Intervention de Julien Boucher

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 3 avril 2019 à 9h00
Audition de M. Julien Boucher candidat proposé par le président de la république aux fonctions de directeur général de l'office français de protection des réfugiés et apatrides ofpra

Julien Boucher, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l'Ofpra :

C'est un grand honneur pour le fonctionnaire, le juriste et le citoyen que je suis d'être accueilli devant votre commission.

Le droit d'asile est un droit fondamental, qui plonge ses racines dans les origines de notre tradition républicaine. Il a été inscrit au frontispice de la Constitution de 1946 parmi les principes particulièrement nécessaires à notre temps. Le Constituant y a réaffirmé son attachement en 1958, et encore en 1993. Ce droit est consacré par la convention de Genève de 1951 et le protocole de 1967, auquel près de 150 États sont parties. Il occupe une place de choix dans l'ordre juridique de l'Union européenne, au sein de la Charte des droits fondamentaux et dans le droit dérivé. Le Président de la République a bien voulu proposer mon nom pour exercer les fonctions de directeur général de l'établissement qui a pour mission de faire vivre ces principes, l'Ofpra, et il appartient à votre commission de se prononcer sur les mérites de cette proposition.

Dans cette perspective, je veux dire comment j'envisage les missions de l'Ofpra, ce que je perçois des enjeux auxquels il est confronté et comment il me paraît possible de faire face à ces enjeux. Je le ferai avec modestie et prudence, car, par définition, je ne connais cet établissement que de l'extérieur. Je vous dirai ensuite un mot de mon parcours professionnel, et des raisons pour lesquelles je pense que ce parcours m'a préparé à assumer les responsabilités de directeur général de l'Office.

L'Ofpra a pour mission principale de déterminer, à l'issue d'un examen individuel qui comporte un entretien entre le demandeur et un officier de protection, le droit à la protection internationale, qu'il s'agisse du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire, et plus marginalement de la qualité d'apatride. Son rôle ne se limite pas à la détermination du bien-fondé des demandes d'asile. Il lui appartient également d'assurer la protection des personnes qui ont obtenu le statut, principalement par la délivrance des pièces tenant lieu de documents d'état civil. Cette tâche est moins visible, mais elle est essentielle pour la bonne intégration des intéressés et leur accès à l'ensemble des droits associés à leur statut.

Ces missions doivent être exercées avec bienveillance, rigueur et indépendance. Tels sont en tout cas, si je suis nommé, les principes qui inspireront mon action.

Bienveillance, car les demandeurs d'asile sont des personnes vulnérables, et il est donc indispensable, pour ne pas passer à côté du besoin de protection, de créer les conditions de son expression, notamment lors de la présentation de la demande et de l'entretien individuel. Bien sûr, cette nécessaire bienveillance ne doit pas être de la naïveté ou de la complaisance, et il convient d'être attentif aux tentatives de fraudes et de détournement de l'asile.

Deuxième principe : la rigueur. L'asile est un droit et non une faveur, il repose sur des critères précis, qui doivent être appliqués intégralement, mais exclusivement. Le droit d'asile ne doit pas être galvaudé ou dévoyé. La décision sur la demande d'asile doit être prise dans le strict respect du droit, et au vu d'une évaluation approfondie et professionnelle de la situation du demandeur. L'Ofpra bénéficie d'un personnel très qualifié, dont l'expertise est reconnue au-delà même de nos frontières.

Troisième principe : l'indépendance. Depuis 2015, celle-ci est expressément prévue par la loi, ce qui donne à l'Office un caractère tout à fait spécifique parmi les établissements publics de l'État, afin de garantir que les décisions sur les demandes d'asile soient prises sous le contrôle du juge, en fonction des seuls critères prévus par les textes, et indépendamment de toute considération diplomatique ou de politique migratoire. Cette indépendance n'est pas pour l'Office un privilège, mais une responsabilité. Elle l'oblige en particulier, plus encore que tout opérateur de l'État, à rendre un compte scrupuleux de son action. Elle doit aussi être conciliée avec la tutelle administrative et financière exercée par le ministère de l'intérieur, et qui vise à s'assurer que l'action de l'établissement s'inscrit de manière cohérente dans le cadre de la politique publique à laquelle il concourt. Cette tutelle se matérialise notamment par la passation d'un contrat d'objectifs et de performance, qui doit d'ailleurs être prochainement renouvelé.

