Intervention de Philippe Knoche

Commission des affaires économiques — Réunion du 27 mars 2019 à 9h00
Situation d'orano et avenir de l'énergie nucléaire — Audition de M. Philippe Knoche directeur général d'orano

Philippe Knoche, directeur général d'Orano :

Non, car il nous demande de faire des choses que nous faisons. Il est très rare que nous attaquions un arrêté préfectoral. On en a pourtant plusieurs par an, ainsi que des enquêtes publiques. Des sensibilités très diverses s'expriment autour de ce site. Les habitants des deux départements ne sont pas du même avis sur les travaux de contournement. Nous ne les réaliserons pas en raison de l'opposition de certains habitants. Ce n'est d'ailleurs pas nécessaire sur le plan de la sûreté nucléaire. Nous allons procéder cependant à des travaux de renforcement du barrage.

Historiquement, nous avions pour missions de surveiller plus de 200 sites miniers en France. Lorsque les sites sont extrêmement stables, le code minier prévoit leur retour à l'État quand les conditions sont remplies. Parmi ces 200 sites miniers, seuls un peu plus d'une dizaine sont des installations classées pour la protection de l'environnement. Pour ceux-là, les contraintes sont bien entendu supérieures.

Nous sommes un acteur responsable. Nous continuons la surveillance et le traitement. Lorsque les sites seront complètement stabilisés, ils retourneront à l'État. Nous comptons aujourd'hui un certain nombre de sites transformés en fermes solaires.

La maîtrise des risques d'accident et la sûreté nucléaire constituent le premier sujet de chaque salarié d'Orano. Nous faisons non seulement tout notre possible, mais nous améliorons jour après jour et année après année les conditions dans lesquelles nous opérons. Le meilleur juge en est l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui rend régulièrement compte au Parlement de l'état de sûreté des installations. Je ne peux que me faire l'écho de ce qu'ils ont déclaré publiquement en indiquant que la situation de la sûreté nucléaire en France s'améliore, ainsi que la situation des exploitants. Elle est satisfaisante, mais nécessite une certaine attention, par exemple en ce qui concerne la reprise de certains déchets anciens et très anciens, que nous sommes en train d'accélérer.

D'une façon générale, les exploitants de chaque pays doivent impérativement tenir compte des retours d'expériences. On le fait à travers l'Association mondiale des exploitants nucléaires (WANO), qui a pour objectif de s'assurer que chacun apprend des autres au fur et à mesure.

Il existe en effet un risque géopolitique à propos des mines, même si, historiquement, il est moins fort en matière d'uranium que de combustibles fossiles. Néanmoins, Orano est présent dans des zones géographiques distinctes - Canada, Niger, Kazakhstan -, avec des programmes de recherche dans d'autres pays du monde, de façon à avoir un profil de risques diversifié et à ne pas être dépendant d'une seule zone géographique ou présentant des facteurs communs.

Sans transition, la gestion des déchets est pour nous impérative. Notre métier est d'en diminuer le volume. Je confirme que les déchets nucléaires constituent un point qui fait l'objet de toute notre attention. Aujourd'hui, en France, 90 % des volumes de déchets produits par l'électricité nucléaire ont des solutions de traitement ou de stockage : ce sont tous les déchets à très faible ou à faible activité. La recherche de solutions pour le futur concerne donc 10 % des déchets restants, qui sont à haute activité et à vie longue.

La production actuelle des déchets de haute activité représente 200 mètres cubes par an. On ne conteste bien entendu pas le stock des déchets historiques mais 200 mètres cubes par an, c'est une piscine municipale à l'échelle de la France. Il s'agit d'un volume par habitant très faible. Certes, ce sont des déchets radioactifs, mais l'ASN a indiqué que leur vitrification est une solution sûre, de même que les entreposages de La Hague également, et ce pour plusieurs décennies. Pour les accueillir, nous construisons un bâtiment tous les cinq ans dans l'attente de l'intervention de Cigéo. Il n'y a donc pas de saturation à La Hague. Plus de vingt ans de production sont stockés dans un bâtiment à taille humaine.

S'agissant de l'entreposage en piscine, en amont du conditionnement de déchets et du recyclage, on est à 70 % de la capacité administrative autorisée, et à 90 % en termes de capacités physiques. Il nous appartient de réaliser les investissements pour l'augmenter. Au rythme actuel, les besoins sont entre 30 et 100 tonnes supplémentaires par an pour le combustible en piscine. Les piscines ne seront pas saturées avant 2030. Il n'y a donc pas de question fondamentale à cet horizon. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas prévoir la suite, en particulier du fait de l'arrêt des réacteurs de 900 mégawatts, qui soulèvera la question. EDF en décidera avec l'ASN à un horizon de temps relativement long.

Concernant les phénomènes climatiques, on réexamine la sûreté des installations tous les dix ans. On prend en compte les événements climatiques lorsque c'est nécessaire, qu'il s'agisse des vents, des crues, des tornades, de même que des menaces externes en termes de sécurité.

Concernant le recrutement du personnel, il faut avoir en tête que nous n'avons pas recruté pendant la restructuration. J'ai indiqué que nous avions retrouvé ce chemin. Auparavant, nous avions dix CV pour un poste ; aujourd'hui, ce n'est plus tout à fait le cas. Il faut s'en féliciter, car d'autres industries attirent. Nous disposons de nos propres centres de formation, mais également des CFA. La tension existe. On essaie toutefois de la résoudre par la formation. Nous organisons des événements locaux au Tricastin, dans le Gard, en région parisienne, à Cherbourg. Nous sommes également en relation avec Pôle emploi. Nous formons plus d'alternants que nous n'en recrutons. Ils rejoignent ensuite des entreprises intermédiaires.

