Intervention de François Marzorati

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 27 mars 2019 à 15h05
Audition de M. François Marzorati ancien sous-préfet de thionville ancien chargé de mission auprès du premier ministre de 2012 à 2019 responsable du suivi des engagements pris par arcelormittal

François Marzorati, ancien chargé de mission auprès du Premier ministre de 2012 à 2019, responsable du suivi des engagements pris par ArcelorMittal :

On peut également citer l'usine Tailored Blanks d'Uckange.

Cinq engagements ont été pris par ArcelorMittal. Le premier concerne les investissements. Un élément de l'accord signé à Gandrange m'a beaucoup aidé pour faire pression sur ArcelorMittal : l'adjectif « inconditionnel ». Le groupe s'était engagé à investir 180 millions d'euros en cinq ans sur le site de manière inconditionnelle. Malgré un contexte économique difficile pour le marché de l'acier en 2013, le groupe a dû commencer ses investissements. Six ans plus tard, ce sont finalement près de 330 millions d'euros qui ont été ou seront investis à Florange - une partie de la somme a été budgétisée, mais n'a pas encore donné lieu à des réalisations concrètes -, auxquels il faut ajouter les investissements réalisés à Dunkerque, à Fos-sur-Mer, à Saint-Chély-d'Apcher... Je pense que, au total, ArcelorMittal a déboursé pas moins d'un milliard d'euros en France. Cette somme souligne bien l'importance de l'ancrage territorial du groupe, dont l'image avait été malmenée par les conflits sociaux et l'OPA hostile.

Les investissements ont permis la consolidation, la mise aux normes, la création de nouveaux trains à chaux.

Le deuxième engagement était la transformation de l'activité « emballage », importante à Florange, mais également dans des usines plus petites comme celle de Basse-Indre, spécialisée dans les boîtes de conserve alimentaire. Cette filière packaging, qui nécessite un acier de qualité, a dû être réorganisée suite à la fermeture des hauts-fourneaux. Les brames de Dunkerque sont transportés vers Florange, où ils sont transformés en coils, ces bobines qui sont ensuite dirigées vers Basse-Indre. Malgré les difficultés, l'activité packaging a donc pu être stabilisée.

Troisième engagement : le développement de la recherche sur le site de Maizières-lès-Metz, en partenariat avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui finance les recherches sur de nouveaux aciers plus solides. En effet, si la Lorraine continue d'être un centre majeur d'aciérie, c'est parce que la qualité de l'acier qui y est produit le rend très attractif pour les constructeurs automobiles, notamment allemands. Cette clientèle est essentielle pour maintenir l'activité en Lorraine. L'usine Tailored Blanks d'Uckange, que j'ai déjà évoquée, réalise en particulier les soudures de châssis.

Le projet Ulcos, qui consistait à capter du CO2 puis à l'enfouir dans le sous-sol de la Meuse, n'a pas vu le jour. En effet, il n'avait fait l'objet d'aucune enquête et d'aucune autorisation. De plus, même si l'enfouissement de CO2 n'aurait pas eu les mêmes impacts que celui des déchets nucléaires, l'acceptabilité sociale du projet aurait été difficile à atteindre. Cet engagement sur Ulcos était toutefois porteur d'enjeux importants, c'est pourquoi ArcelorMittal a lancé en remplacement le projet de recherche fondamentale LIS, le « Low Impact Steelmaking », qui s'intéresse à la captation du CO2 et aux possibilités de le réinjecter dans les processus de combustion. Un préfigurateur de ce projet a été construit au pied des hauts-fourneaux de Dunkerque, et différents travaux ont d'ores et déjà été menés, en lien avec l'université de Lorraine et des partenaires privés, grâce au financement de l'Ademe.