De l'avis général, l'Ofpra est un établissement qui fonctionne bien, et je tiens à saluer devant vous l'action du précédent directeur général, M. Pascal Brice.

L'établissement n'en est pas moins confronté à plusieurs défis, dont le principal est la hausse du nombre de demandes d'asile. Cette hausse est continue depuis plusieurs années, et a dépassé les 20 % entre 2017 et 2018, année où plus de 120 000 demandes ont été déposées. Dans les prochains mois, la priorité sera donc de faire face à cette demande dans les meilleures conditions, c'est-à-dire en faisant bénéficier les demandeurs d'asile de l'intégralité de leurs droits et en assurant aux agents de l'Office les moyens de bien assurer leur mission, tout en poursuivant les efforts de réduction des délais de traitement.

Le Président de la République a en effet fixé pour objectif à l'ensemble des acteurs de la politique de l'asile de parvenir à un délai global de traitement des demandes d'asile de six mois, ainsi que l'indique le plan d'action du Gouvernement de juillet 2017. Cela implique pour l'Ofpra de tendre vers un délai de traitement de deux mois. D'importants progrès ont été faits en ce sens ces dernières années, grâce au renforcement des moyens humains de l'Ofpra et aux réformes accomplies par l'établissement - grâce surtout à l'engagement de ses agents. Il conviendra de les poursuivre, en assurant le succès des réformes récemment entreprises, notamment pour raccourcir les délais de convocation ainsi que les délais de notification des décisions.

Naturellement, en fonction de l'évolution de la demande d'asile en cours d'année, la question de l'augmentation des moyens alloués à l'Ofpra pourra se poser de nouveau. Il importe que les objectifs assignés à l'établissement puissent être poursuivis sans dégrader les conditions de travail des agents ni amoindrir les garanties pour les demandeurs. À moyen terme, il me semble important de consolider et développer la capacité de l'Office à s'adapter rapidement aux évolutions de la demande d'asile, qu'il s'agisse de son importance numérique, de sa répartition par pays d'origine, des motifs invoqués à son appui ou encore de la localisation géographique des demandeurs d'asile.

En particulier, il me paraît essentiel de consolider la capacité de l'Office à se projeter hors les murs, en France, dans les pays de l'Union européenne ou dans des pays tiers dans le cadre des missions dites de réinstallation.

Un autre défi consistera pour l'Office à apporter sa contribution à la recherche et à la mise en oeuvre d'un nouvel équilibre pour le droit d'asile en Europe. La renégociation en cours du paquet « Asile » et du règlement dit « Dublin III » est avant tout une responsabilité du Gouvernement, mais l'Ofpra a vocation à lui apporter son expertise dans les négociations en cours, et il sera nécessairement un acteur important des nouveaux mécanismes mis en place. Il en va ainsi notamment des mécanismes de solidarité, sans lesquels le régime d'asile européen commun ne peut durablement fonctionner.

D'ores et déjà, l'Office a largement participé aux efforts entrepris pour apporter des réponses aux situations d'urgence, que ce soit dans le cadre d'une mission de relocalisation ou, plus récemment, au titre des missions de solidarité pour instruire les demandes des passagers de navires menant des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée.

Pour faire face à ces enjeux, je me fixerai si je suis nommé une double ligne de conduite.

La première procède de la conviction que rien ne pourra se faire sans l'engagement des agents de l'Ofpra. Préserver le sens de leur mission et assurer la qualité de leur vie au travail sera donc pour moi une préoccupation constante. La forte augmentation des effectifs de l'Office au cours des années récentes, pour lui permettre de faire face à l'augmentation continue de la demande d'asile, constitue pour l'établissement un défi en termes de gestion des ressources humaines, d'organisation et de logistique. Il convient en effet de dispenser aux nouveaux agents une formation adéquate, d'adapter l'organisation de l'établissement et d'offrir à l'ensemble des agents de bonnes conditions matérielles de travail.

