Intervention de Laurent Alexandre

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 mars 2019 à 8h30
Audition de M. Laurent Alexandre chirurgien essayiste et entrepreneur

Laurent Alexandre :

Les robots envahissent de nombreuses activités, même les plus inattendues : ainsi on voit apparaître des robots sexuels, qui enregistrent des progrès technologiques considérables.

Revenons sur l'histoire de l'intelligence artificielle (IA), pour mieux en cerner les contours. Ce terme est un néologisme inventé au Dartmouth College en 1956 par cinq chercheurs qui recherchaient une expression séduisante afin de mobiliser des financements. Or, l'IA n'a pas d'intelligence au sens humain du terme. L'IA n'a qu'une caractéristique commune avec l'intelligence humaine : elle est capable de relier des éléments, mais elle n'a pas de polyvalence, pas de sentiment et pas de conscience. Les recherches en IA n'ont rien donné de majeur entre 1956 et 2011. En 2011, grâce à l'augmentation de la puissance de calcul informatique et l'existence de nombreuses données dans des bases, on parvient à obtenir des résultats dans le domaine de l'IA connexioniste. On développe le deep learning. On a eu des premiers résultats dans la reconnaissance d'images.

La tendance au développement de l'IA va-t-elle continuer ? Les experts mondiaux du sujet ne pensent pas tous la même chose. Un rapport produit par les 26 plus grands spécialistes de l'IA vient d'être publié en Angleterre et aucune réponse claire ne se dégage sur les perspectives de développement et le scénario à long terme. L'IA aura-t-elle une conscience demain ? Personne ne le sait ?

Une question nous taraude : quels métiers seront remplacés par l'IA ? Contrairement à ce que l'on croyait, les emplois manuels ne sont pas très touchés par l'IA car la robotique se développe lentement. Ce sont finalement les emplois tertiaires occupés par les classes moyennes qui sont les plus menacés : les robots peuvent faire du travail de comptable mais pas servir le café ou faire le ménage dans les hôtels. La robotique pose aussi un autre problème : les programmes informatiques peuvent être modifiés en permanence, mais pour les robots, le processus de mise en place est plus long : on ne remplace par les robots tous les soirs et les coûts d'investissement sont élevés.

À l'instar de la promesse d'Erik le Rouge, qui baptisa le Groenland en faisant croire qu'il y avait de vertes pâtures, l'IA est un terme fallacieux, qui fait croire qu'elle est une forme d'intelligence. Pour autant, on enregistre des progrès réels depuis 2011 : pour lire un scanner, faire de l'anatomo-pathologie, pour conduire une voiture, l'IA est meilleure que l'homme. Il y a 2 ans, on a été étonné de constater que Google détectait mieux qu'un dermatologue un cancer de la peau. Ceci est possible grâce aux énormes bases de données. Mais jusqu'où peut aller le deep learning ? Une conscience artificielle peut-elle émerger ? Et à quelle vitesse y aurait-il une diffusion dans la société ? Ce n'est pas parce qu'une technologie existe qu'elle est adoptée. Il peut aussi y avoir des réticences.

Comment les humains peuvent-ils être complémentaires de l'IA ? C'est un défi difficile car il subsiste des écarts importants dans la capacité d'apprentissage des humains. Et l'éducation est incapable de réduire les écarts de capacités d'apprentissage. De ce point de vue, on peut être dubitatif sur l'impact des dédoublements de classes de CP. Les anglo-saxons sont pessimistes sur la capacité d'emmener tout le monde dans la nouvelle économie qui exige une collaboration entre humains et IA.

Le développement de l'IA pose aussi un problème stratégique : il y a en Europe des utilisateurs de l'IA mais les grands acteurs économiques et technologiques sont en Californie (les GAFA) et en Chine (BATX). Le développement de l'IA conduit donc à concentrer le pouvoir dans quelques pays privilégiés.

Nous assistons aujourd'hui à une redistribution massive des richesses. Il y a 39 ans, le Maroc était 5 fois plus riche que la Chine. Les hiérarchies bougent rapidement. Avec le développement de l'IA, l'Europe pourrait s'effondrer en peu de temps, comme nous l'avons fait sur les téléphones, alors que Nokia était leader il y a 12 ans.

L'IA produit donc un choc politique et culturel. L'IA entraîne aussi un changement civilisationnel : avec l'IA on peut faire des bébés génétiquement modifiés.

Pour revenir sur l'emploi, quand on regarde le passé, on n'a jamais eu de destruction de l'emploi lors des sauts technologiques. Nous avons suivi le processus Schumpetérien de destruction créatrice. Et ces sauts technologiques ne laissaient pas de côté les moins qualifiés. Dans les années 1990, encore deux tiers des emplois étaient non ou peu qualifiés. L'IA pourrait cependant changer ce paradigme, si bien que récemment, l'économiste Joseph Stiglitz préconisait l'interdiction de l'IA, pour éviter une explosion des inégalités.

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