Intervention de Xavier Inglebert

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 janvier 2019 à 8h40
Auditions sur « les zones à régime restrictif zrr dans le cadre de la protection du potentiel scientifique et technique de la nation

Xavier Inglebert, haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) adjoint des ministères de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI) et de l'éducation nationale et de la jeunesse (MENJ) :

préfet, haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) adjoint des ministères de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI) et de l'éducation nationale et de la jeunesse (MENJ). - J'assure la fonction de HFDS adjoint depuis janvier 2018, je suis en charge de la conception et de la mise en oeuvre de la politique de défense et de sécurité des deux ministères MESRI et MENJ, notamment des dispositifs réglementaires qui concernent la protection du potentiel scientifique et technique dans les 2 200 laboratoires concernés par le MESRI, hors sciences humaines et sociales qui ne sont pas dans le dispositif, ce qui représente 60 % du dispositif national de PPST.

Dans ce champ précis, mes fonctions consistent : en premier lieu, sur la base des textes réglementaires disponibles, à élaborer la stratégie globale du ministre en ce domaine, et j'aurai à la fin de cette audition des propositions à faire aux directrices et directeurs d'institut et de laboratoire ; en second lieu, à mettre en oeuvre opérationnellement cette stratégie.

Cela recouvre quatre volets : identifier les laboratoires qui ont un besoin de protection en ZRR. Pour cela, nous avons créé, avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), un collège d'experts. Il est constitué, d'une part, des directeurs d'unité proposés par les établissements, que ce soit la Conférence des présidents d'université (CPU) ou les grands organismes de recherche, d'autre part, d'experts scientifiques de la défense et de la sécurité du SGDSN ou du MESRI.

Ce comité d'experts va coter, sur une échelle de 1 à 3 pour chacun des risques, chaque laboratoire au regard des quatre risques définis par la PPST : risque économique, risque en matière de défense conventionnelle, risque de prolifération d'armes de destruction massive et risque terroriste. Environ 10 à 15 % des laboratoires couverts par le MESRI ont été identifiés comme pouvant relever du dispositif ZRR, soit entre 250 et 300 laboratoires. Le comité y travaille sur la base d'un questionnaire qui est renseigné par les directeurs d'unité, à partir des rapports du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) et de sources fermées. Il travaille en méthode d'analyse des risques - et absolument pas à partir de mots-clés.

Le deuxième aspect de mes compétences porte sur les unités les plus sensibles, à condition que l'établissement et les tutelles le demandent : l'instruction des dossiers de passage en ZRR, avec la signature in fine d'un arrêté de création ou de suppression. J'insiste sur le fait que je n'ai pas l'initiative de la création des ZRR. Ma mission est d'encourager cette création quand elle est nécessaire. Dans la précédente table ronde, on a cité le cas d'un problème dans un laboratoire. Je l'ai contacté suite à ce problème, et effectivement, avec le directeur d'unité et le président de l'établissement, nous avons décidé ensemble de créer une ZRR. Depuis 2015, 394 ZRR ont été créées, sur les moins de 1 000 du dispositif global avec les autres ministères, ce qui représente 108 unités de recherche. Parfois il y a plusieurs ZRR par unité de recherche. En 2018, j'ai également signé 10 arrêtés de suppression. Ce dispositif vit, avec des entrées et des sorties.

Troisième aspect de mes compétences : pour toutes les unités en ZRR, je signe les avis sur les demandes d'accès. Cela a représenté 9 400 demandes d'accès en 2018. Le délai moyen de réponse sur les 60 jours imposés par les textes est en moyenne de 24 jours. La décomposition est la suivante : 95 % des avis sont sans objection, 1,7 % des avis sont négatifs (157) en 2018, et, c'est une nouveauté en 2018, environ 3,5 % des réponses sont des avis favorables sous réserve. Globalement, le but dans ce dernier cas, est d'impliquer les acteurs, d'assortir l'avis de réserves qu'il faut lever : limitation d'accès physique dans certains cas, compte rendu périodique du directeur de thèse quand il s'agit d'un doctorant, etc. L'ensemble des avis sur demande d'accès s'appuient sur le travail d'un groupe d'experts scientifiques qui est à mes côtés. Ces experts travaillent sur le dossier complet, les CV des chercheurs, essaient d'analyser ces dossiers par rapport à la réalité du risque, à l'activité du laboratoire, au profil du candidat et au projet de recherche. Là non plus, nous ne travaillons pas à partir de mots-clés.