Au-delà, il importe de donner aux agents de l'Ofpra, quel que soit leur métier, des perspectives de carrière attrayantes, tant au sein de l'établissement qu'à l'extérieur de celui-ci. Le métier d'officier de protection, en particulier, est un métier difficile, qui requiert à la fois une grande technicité et des compétences émotionnelles et relationnelles spécifiques, compte tenu des situations humaines auxquelles ces agents sont confrontés. L'expérience et les compétences ainsi acquises doivent être reconnues à leur juste valeur. Si je suis nommé, je veillerais, sur ces questions comme sur les autres, à la qualité du dialogue avec la tutelle et avec l'ensemble des partenaires de l'Ofpra, ainsi qu'avec les représentants du personnel.

Ma seconde ligne de conduite consistera à veiller à la qualité des relations de l'Office avec l'ensemble des acteurs de la politique de l'asile. Si l'ofpra est un acteur essentiel de cette politique, il n'en est pas le seul, et il doit travailler en étroite collaboration avec les autres parties prenantes, qu'il s'agisse des préfectures, de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ou encore des organisations non gouvernementales (ONG), qui jouent un rôle essentiel en matière d'accueil et d'accompagnement des demandeurs d'asile. Il importe également que l'établissement soit à l'écoute de la jurisprudence et des contraintes de la juridiction appelée à connaître de ces décisions, la CNDA.

Je me présente aujourd'hui devant vous en ayant conscience de n'être pas un spécialiste de l'asile, mais avec la conviction que mon expérience et les compétences que j'ai acquises peuvent être utiles à l'Ofpra.

Nommé auditeur au Conseil d'État en 2002, j'y ai exercé plusieurs fonctions, dont celle de rapporteur public à la section du contentieux, au sein d'une chambre qui est notamment chargée du contentieux de l'asile, c'est-à-dire le jugement des recours en cassation contre les décisions de la CNDA. Cette expérience de juge de l'asile m'a rendu familier non seulement du régime juridique du droit fondamental que constitue le droit d'asile, mais aussi du coeur du métier de l'Ofpra, qui consiste à apprécier le bien-fondé des demandes d'asile. C'est aussi de cette expérience que j'ai tiré pour les questions d'asile un intérêt personnel très fort, qui me conduit aujourd'hui devant vous.

Mon parcours au sein du Conseil d'État m'a aussi formé comme praticien du droit. Il m'a appris à allier rigueur dans le raisonnement et attention aux situations concrètes, à trancher des questions complexes à l'issue d'un processus de délibération et, bien sûr, à cultiver l'indépendance inhérente à l'exercice de fonctions juridictionnelles. Il m'a également confronté, de l'intérieur, aux efforts importants entrepris par la juridiction administrative pour réduire les délais de jugement, en revisitant en profondeur ses méthodes de travail sans renoncer à un haut niveau d'exigence sur la qualité des décisions rendues - enjeu voisin de celui auquel fait face l'Office depuis 2012.

J'exerce les fonctions de directeur des affaires juridiques du pôle ministériel actuellement constitué par le ministère de la transition écologique et solidaire et le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Ces presque sept années en qualité de directeur d'administration centrale au sein d'un vaste ensemble ministériel placé sous l'autorité de plusieurs membres du Gouvernement, et couvrant des champs de l'action publique aussi variés que l'environnement, l'énergie, les transports, le logement ou l'urbanisme, m'ont apporté une connaissance approfondie du fonctionnement de l'administration centrale, des cabinets ministériels et des relations entre l'administration et le pouvoir politique. Elles m'ont surtout appris à encadrer et à entraîner une équipe, à la faire progresser et, le cas échéant à l'accompagner dans ses difficultés - en un mot, elles ont fait de moi un manager. C'est de cette expérience et des compétences acquises au cours de ce parcours professionnel que, si je suis nommé, je souhaite faire bénéficier l'Ofpra, avec humilité, mais aussi avec détermination.

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