Intervention de Agnès Canayer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 mars 2019 à 9h30
Projet de loi relatif aux compétences de la collectivité européenne d'alsace — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer, rapporteur :

Ce projet de loi est le fruit d'une intense négociation entre le Gouvernement, les élus des départements alsaciens et ceux de la région Grand Est. Il s'appuie sur l'accord, ciselé à la virgule près, signé à Matignon le 29 octobre dernier et tend à assouvir le « désir d'Alsace » particulièrement exacerbé par le redécoupage des nouvelles régions, qui a totalement dissout l'entité « Alsace » dans la région Grand Est, et ce contre l'avis du Sénat.

L'accord prévoit, au sein de la région Grand Est, le regroupement des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin au sein d'une Collectivité européenne d'Alsace, dite CEA, qui se voit confier, en plus des compétences départementales, des prérogatives particulières et supplémentaires.

Cette nouvelle collectivité est donc bien un département - un département plus, mais pas plus que cela ! - dont le nom peut paraître nébuleux. Ce sujet reste toutefois anecdotique à mes yeux et l'appellation a été entérinée par le décret en Conseil d'État du 27 février dernier.

Comme tout compromis, ce texte suscite de vives insatisfactions, tant de la part de certains Alsaciens, qui souhaitent la sortie de la région Grand Est, voire la création d'une collectivité à statut particulier en vertu de l'article 72 de la Constitution, que de la part des autres élus de la région - quand ce n'est pas du reste du territoire - qui demandent à disposer des mêmes avantages que la CEA.

De plus, il ne résout en rien les difficultés engendrées par le redécoupage à la serpette des régions et la redéfinition des compétences régionales et départementales, issue de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe.

Cependant, même insatisfaisant pour certains, ce projet de loi est attendu par de nombreux élus alsaciens car il donne du contenu à cette entité « Alsace » qu'ils appellent de leurs voeux les plus chers.

Par ailleurs, s'il concerne principalement les Alsaciens, ce texte ne peut être déconnecté de la nécessaire évolution des lois de décentralisation ni de l'introduction, dans la Constitution, du futur « droit à la différenciation » qui serait applicable à tous les départements français. La nouvelle CEA doit être considérée comme une expérimentation, dans la perspective de futures réformes en matière de décentralisation.

Je propose donc d'accepter le compromis négocié par les élus alsaciens avec le Gouvernement, que certains vont jusqu'à qualifier de « bretzel arrangé », à trois conditions : que l'on améliore, complète et précise le texte afin de garantir à la CEA qu'elle disposera des moyens juridiques, humains et, surtout, financiers nécessaires pour exercer ses nouvelles compétences ; que l'on expérimente en Alsace des dispositions ayant vocation à nourrir le débat général sur l'organisation territoriale de notre pays ; que l'on sécurise dans la loi certaines dispositions électorales.

Je ne reviendrai pas sur la chronologie du dossier. Elle a abouti, en un temps assez court, à l'accord de Matignon du 29 octobre 2018, suivi du décret du 27 février 2019 portant regroupement des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, puis du dépôt de ce projet de loi, traitant des compétences nouvelles dévolues à la CEA. Quatre domaines sont concernés : la coopération transfrontalière, le bilinguisme, le tourisme et le transfert des routes nationales et autoroutes non concédées.

Le texte habilite en outre le Gouvernement à prendre par ordonnances des dispositions traitant les conséquences de la réunion de ces deux départements en un seul, ainsi que des dispositions relatives au domaine routier.

Je propose donc d'accepter le compromis négocié, sous réserve de certaines améliorations du texte.

S'agissant de la coopération transfrontalière, il est prévu que la CEA devienne le chef de file dans ce domaine, dans le respect du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Elle élaborerait elle-même un schéma de coopération transfrontalière et, pour sa mise en oeuvre, pourrait se voir déléguer les compétences des autres collectivités.

Pour aller plus loin, il conviendra de faire en sorte que le schéma de coopération transfrontalière de l'eurométropole de Strasbourg soit compatible avec celui de la CEA, lui-même devant l'être avec celui de la région, et de permettre aux EPCI de déléguer tout ou partie de leurs compétences à la CEA, notamment pour qu'elle puisse porter les projets de mobilité.

S'agissant du bilinguisme, le développement des langues régionales et de l'apprentissage de l'allemand est essentiel pour l'attractivité du territoire alsacien. Plusieurs des engagements pris dans l'accord de Matignon se retrouvent dans le projet de loi. Toutefois, la plupart des dispositions concernant le bilinguisme étant d'ores et déjà mises en oeuvre dans le cadre d'une convention quadripartite existante, les mesures contenues dans le texte ont surtout une valeur programmatique.

Je propose également de les enrichir, en acceptant un amendement visant à inclure la formation, l'ouverture des classes bilingues et d'immersion dans les compétences de coordination de la CEA, ainsi qu'un amendement tendant à donner à la collectivité le rôle de chef de file en matière de promotion des langues régionales. Enfin, je vous soumettrai un amendement visant à consolider la compétence des collectivités territoriales pour créer des chaînes de télévision locales destinées à promouvoir les langues régionales.

