Le second thème que nous abordons aujourd'hui concerne la refonte du système européen de surveillance financière. C'est en quelque sorte la suite logique du premier avis politique que nous venons d'examiner. Le développement d'une surveillance financière européenne autonome est en effet la réponse institutionnelle nécessaire afin de remédier aux préoccupations que nous venons d'identifier dans le cas particulier des entreprises d'investissement.
La Commission européenne a proposé cinq textes distincts. La proposition relative aux procédures d'agrément et à la supervision des chambres de compensation a été récemment adoptée. Un texte apporte des modifications ciblées au fonctionnement du Comité européen du risque systémique, l'autre propose d'attribuer à l'Autorité bancaire européenne (ABE) un mandat spécifique de lutte contre le blanchiment. Enfin, les deux textes principaux qui nous intéressent aujourd'hui révisent les trois règlements fondateurs des autorités européennes de supervision à savoir l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP). Les négociations se sont rapidement focalisées sur le renforcement des pouvoirs de l'AEMF. C'est l'aspect central de la réforme et en conséquence l'objet principal de notre propos.
Un mot sur les enjeux de la réforme d'abord. Une supervision unique des marchés financiers est un outil essentiel pour les marchés de capitaux. La crise bancaire et financière et, plus spécifiquement, la crise de la dette souveraine ont donné l'impulsion politique qui a conduit à la mise en place d'une supervision unique des plus grandes banques de la zone euro. La défense des intérêts de l'Union impose qu'elle se dote d'un tel instrument en ce qui concerne les marchés financiers. C'est la condition nécessaire au développement de l'Union des marchés de capitaux, qui demeure, aujourd'hui encore, largement imparfaite. Elle constitue un enjeu majeur pour le développement économique de l'Union, mais aussi pour sa stabilité financière et la protection des intérêts des investisseurs et de l'épargne des citoyens européens. Cette union est aussi la base indispensable pour donner à l'euro sa vraie dimension dans les échanges internationaux.
Cette réforme est encore indispensable à la prise en compte des conséquences du Brexit. La perspective du retrait du Royaume-Uni modifie considérablement la configuration des marchés financiers européens. En dépit des relocalisations déjà amorcées, la place financière de Londres devrait maintenir durablement son importance. Faute d'une relocalisation au sein de l'Union, condition indispensable au passeport européen, les acteurs financiers implantés seulement au Royaume-Uni verront leur accès aux pays de l'Union conditionné à des accords d'équivalence. Dans ce contexte, la gestion des relations avec les pays tiers et la surveillance des éventuels recours excessifs à des délégations d'activité ou des accords d'externalisation revêtent une importance stratégique pour l'Union européenne.
Ces relocalisations préfigurent aussi le renforcement d'une organisation multipolaire des activités financières autour de différentes places européennes. Celles-ci se trouvent dans un état de concurrence accrue et sont donc incitées à arbitrer entre les réglementations. Face aux divergences nationales, il est indispensable de mettre en place des autorités européennes capables de favoriser, dans les faits, une convergence intra-européenne de la supervision.
En février 2018, la Commission des affaires européennes a adopté un avis politique soulignant le caractère stratégique de cette réforme et appelant à un renforcement ambitieux des moyens, des attributions et des pouvoirs de sanctions de l'Autorité européenne des marchés financiers. Nous alertions en outre sur la nécessité d'adopter la réforme avant la fin de l'actuelle législature du Parlement européen. C'est désormais chose faite, mais l'accord n'a finalement été trouvé qu'en toute dernière limite, le 21 mars dernier, après de nombreux trilogues infructueux. La voie est donc ouverte à une adoption en plénière au Parlement européen en avril prochain.
J'en viens aux grandes lignes de l'accord. Il ressortait des auditions menées à Bruxelles il y a quelques semaines que les négociations menaçaient de vider la réforme de sa substance. Le Conseil avait en effet retenu une orientation générale très réductrice, en contradiction avec la position du Parlement européen. Ce dernier se montrait très favorable à une européanisation de la supervision. La France défendait une approche similaire. Le Luxembourg, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la République tchèque et l'Irlande se sont, eux, opposés au renforcement de la gouvernance et des moyens des trois autorités. De fait, le compromis finalement adopté est assez décevant. Il reflète ce que nos interlocuteurs qualifient de « débat douloureux » où la France s'est retrouvée, une nouvelle fois, isolée face à la fronde des pays attachés à une supervision nationale.
Les dispositions essentielles des propositions de la Commission concernaient l'amélioration de la gouvernance, l'octroi de compétences directes de supervision à l'Autorité européenne des marchés financiers, ainsi que l'évolution de son cadre de financement. Qu'en est-il de ces trois aspects dans l'accord qui vient d'être adopté ?
