Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le président Marseille, auteur de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord excuser l’absence de Jacqueline Gourault, qui est aujourd’hui aux côtés du Président de la République en Corse, dans le cadre de la réunion qu’il organise avec les maires de l’île. Elle m’a demandé de la représenter, ce que j’ai accepté avec grand plaisir, pour l’examen de ce texte important pour les entreprises publiques locales et les collectivités territoriales.
Le Gouvernement considère que l’initiative législative que vous avez prise, monsieur le président Marseille, est bienvenue dans le contexte de fortes contraintes juridiques, pour ne pas dire excessives, résultant de la récente décision du Conseil d’État, qui a été mentionnée à plusieurs reprises. Il est en effet urgent d’améliorer le droit applicable à l’actionnariat des entreprises publiques locales, afin de ne pas prendre le risque de déstabiliser un secteur économique essentiel à la vie de nos territoires.
Ce n’est pas à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’apprendrai à quel point ces entreprises jouent un rôle majeur dans la vie économique locale. Si l’on se réfère aux statistiques fournies par la Fédération des entreprises publiques locales, les collectivités ont créé près de 1 300 entreprises publiques locales, dont 925 sociétés d’économie mixte locales, 359 sociétés publiques locales et 16 sociétés d’économie mixte à opération unique. Ces entreprises emploient près de 70 000 salariés et représentent environ 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Au-delà de ce rappel purement statistique, il faut noter que le champ d’action des EPL s’est enrichi et a évolué avec la pratique. Ces entreprises constituent l’un des nombreux outils dont disposent les collectivités territoriales pour mener à bien leurs missions parmi une palette de possibilités. L’économie mixte contribue ainsi au dynamisme du développement territorial et au soutien de l’investissement local. C’est un mode d’action permettant de faire émerger des politiques innovantes, telle la transition énergétique.
Ces sociétés conduisent ainsi des actions et des projets dans des domaines diversifiés comme, pour 23 %, le tourisme, la culture et les loisirs, et, pour 25 %, l’aménagement, deux secteurs prédominants au sein du paysage des entreprises publiques locales. En outre, des secteurs comme l’habitat et l’immobilier ou la mobilité confirment leur importance, tandis qu’émergent de nouveaux champs d’action comme l’environnement, les réseaux, le développement économique et les services à la personne.
À cet égard, il est intéressant de noter que certains domaines comme le tourisme, la culture, le sport et l’énergie renouvelable relèvent de compétences partagées entre différents niveaux de collectivités territoriales, ce qui nous amène directement au sujet dont nous débattons aujourd’hui. En effet, autrefois exceptionnelle, la pluriactivité des entreprises publiques locales est désormais majoritaire, ce qui rend d’autant plus nécessaires les adaptations juridiques auxquelles nous invite la décision du Conseil d’État du 14 novembre 2018.
Le droit est constant sur ce point : une collectivité n’a pas le droit de faire, par l’intermédiaire d’une société d’économie mixte locale ou d’une société publique locale, ce qu’elle n’a pas le droit de faire par elle-même. Cette règle, qui n’est d’ailleurs pas remise en cause par la proposition de loi, est du reste antérieure à la loi NOTRe, car elle date des premiers textes ayant instauré la possibilité de créer des entreprises publiques locales. Toutefois, la jurisprudence administrative hésitait jusqu’à présent entre deux interprétations pour ce qui concerne la situation des sociétés exerçant dans plusieurs champs d’activité.
Selon l’interprétation la plus souple, une collectivité ne pouvait participer que si la part prépondérante des missions de la société n’outrepassait pas son domaine de compétence. Selon l’interprétation la plus stricte, une collectivité ne pouvait participer au capital d’une entreprise publique locale que si elle détenait la totalité des compétences correspondant aux missions de l’entreprise.
C’est une lecture stricte de la loi que le Conseil d’État a retenue au mois de novembre dernier. On estime ainsi qu’un grand nombre d’entreprises locales, près de 40 % d’entre elles, ne rempliraient plus les conditions posées par la jurisprudence. Il était donc urgent de revenir sur cette jurisprudence, ce que prévoit opportunément cette proposition de loi.
Le Gouvernement partage l’objectif poursuivi par les auteurs de ce texte, dont l’économie générale n’a pas été modifiée par la commission des lois, puisque le rapporteur, dont je salue le travail, a apporté des compléments utiles, en particulier en étendant expressément les dispositions du texte aux sociétés publiques locales d’aménagement. Toutefois, je souhaite dire dès ce stade de notre discussion que le Gouvernement craint que la rédaction retenue par la commission des lois ne constitue un assouplissement excessif de la législation en vigueur. Il s’agit non pas de soupçons, monsieur le président Marseille, mais plutôt de précautions.