L'aspect social des engagements d'ArcelorMittal n'est pas à négliger. J'ai pu lire parfois dans la presse que la fermeture de Florange avait entraîné 2 000 licenciements : c'est faux. Sur les 629 emplois supprimés lors de l'arrêt des hauts-fourneaux, 256 ont fait l'objet de départs à la retraite avec des aménagements, 40 ont fait l'objet d'un départ volontaire, et 333 nouvelles affectations sur le site ont été décidées : aucun salarié n'a donc fait l'objet d'une mesure de licenciement. Ces reclassements et mesures sociales d'accompagnement sont une sorte de constante dans le milieu sidérurgique. La fermeture du site de Florange a également eu des impacts sur les sous-traitants : la DIRECCTE, la chambre de commerce et d'industrie et le conseil régional de Lorraine avaient mis en place des dispositifs d'aide à ces entreprises. Sur les 200 entreprises sous-traitantes recensées, certaines, spécialisées dans le maintien des hauts-fourneaux, ont déposé le bilan ; d'autres se sont redéployées sur de nouveaux marchés. La fermeture des hauts-fourneaux a donc eu un impact social certain, mais on ne déplore aucun licenciement. La filiale qui, au sein de la filière logistique, acheminait le charbon aux hauts-fourneaux, transportait les déchets et assurait la distribution des produits finis, a connu une baisse d'activité difficile à pallier. Une partie des employés a pu être reclassée, les autres continuent de travailler dans un contexte social tendu.

La poursuite des investissements dans les deux sites côtiers de Dunkerque, qui compte trois hauts-fourneaux, et Fos-sur-Mer, qui en compte deux, vise à renforcer l'ancrage territorial du groupe.

L'an dernier, après 5 ans d'investissements, le groupe devait décider, en fonction du marché et des nouvelles technologies, si les hauts-fourneaux de Florange seraient rallumés. Des études détaillées ont montré qu'une telle solution n'était pas opportune. En effet, il faudrait réobtenir les autorisations administratives liées aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) - cela implique notamment une enquête publique, et donc 18 à 24 mois de procédure, dans un contexte environnemental compliqué - et réaliser des investissements considérables. Même si, dans la situation actuelle, la France est obligée d'importer de l'acier, le rallumage des hauts-fourneaux serait trop onéreux - les chiffres fournis par ArcelorMittal ont été vérifiés par le ministère de l'Industrie. D'ailleurs, une reprise de la production à Florange impliquerait une réorganisation complète du circuit logistique et une baisse de production qui fragiliserait le site de Dunkerque, mais également la nécessité de retrouver du personnel qualifié. Or, nous savons tous que les métiers sidérurgiques, physiquement difficiles, ne suscitent pas énormément de vocations... Sur les 330 reclassés de Florange, environ 150 sont encore en activité, mais pourraient prendre leur retraite au cours des 5 prochaines années ; la capacité de transmission des savoirs est donc faible.

J'ai parfois entendu que j'étais devenu le porte-parole d'ArcelorMittal ! Le constat que je fais est simplement pragmatique : sur certains points, il a fallu exercer des pressions pour qu'ArcelorMittal respecte ses engagements ; aujourd'hui, force est de constater que le bilan est positif.

J'ai réuni à une trentaine de reprises un comité de suivi, dans lequel siégeaient les parlementaires locaux, les élus des intercommunalités concernées, l'État et les organisations syndicales qui l'ont souhaité. Il a permis, tout au long des conflits, de mener un réel dialogue social dans la plus grande transparence. Pour moi, il était en effet très important d'obtenir l'appui des organisations syndicales dans le suivi des engagements, tout autant que d'écouter leurs besoins. Lors des discussions, la CGT a d'ailleurs demandé l'ouverture d'une aciérie électrique, afin d'obtenir rapidement la réduction des nuisances des hauts-fourneaux tout en assurant la production d'un acier de qualité. À Gandrange, elle n'avait pas fonctionné longtemps. Je me suis déplacé au Creusot, où j'ai pu constater qu'elle créait certaines nuisances. De plus, pour fonctionner, ces aciéries nécessitent de grandes quantités de ferraille, qu'il faut acheminer et qui proviennent pour une large part de marchés privés. À ce titre, le « parc aux ferrailles » du Creusot est très impressionnant - il en existe un également à Woippy - : la ferraille y est choisie en fonction du produit fini attendu. ArcelorMittal a réalisé des études et conclu que l'aciérie électrique n'était pas une solution adaptée au site de Florange.

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