Le mode de gouvernance retenu reste résolument intergouvernemental. La mise en place d'une structure de gouvernance plus indépendante et plus efficace était un objectif majeur. Il n'a pas été atteint. Pour rappel, l'infrastructure de surveillance européenne rassemble des intervenants répartis sur deux niveaux : l'un, national, avec les autorités sectorielles compétentes de chaque État membre, et l'autre, européen avec l'Autorité européenne des marchés financiers. La gouvernance actuelle repose sur le conseil des autorités de surveillance qui en est le principal organe décisionnel. Y participent notamment le président de l'Autorité européenne des marchés financiers et les représentants des superviseurs de chaque État membre. Cette gouvernance, de nature intergouvernementale, fait la part belle aux superviseurs nationaux. Elle ne favorise ni la défense d'un modèle européen de marché intégré et harmonisé, ni l'efficacité du processus de prise de décision.
Pour y remédier, la Commission proposait la création d'un comité exécutif indépendant composé du président de l'AEMF et de cinq membres indépendants permanents. Ce comité exécutif aurait été chargé de préparer et de valider les décisions pour adoption par le conseil des autorités de surveillance et aurait disposé de certains pouvoirs discrétionnaires à l'égard des particuliers et des autorités nationales de supervision. L'accord adopté ne revoit finalement que très modestement la structure de gouvernance. Il maintient le principe selon lequel les décisions doivent être prises par le conseil des autorités de surveillance, l'organe de décision ultime de l'AEMF, et ne retient pas la proposition de création du comité exécutif indépendant. Le renforcement ciblé des pouvoirs du président qui pourra désormais fixer l'ordre du jour du conseil des autorités de surveillance ne modifie en rien l'équilibre retenu qui consacre le rôle essentiel des autorités nationales.
Des compétences de supervision directe sont accordées aux pays tiers mais refusées au sein du marché unique. Depuis sa création, l'AEMF s'est vue confier progressivement des missions de supervision directe sur certains segments ou acteurs de marché. Elle dispose par exemple d'une compétence exclusive et directe sur les agences de notation de crédit. Elle verra désormais sa compétence élargie à la reconnaissance des chambres de compensation implantées dans un pays tiers. Le compromis lui octroie des compétences sur les indices de référence d'importance critique et sur les indices de pays tiers, ainsi que sur certains services de communication de données. Il abandonne en revanche le transfert de compétence pour l'approbation des prospectus d'émission de titres provenant d'émetteurs européens et ceux établis selon les règles de l'Union par des émetteurs de pays tiers. Le principe même de transfert de compétences directes sur des activités ou des acteurs européens s'est globalement heurté à une très forte opposition au sein du Conseil. Cela a d'ailleurs aussi été le cas pour le transfert à l'AEMF de compétences en matière de contrôle sur les chambres de compensation européennes. Il n'a pas été retenu par le Conseil, qui n'a concédé qu'un comité de convergence qui ne portera qu'un regard ex post sur les éventuelles divergences et manquements de supervision. L'accord n'a pas non plus retenu les propositions du Parlement européen tendant à donner aux autorités européennes le pouvoir de restreindre temporairement la commercialisation de certains produits susceptibles de causer un préjudice aux clients.
Le mode de financement reste inchangé et ne permet pas d'adapter les moyens aux enjeux. En ce qui concerne le financement des autorités européennes, le système actuel de contributions qui proviennent en partie du budget de l'Union européenne, et en partie des autorités nationales compétentes, est maintenu. La proposition de la Commission de faire participer l'industrie au budget des trois autorités n'a pas été retenue. Elle aurait pourtant permis à la Commission de se désengager budgétairement et d'ajuster les ressources des autorités européennes au périmètre de leurs tâches en faisant reposer sur l'industrie financière le financement de leurs budgets respectifs, actuellement notoirement insuffisants - nous l'avions dénoncé l'an dernier en faisant la comparaison avec le régulateur américain...
Le renforcement des compétences et des moyens de l'AEMF revêt une importance considérable. Il est la condition nécessaire du développement de marchés financiers européens stables et intégrés. Le contexte actuel le rend d'autant plus indispensable qu'il faut éviter les arbitrages de la réglementation au sein de l'Union et de la part d'entités de pays tiers. Il est également indispensable que l'AEMF joue un rôle central dans la préparation des décisions d'équivalence des régimes de pays tiers, en appui de la Commission européenne, et dans le suivi de ces décisions dans le temps. La réforme qui sera prochainement adoptée risque fort de ne pas atteindre ces objectifs. C'est pourquoi je vous propose d'adresser à la Commission un avis politique afin de saluer le compromis obtenu, tout en exprimant la déception et les attentes du Sénat.