Ainsi, le texte résultant des travaux de la commission des lois n’interdirait pas à une collectivité de prendre une participation élevée dans le capital d’une entreprise publique locale, quand bien même les activités de cette dernière ne correspondraient que pour une part très marginale à des compétences exercées par cette même collectivité. Au surplus, il nous semble que cette même rédaction ne fait pas clairement obstacle à ce qu’une partie de l’activité de l’EPL ne relève d’aucune compétence des collectivités actionnaires.
Nous craignons qu’un tel choix ne permette, d’une part, de régulariser des SPL et sociétés d’économie mixte locales qui étaient déjà non conformes avec le droit antérieur à la décision du Conseil d’État et, d’autre part, d’encourager le recours à des entreprises publiques locales à objets sociaux multiples, alors même que la compétence de la collectivité ne correspondrait qu’à une part négligeable des activités de la société. Le risque de contournement est donc, selon notre analyse, réel.
Le Gouvernement souhaite par conséquent que le droit permette de limiter le risque de voir des collectivités investir des missions ne relevant pas de leur champ de compétence. Ce raisonnement nous a conduits à déposer des amendements aux articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi visant à encadrer la possibilité, pour les collectivités et leurs groupements, de prise de participation au capital d’une EPL dans des conditions plus resserrées, en prévoyant qu’une telle participation ne soit possible que si la collectivité ou le groupement ne détient pas au moins une compétence sur laquelle porte l’objet social de la société et à laquelle celle-ci consacre une part significative et régulière de son activité.
Ces amendements ne sont pas inconnus des membres de la commission des lois, puisque le Gouvernement les avait déjà déposés la semaine dernière, sans succès, lors de l’examen du texte en commission. Je sais que la commission a considéré, en particulier, que la notion de « part significative » n’était pas suffisamment claire et qu’elle exposerait les EPL à un risque juridique. J’aurai l’occasion, je l’espère, notamment en présentant l’amendement n° 7, de répondre à cette crainte et de vous convaincre qu’une telle précision est indispensable. Je ne m’attarderai pas sur ce point à ce stade du débat, puisque nous aurons l’occasion d’y revenir à l’occasion de l’examen des amendements.
Je voudrais, pour conclure, dire que le débat d’aujourd’hui doit également nous conduire, selon l’analyse qu’en fait le Gouvernement, à nous pencher sur la régulation du secteur des entreprises publiques locales.
En 2017, deux études ont porté sur les entreprises publiques locales : un référé de la Cour des comptes sur le cadre juridique et comptable applicable, ainsi qu’une revue de dépenses des inspections générales sur la maîtrise des risques par les EPL. Ces deux rapports, rendus publics, se sont avérés très critiques, leurs auteurs plaidant en faveur d’un renforcement du contrôle des EPL et de leurs filiales. Dans son référé du 15 juin 2017, la Cour des comptes a notamment fait valoir que les EPL, instruments essentiels pour les collectivités, ne sont pas « suffisamment maîtrisés » et que « les mécanismes de leur contrôle, de leur transparence et d’évaluation de leur contribution à l’action publique territoriale devraient être repensés ».
Les conclusions d’une nouvelle étude de la Cour des comptes sur le même sujet, conduite à la demande du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, sont d’ailleurs attendues dans les prochaines semaines. À ma connaissance, ce rapport devrait aussi être rendu public.
Dans ces conditions, le Gouvernement estime que le législateur pourrait se saisir de ce débat pour apporter une réponse, en concertation avec les représentants des collectivités territoriales et des entreprises publiques locales, à ces remarques émises par la Cour des comptes. Une telle réponse constituerait à l’évidence un facteur d’équilibre et de sécurisation de l’activité des entreprises publiques locales, en complément des assouplissements proposés par le texte dont nous débattons aujourd’hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite pour finir remercier de nouveau les auteurs de ce texte pour leur initiative et vous assurer de l’ouverture d’esprit du Gouvernement. La discussion d’aujourd’hui doit nous permettre de parvenir à une solution équilibrée, dans le respect des différentes contraintes juridiques que je viens de rappeler. Je ne doute pas que la poursuite de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale, puis dans le cadre de la navette parlementaire, nous permettra d’atteindre un point d’équilibre satisfaisant pour chacune des parties.