'a dit que l'on pouvait finalement le résumer par la formule « voir c'est savoir et savoir c'est pouvoir ». J'ai trouvé cette phrase très belle. Il est vrai que les images sont au coeur du soin. Je travaille en cancérologie et bien souvent les images permettent de voir la maladie pour la première fois, de savoir si elle est localisée afin de la confier aux chirurgiens comme M. Nordlinger ou au contraire si elle est malheureusement plus étendue et doit être confiée aux cancérologues. Je pense par ailleurs que l'opportunité de ces bases de données en imagerie va au-delà de la maladie qui nous intéresse au moment du soin, car les images apportent une information bonus, en permettant de voir tous les autres organes. Ceci est notamment intéressant pour acquérir des connaissances sur l'histoire des maladies, sur les maladies chroniques, comme la bronchopathie chronique, l'état de nutrition du patient, l'ostéoporose, etc. Il s'agit d'une source d'information extrêmement riche, à condition de pouvoir disposer des images elles-mêmes. Ces données sont parfois insoupçonnées au moment du soin, ne sont pas explicitement détaillées, mais sont une mine d'information et l'une des grandes opportunités de ces bases.

Le Conseil professionnel de la radiologie, qui réunit les radiologues libéraux, hospitaliers et universitaires, conduit une initiative intitulée DRIM France IA, qui vise à regrouper toutes les images de soin dans une base de données, pour servir en partie d'interface au Health data hub et pouvoir ainsi rapprocher ces images, qui n'ont pas de sens seules, des données cliniques.

Comment passer du soin aux données ? Il s'agit de la première étape. Je souhaiterais rappeler ici qu'il convient de ne pas oublier l'investissement initial sur ces données. Je suis d'accord avec Emmanuel Bacry sur l'idée que l'on peut faire beaucoup de choses avec les données telles qu'elles sont aujourd'hui, mais pense que l'on a beaucoup à gagner à investir pour s'assurer de la qualité de ces données, de leur véracité. En pratique, certaines informations sont parfois implicites, voire orales. Elles sont parfaitement compréhensibles dans le contexte, mais seront peut-être, une fois sorties du contexte et intégrées dans une base, plus difficiles à appréhender et à interpréter. Il me semble important de réfléchir à cet aspect. Il existe en outre un bénéfice secondaire, dans la mesure où dès que l'on travaille sur les données de soin et leur structuration, on améliore la qualité des soins de manière immédiate. Ceci engendre donc un bénéfice immédiat pour le patient, au jour le jour.

Comment, enfin, passer des données aux soins ? Encore une fois, il est important de se rappeler à quoi servent ces bases de données : que les acteurs soient publics ou industriels, l'objectif est d'améliorer la santé de nos patients et de notre société en général. La pertinence médicale doit donc être au coeur des travaux. Si l'on veut que ces bases soient des outils utiles, elles doivent être pertinentes. Ceci doit évidemment être assorti d'une garantie de leur validité et de leur sécurité. Je veux ici souligner la volonté des radiologues de contribuer à ce processus. Lorsque l'on a commencé à parler des bases de données et de l'intelligence artificielle, ceci a suscité beaucoup d'appréhensions dans notre milieu. Je trouve toutefois que la situation a beaucoup évolué. Aujourd'hui, cela génère beaucoup d'enthousiasme lucide, de volonté. De nombreuses initiatives se développent, dont DRIM France IA. Je pense que nous sommes prêts, au sens où nous le souhaitons et nous y préparons, à accompagner ces développements et à servir, parmi d'autres, de garants de la qualité et de la sécurité.

Il faut tout d'abord qu'il y ait suffisamment de radiologues. Ceci reste une préoccupation, dans la mesure où nous éprouvons déjà des difficultés à couvrir les besoins du territoire pour nos missions actuelles. Quid, dans ce cas, de nos missions futures ? Au-delà de cet aspect, il faudra aussi disposer de suffisamment de radiologues formés. Je fais partie du Collège des enseignants en radiologie, où je suis responsable de la formation des internes en intelligence artificielle. Les cours ont déjà commencé. Nous formons ainsi les étudiants en médecine non seulement à la technique, mais avons également choisi d'associer à chaque heure de formation en technologies numériques une heure de formation en relation patient. Nous considérons en effet qu'il va désormais falloir savoir mieux communiquer aux patients les résultats issus de ces outils. Sans être mélodramatique, il faut imaginer comment recevoir un patient après son scanner pour lui indiquer que l'on a découvert une lésion sur l'un de ses reins et que l'algorithme indique qu'il y a 48 % de chances que ce soit un cancer. Il va falloir être capable de leur fournir des explications, de les accompagner, pour que ce passage de la donnée aux soins soit acceptable sur le plan humain, pour le patient comme pour le médecin.

Je vous remercie et espère que nous aurons l'occasion de rediscuter de certains de ces points.

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