S'agissant du tourisme, la CEA prendra sa place dans un agencement où les compétences, à l'exception de la gestion des offices de tourisme et des zones d'activités touristiques, sont partagées entre les différents niveaux de collectivités. Je vous proposerai d'enrichir l'article 2, en adoptant un amendement visant à donner compétence à la CEA pour promouvoir l'attractivité de son territoire, en lien avec l'Agence de développement d'Alsace (Adira), dans la droite ligne de la Déclaration commune de Matignon.

Les routes nationales et autoroutes non concédées, couvrant 300 kilomètres, doivent en outre être transférées à la CEA. L'attente est forte dans ce domaine, car les voiries alsaciennes sont saturées par des camions préférant fuir le territoire allemand, sur lequel ils doivent payer une taxe, pour emprunter le réseau français gratuit. Toutefois, un simple transfert de propriété, tel qu'envisagé dans le projet de loi du Gouvernement, ne suffit pas. Je propose que le président de la CEA exerce le pouvoir de police de la circulation sur les routes et autoroutes transférées, après avis du préfet coordonnateur des itinéraires routiers ; que les autoroutes départementales, sous réserve des dispositions qui leur sont propres, soient régies par les règles applicables à toutes les autres routes départementales ; que ces autoroutes puissent être déclassées par décision du conseil départemental, toujours après avis du préfet coordonnateur des itinéraires routiers, déclassement devant être obligatoirement prononcé avant tout transfert à l'eurométropole.

En matière de personnel, nous souhaitons affermir la clause de sauvegarde, en ramenant du 31 décembre 2019 au 31 décembre 2018 la date de référence pour déterminer le nombre minimal d'emplois transférés.

Enfin, s'agissant des moyens financiers, conformément à l'article 72-2 de la Constitution, le transfert de la propriété de la voirie nationale à la CEA doit s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes à celles que l'État consacrait auparavant à leur exploitation et à leur entretien. Il est indispensable de renforcer les garanties offertes à la nouvelle collectivité, au vu du précédent de 2004, quand la compensation financière du transfert des routes nationales aux départements n'avait pas été à la mesure du coût réel de leur entretien, ce qui a entraîné une dégradation de l'état de la voirie. Je proposerai de réintroduire, dans les bases de calcul, certaines dépenses faites par l'État au titre du contrat de plan État-région, notamment celles qui concernent les travaux d'entretien normal de la voirie. En outre, je présenterai un amendement visant à ce que le montant des dépenses d'investissement et de fonctionnement prises en compte ne puisse être inférieur au montant constaté en 2018.

J'émets en outre des réserves sur deux sujets concomitants, essentiels pour les Alsaciens.

La possibilité d'instaurer une nouvelle « écotaxe » est prévue en termes assez vagues dans l'habilitation prévue à l'article 10. Quelle serait la nature de ces « contributions spécifiques » sur les transporteurs routiers ? Qui serait compétent pour les lever ? Quel taux, quelle assiette, quelles exonérations ? Vu l'enjeu pour l'Alsace, je ne proposerai pas de supprimer cette habilitation, mais il faudra être extrêmement vigilant à ce sujet.

Une autre ordonnance est prévue pour assurer la continuité des engagements pris par l'État sur le dossier de l'A 355. À l'occasion de sa concession à une filiale de Vinci, l'État s'est engagé à assurer la déviation du trafic de poids lourds vers cette nouvelle autoroute. À défaut, 10 millions d'euros de concours publics seraient dus au concessionnaire. Nous devons veiller à ce que la CEA n'assume les engagements pris par l'État que si elle est effectivement en mesure de les exécuter.

Je l'ai dit, la création d'une nouvelle collectivité alsacienne doit être l'occasion d'y expérimenter de nouvelles dispositions ayant vocation à nourrir le débat général sur l'organisation territoriale du pays.

Alors que la loi NOTRe a réduit comme peau de chagrin les compétences économiques des départements au profit des régions, nous prévoyons de réintroduire dans le présent projet de loi une disposition adoptée en juin dernier par le Sénat dans le cadre d'une proposition de loi des présidents Philippe Bas et Bruno Retailleau et de notre collègue Mathieu Darnaud, visant à ce que le conseil régional puisse déléguer à la CEA, à titre expérimental et pendant cinq ans, l'octroi de tout ou partie des aides aux entreprises qui relèvent de sa compétence. Tout autre département pourrait s'associer à l'expérimentation.

Enfin, nous souhaitons ajuster certaines dispositions électorales et, surtout, réintroduire dans le corps du projet de loi celles qui ont été intégrées dans l'habilitation à légiférer par ordonnances. Cela concerne la fixation du nombre de cantons à 40, les modalités d'élection des conseillers régionaux et la répartition des conseillers départements et régionaux au sein des deux collèges appelés à élire les sénateurs du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

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