Dernier volet de mon activité : les avis sur les programmes de coopération internationale des établissements supérieurs. Cela n'a rien à voir avec les ZRR, cela s'applique à l'ensemble des laboratoires. Le but est d'accompagner les établissements pour que les contrats qu'ils signent ne soient pas léonins en termes de propriété intellectuelle, ce qui peut être parfois le cas, et qu'ils n'aillent pas à l'encontre des engagements internationaux de la France en termes de prolifération ou d'exportation de biens à double usage.

De mon point de vue, une problématique se pose : nous avons ensemble à gérer une tension. D'une part, il y a le fait que la recherche ne se conçoit aujourd'hui qu'au niveau international. Le rayonnement français sur l'échiquier de la recherche mondiale et des scientifiques nécessite absolument l'échange, la confrontation des idées, ainsi que l'attractivité des meilleurs chercheurs et étudiants dans nos laboratoires. C'est indispensable à la recherche française, la cinquième du monde. D'autre part, simultanément, on l'a vu, des menaces croissantes et réelles convoitent notre production scientifique, et ce dans le monde entier.

Cette tension porte deux enjeux : un premier enjeu est lié aux intérêts fondamentaux de la nation, c'est-à-dire que des puissances étrangères cherchent à s'emparer du produit de notre recherche et de nos brevets, et parfois, ces produits impliquent la défense nationale. Le deuxième enjeu est plus considérable : c'est celui de la survie même de notre modèle de recherche, démocratique, républicain, porteur d'universalité. Certains pays ne s'embarrassent pas de ces principes et ne développent pas une recherche démocratique. Si nous les laissons s'emparer de notre recherche, c'est leur modèle qui l'emportera.

Quelle utilité pour la PPST ? D'abord, l'utilité est générale. Le fait qu'elle existe permet de développer l'attention, l'interrogation, le signalement, pour le milieu scientifique de la recherche. Le fait même que la PPST existe permet de tracer une frontière.

Le deuxième aspect est plus concret. En 2018, j'ai connu quatre cas de figure, avec de vraies difficultés, équivalentes à celles évoquées tout à l'heure. Ces difficultés auraient été évitées si ces laboratoires avaient été en ZRR, car les candidats étrangers qui venaient auraient été refusés selon nos critères. Les trois premiers cas concernaient des volumes de brevets potentiels. L'un de ces trois cas comportait un vol de brevet au détriment d'un industriel français qui finançait la recherche. Le quatrième cas concernait une unité de recherche qui, sur 30 doctorants, accueillait 10 étudiants de la même nationalité et de la même université militaire. Le laboratoire en question est un laboratoire d'excellence, dont certains des sujets peuvent mettre en jeu les intérêts fondamentaux de la nation.

On dit beaucoup de choses sur la PPST. D'emblée, ce dispositif est contraignant, parce que c'est un dispositif de sécurité et que c'est une contrainte collective. Ce dispositif mobilise des ressources. À ses débuts, il a pu connaître des difficultés de mise en oeuvre. Oui, nous devons faire plus de pédagogie, nous devons mieux prendre en compte les préoccupations des chercheurs et essayer d'éviter toutes les contradictions dans son déploiement. Moi-même, entre 2010 et 2015, j'étais directeur général délégué aux ressources humaines du CNRS, et j'ai pu voir l'arrivée de la PPST et comprendre les difficultés que cela posait.

On dit beaucoup de choses qui ne correspondent pas forcément à la réalité. Monsieur Villani, vous avez parlé des publications soumises à autorisation du directeur de laboratoire. Je suis désolé, mais aucun texte ne préconise une telle contrainte de portée générale. La circulaire interministérielle de 2012 du SGDSN précise à la page 30 que : « Le règlement intérieur de la ZRR précise les règles encadrant les publications relatives aux travaux menés dans la ZRR. [Ces règles doivent concilier le besoin légitime de publication des chercheurs et le respect des impératifs de sécurité.] En cas de besoin, le chef de la ZRR peut demander un avis technique au haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) [...]. » Ce n'est donc vraiment pas systématique. Dans certains cas, il est possible qu'on ait pu mobiliser ce dispositif. Mais il serait d'ailleurs tout à fait impensable et impossible qu'un directeur d'unité doive lire l'ensemble des articles émanant de son unité, surtout dans les très grosses unités. Donc ce n'est pas une préconisation ministérielle, les textes ne le disent pas ainsi. J'insiste sur ce point : dans l'arsenal juridique aujourd'hui, il y a de la souplesse, des marges de manoeuvre, des champs sur lesquels nous pouvons travailler ensemble.

Par la suite, je ferai des propositions, si vous m'y autorisez, en direction des chercheurs et des scientifiques de notre pays.

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