Je traiterai la question du régime vis-à-vis des pays tiers. Celui-ci est modifié a minima. La Commission n'a proposé que des modifications ciblées du régime pays. C'est pourtant l'un des aspects les plus stratégiques de cette réforme. Les conditions actuelles d'attribution de l'équivalence prévue par le règlement MIFIR sont considérées comme trop favorables aux institutions qui en bénéficieraient : les critères sont flous, l'évaluation est à la seule main de la Commission, les modalités de contrôle dans la durée sont faibles ou inexistantes... Ces conditions devaient donc être revues. La Commission propose de rendre l'analyse d'octroi de l'équivalence plus « détaillée et granulaire », pour les entreprises de pays tiers susceptibles d'être d'importance systémique dans l'Union. Elle prévoit également d'y intégrer une analyse de la convergence des pratiques de supervision entre le pays tiers et l'Union. L'AEMF sera chargée d'établir un rapport annuel pour s'assurer que la décision d'équivalence demeure justifiée. Les éléments de doctrine développés en la matière par l'AEMF à travers la publication des questions/réponses pourraient utilement être intégrés en amont dans le processus d'analyse de l'équivalence. Ce n'est toutefois pas prévu par la Commission qui garde la main sur ce processus.
L'ABE et l'AEMF ont formulé des inquiétudes quant au risque de voir des entreprises d'investissement de pays tiers établir des entités européennes « boîte aux lettres », qui auraient recours de façon excessive à la délégation ou à la sous-traitance d'activités hors de l'Union afin de compenser la perte du passeport européen. Pour mesurer ce risque, il est proposé que les entités de pays tiers soient tenues d'effectuer un reporting annuel auprès de l'AEMF sur l'échelle et l'étendue des services qu'elles fournissent dans l'Union. Restera ensuite à agir, ce qui relèvera de la bonne volonté du superviseur national. Là encore la Commission ne prévoit pas un renforcement de l'autorité de l'AEMF en la matière.
En amont de la négociation, le Parlement européen avait fixé des objectifs plus ambitieux que la proposition initiale de la Commission, notamment en ce qui concerne le régime des pays tiers. Le Parlement européen souhaitait en particulier une analyse exhaustive de l'ensemble des règles européennes de marché - notamment en matière de gestion des conflits d'intérêt ou de protection des avoirs des clients -, l'application directe de certaines d'entre elles par les superviseurs des pays tiers afin d'éviter des divergences d'interprétation et l'exclusion de certaines activités de services d'investissement du bénéfice de l'équivalence.
Le Parlement européen proposait également la création obligatoire d'une succursale au sein de l'Union pour offrir certains services d'investissement particulièrement critiques pour la stabilité financière, afin notamment d'assujettir directement l'entreprise d'investissement de pays tiers aux règles de conduite européennes.
L'ambition modeste de la proposition initiale de la Commission s'est finalement trouvée encore restreinte par l'accord auquel sont récemment parvenus le Parlement européen et le Conseil. Les propositions du Parlement européen, soutenues en partie par la France singulièrement isolée dans la négociation, n'ont pas été retenues. La seule amélioration significative apportée concerne le cadre prudentiel. L'approche de la Commission en la matière se fondait sur l'hypothèse d'une importante relocalisation au sein de la zone euro des entreprises d'investissement britanniques. Pour autant, il est difficile d'éliminer l'hypothèse où un groupe financier d'un pays tiers créerait une entité « boîte aux lettres » et déléguerait des opérations, pour rester sous le seuil de 30 milliards d'euros et bénéficier d'un régime plus favorable et d'exigences allégées par rapport aux entreprises d'investissement de l'Union. Il importe donc de prévenir ces éventuels contournements du régime prudentiel. L'accord propose, dans cet objectif, de retenir des seuils plus bas. Une ou deux classes supplémentaires seront ainsi créées pour les entreprises d'investissement dont les actifs consolidés dépassent 5 milliards d'euros. Celles dont les actifs dépasseraient 15 milliards d'euros relèveront automatiquement du cadre prudentiel bancaire. Celles dont les actifs consolidés sont compris entre 5 et 15 milliards d'euros pourront, sur option du superviseur national, être aussi soumises au cadre prudentiel bancaire.
L'accord final, qui sera inscrit pour adoption à l'ordre du jour du Parlement européen en avril prochain conduit toutefois à douter de l'impact de la réforme qui paraît mal calibrée, au regard de la nécessité de prendre en compte les conséquences du Brexit et d'assurer le renforcement de la souveraineté financière de l'Union européenne. Alors que le processus législatif d'adoption est proche de son dénouement, il apparaît nécessaire d'affirmer nos préoccupations dans le cadre du dialogue politique avec la Commission. Tel est l'objet de l'avis politique que nous vous soumettons.