Il existe une tension sur les métiers de la mécanique qui sont pourtant des métiers qui permettent de progresser tout au long de la carrière. Ce sont des métiers qualifiés, avec des salaires au-dessus du Smic. Nous menons beaucoup d'actions dans ce domaine. Nous avions six événements labellisés au titre de la semaine de l'industrie, dont un dans le Sud-Est qui a bien fonctionné, que ce soit pour les métiers de service ou de production.

Dans les territoires, nous sommes reconnus comme un employeur de qualité. Peut-être le Grand Paris draine-t-il plus d'emplois que d'autres régions. Nous sommes, avec nos programmes industriels de digitalisation ou de recherche, à la limite de la science. Nous sommes parmi les industries les plus avancées au niveau mondial, et continuons d'attirer les personnes passionnées par la technique, qui souhaitent apporter quelque chose à leurs concitoyens. Avec 220 000 emplois, le nucléaire est la troisième filière en France, après l'aéronautique et l'automobile et restons donc une industrie perçue comme porteuse.

Autre sujet : le Niger. 90 % des retours économiques de l'exploitation d'uranium vont à ce pays, que ce soit en termes de salaires, de taxes pour l'État ou de développement d'infrastructures. Nous finançons également hôpitaux, routes, écoles parfois. Le Niger connaît des enjeux très forts, mais nous contribuons à son économie, ce que les parties prenantes nous rappellent également. Nous contribuons aussi à des projets de développement et de redéveloppement à notre échelle. Nous ne constituons cependant qu'une toute petite partie de l'activité économique du Niger.

La stratégie européenne n'est pas la stratégie allemande. Beaucoup de pays en Europe, notamment à l'est et au sud-est de l'Allemagne - République tchèque, Slovaquie, etc. -, sont favorables au développement de l'industrie nucléaire. Il n'y a en revanche pas d'alignement complet des États membres sur le sujet, ne serait-ce que du fait de la position allemande, qui annonce une sortie du charbon en 2038. Même s'ils remplacent le charbon par du gaz - ce qui fait sens du point de vue du CO2 -, ils continueront quand même d'émettre beaucoup plus de CO2 par kilowattheure que la France, probablement environ trois ou quatre fois plus, puisqu'ils ont saturé leur potentiel de consommation en termes d'énergies renouvelables. Il y a dix jours, le prix de l'électricité, même en France, était négatif du fait du vent. Dans ces conditions, les allemands peuvent produire plus qu'ils n'ont besoin ; en revanche, quand il n'y a pas de vent, ils sont obligés de faire appel au charbon.

Il n'y a manifestement pas de politique européenne en la matière. De ce point de vue, le développement des interconnexions entre les pays va dans le bon sens, mais lorsque j'entends dire que l'Allemagne ne veut pas importer du nucléaire peu cher, je me dis que la compétitivité du nucléaire est au moins reconnue en Allemagne. Cela signifie que le nucléaire est compétitif !

Enfin, un des plus gros enjeux de la compétitivité de la filière se situe dans les réacteurs neufs. Le parc existant a en effet un coût de production très compétitif. En revanche, le nucléaire neuf doit se situer dans la plage de compétitivité. C'est ce qui a été annoncé par EDF.

L'ensemble de la filière, avec EDF, doit présenter, dans le cadre de la PPE, un dossier sur la construction de réacteurs neufs. EDF a clairement indiqué que des EPR améliorés seraient présentés en 2021, avec l'ensemble de leurs impacts, qu'ils soient techniques, financiers ou qu'il s'agisse de leur intégration dans les territoires. D'ores et déjà, trois régions sont candidates à l'implantation d'EPR.

C'est EDF qui est maître d'ouvrage et maître d'oeuvre. L'EPR de Taishan 1 fonctionne mieux que son modèle concurrent. Taishan 2 démarrera dans l'année. Le réacteur finlandais a obtenu son autorisation de chargement. L'EPR de Flamanville progresse et fait l'objet de communications de la part d'EDF. Il faut aujourd'hui tirer toutes les leçons des premières difficultés, qui ont permis à Taishan de conduire le chantier plus rapidement, à hauteur d'environ 40 %. EDF et Hinkley Point ont déjà construit deux nouveaux EPR. Ce réacteur aura donc été construit à six reprises au moment où le dossier sera déposé, en 2021.

Enfin, s'agissant du laser, je suis convaincu que les progrès des sciences vont nous amener à réduire la durée de vie des déchets. Les déchets que nous produisons aujourd'hui ont un volume limité, mais la réduction de la durée de vie des déchets à vie longue constitue un véritable enjeu. On examine l'innovation proposée à travers le prisme du CEA, puisqu'elle reste très en amont en termes scientifiques. Ce laser interviendrait couplé à un accélérateur, domaine d'expertise du CEA.

Nous essayons de développer des solutions capables d'accueillir ces dispositifs amont, encore en recherche fondamentale. Nous sommes ici plus les cibles que les émetteurs. Le laser permettrait d'exciter un accélérateur qui, lui-même, viserait des cibles. Nous prenons soin, dans la recherche que nous menons sur les déchets nucléaires eux-mêmes, et surtout sur les déchets à vie longue ou sur les actinides mineurs, d'être compatibles avec des recherches plus fondamentales de type laser et accélérateur.

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