Intervention de Agnès Le Brun

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 9 avril 2019 à 16h35
Audition de Mme Agnès Le brun maire de morlaix représentant l'association des maires de france amf

Agnès Le Brun, maire de Morlaix, vice-présidente de l'AMF :

Merci d'avoir sollicité l'AMF - dont je suis vice-présidente mais aussi co-présidente de la commission de l'éducation - sur cette question. C'est un sujet très transversal qui présente plusieurs points d'entrée. La problématique est au demeurant analogue à celle des fichés S.

Certains élus estiment nécessaire d'avoir accès au fichier des délinquants sexuels, dans l'idée que plus ils seront informés, mieux ils maîtriseront les événements. Ces élus font aussi valoir leurs responsabilités en matière de santé publique. Cette position est parfois adoptée sous l'empire de l'émotion. Ainsi le maire d'une commune où avait eu lieu un viol de mineur a récemment relancé le débat en déplorant ne pas avoir eu accès à l'information sur les condamnations précédentes du coupable.

Première question, que change le fait d'avoir l'information ? Le maire doit-il la recevoir en amont et avec quel degré de précision ? La loi prévoit que le maire soit mis au courant de tout événement grave dans sa commune ; mais faut-il lui donner accès aux données sur un individu condamné présent dans sa commune, qui a purgé sa peine et payé sa dette à la société ? C'est la solution adoptée aux États-Unis où des personnes condamnées pour infractions sexuelles sont ghettoïsées dans un quartier ou une ville et leurs déplacements suivis. Est-il nécessaire à l'ordre public de stigmatiser, pour toute sa vie, celui qui a commis une infraction, même de nature sexuelle et sur mineur ? Avoir passé dix ans en prison ne suffit-il pas ? Je n'ai pas de réponse à cette question, mais c'est en ces termes qu'elle doit être posée.

Deuxième question : que faire de cette information ? Agir de manière préventive, comme aux États-Unis ? Se placer en alerte permanente, alors qu'il est impossible de suivre la personne visée au quotidien ? Ce n'est pas ainsi que notre société fonctionne, et ce n'est pas ce que prévoit la loi. Le maire conserverait donc en quelque sorte l'information par devers lui, au cas où... Si un garçon subit des attouchements dans des vestiaires, le maire qui a connaissance du fichier, et donc des personnes condamnées pour faits de nature sexuelle sur sa commune, fera nécessairement une association d'idées, par nature hasardeuse.

La position de l'AMF est, vous le comprendrez, extrêmement prudente sur le sujet. Avoir accès au fichier est une chose, traiter et utiliser l'information en est une autre. Le maire est, plus que quiconque, soucieux de l'ordre public et attentif au bien-être des plus fragiles, en particulier les mineurs et les plus âgés. Cependant, l'AMF ne juge pas opportun l'accès du maire au fichier des délinquants sexuels. C'est également une question de confidentialité : cet accès doit-il être réservé au maire ou également ouvert à son adjoint aux affaires sociales par exemple ?

La question se pose en termes différents pour les faits commis par des fonctionnaires publics territoriaux ou des employés de structures municipales. Lorsque nous recrutons un animateur scolaire, nous vérifions systématiquement que son casier judiciaire est vierge, ce qui écarte la question de la consultation du fichier des délinquants sexuels.

Mais qu'en est-il pour les catégories de personnel n'appelant pas de vigilance particulière ? Faut-il avoir accès à certains fichiers pour ce type de recrutement ? La question s'est posée dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires : nous avons alors recruté certains animateurs directement, et d'autres en déléguant le recrutement à des associations. Or un parent d'élève nous a signalé que l'un d'entre eux, qui avait tenu des propos étranges à son fils, appartenait à une secte. La collectivité avait en quelque sorte péché par omission, mais elle n'avait pas la main sur le recrutement.

Une collectivité qui avait recruté un jardinier pour ses espaces verts s'est aperçue qu'il avait été précédemment condamné à cinq ans de prison pour des faits de pédophilie. Le maire a saisi le conseil de discipline, qui a rendu un avis défavorable à la radiation au motif que la condamnation n'avait pas de lien avec ses nouvelles fonctions, proposant à la place une exclusion de fonction de trois ans. À l'issue de cette période, le juge d'application des peines a interdit au jardinier d'exercer ses fonctions à moins de cinq cents mètres d'un lieu accueillant des enfants, or le local technique se trouve à côté de l'école. La commune n'employait que trois jardiniers : il était donc impossible de proposer un autre poste à l'agent ou même de déménager le local. Le maire avait donc un agent qu'il ne pouvait faire travailler, alors que sa situation administrative l'y obligeait. Il a préféré placer l'agent en arrêt maladie, ce qui, au demeurant, n'a été possible que parce que ce dernier a accepté de consulter un médecin. Sollicité par le maire, qui lui a fait part de ses difficultés, le juge d'application des peines a décidé d'interdire au jardinier l'exercice de ses fonctions sur l'ensemble du territoire de la collectivité. Ainsi l'agent n'exerce plus mais reste employé par la commune. À la lumière de cet exemple, j'estime que le périmètre de la lutte contre les infractions sexuelles devrait être élargi à l'ensemble des agents publics, et pas seulement ceux qui sont en contact avec des mineurs.

Autre exemple, celui d'un agent du pôle petite enfance dont des collègues de travail ont dénoncé des comportements inappropriés envers des enfants. Cet agent était une femme, or il subsiste un certain tabou autour des délits à caractère sexuels commis par les femmes. Elle a été suspendue à titre conservatoire ; saisi, le conseil de discipline n'a pas proposé d'exclusion définitive, attendant que la justice se prononce. L'agente n'a pas été condamnée, ce qui a contraint le maire, en accord avec le représentant du personnel, à statuer sur son sort. Une formation lui a finalement été proposée autour d'un projet de réorientation professionnelle. Malgré la solution trouvée, l'affaire a laissé un goût amer.

Je souhaite enfin attirer votre attention sur les préoccupations des maires vis-à-vis des associations sportives, dont le fonctionnement n'est pas toujours très sain - cela étant dit sans volonté de stigmatiser ces associations qui contribuent beaucoup au lien social. Mais nous mettons des locaux, parfois du personnel, des équipements à disposition de ces structures, que nous subventionnons parfois, sans droit de regard sur ce qui s'y passe. Nous sommes en effet souvent informés de faits délictueux commis en leur sein de façon indirecte ou a posteriori.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion