Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 avril 2019 à 15h00
Avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité — Audition de M. Didier Migaud président du haut conseil des finances publiques

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je vous remercie de votre invitation. Je suis accompagné de François Monier, rapporteur général du Haut Conseil, de Vianney Bourquard et de Vladimir Borgy, rapporteurs généraux adjoints, et de Cyprien Canivenc, rapporteur.

C'est la septième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le programme de stabilité. Avant de détailler devant vous le contenu de ce nouvel avis, je formulerai deux remarques préalables.

La première porte sur le calendrier. Conformément au droit de l'Union, le programme de stabilité a été établi, comme chaque année, au début du mois d'avril et sera transmis à la Commission européenne d'ici à la fin de ce mois, après des débats à l'Assemblée nationale et au Sénat. Cette contrainte calendaire pèse particulièrement cette année puisque le texte a été bâti indépendamment des suites qui seront données au Grand débat national. Par ailleurs, les conditions de mise en oeuvre du Brexit, dont l'échéance initiale était fixée au 29 mars 2019, continuent de représenter un aléa majeur pour les perspectives de croissance européenne et française.

La seconde remarque concerne le mandat du Haut Conseil des finances publiques. L'examen du programme de stabilité qu'il réalise chaque année porte sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire des finances publiques et non sur la trajectoire des finances publiques, même si notre avis tient compte de l'impact des finances publiques sur la macroéconomie et inversement. Le mandat du Haut Conseil est limité. Il s'appuie sur des prévisions émanant de multiples institutions telles que la Commission européenne, la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que sur les travaux d'autres organismes comme l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la Banque de France, Rexecode et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Avant de vous présenter les observations du Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement, j'interviendrai brièvement sur le contexte macroéconomique dans lequel le programme de stabilité français a été établi. Je vous présenterai ensuite notre appréciation sur les prévisions du Gouvernement portant sur l'année 2019, puis nos observations relatives au scénario macroéconomique établi pour les années 2020 à 2022.

S'agissant du contexte macroéconomique actuel, le Haut Conseil constate d'abord le caractère moins porteur de l'environnement économique mondial et européen dans lequel paraît le programme de stabilité de notre pays. Nous observons en effet un fort ralentissement de la croissance du commerce international depuis la fin de l'année 2018. Ce repli est notamment dû à l'escalade des droits de douane, initiée par les États-Unis, au ralentissement de la croissance des pays émergents, en particulier de la Chine, et aux difficultés qui affectent le secteur automobile dans plusieurs pays. Ainsi, malgré un rebond attendu au cours de l'année 2019, la croissance du commerce mondial en moyenne annuelle se situerait cette année à un niveau plus faible qu'en 2017 et en 2018.

La zone euro connaît pour sa part un fléchissement très prononcé de sa croissance. Le ralentissement de l'activité observé au second semestre de l'année 2018 reflète celui du commerce mondial et a été amplifié, notamment en Allemagne, par les difficultés d'adaptation du secteur automobile lors de la mise en oeuvre de nouvelles normes d'homologation au 1er septembre 2018.

Aussi, si la zone euro pourrait retrouver au premier semestre 2019 une croissance modérée, tirée par la consommation, les prévisions pour l'ensemble de l'année ont été sensiblement révisées à la baisse. En 2019, les prévisions de croissance pour la zone euro sont en effet comprises entre 1,3 % selon la Commission européenne et le gouvernement français, 1,2 % selon l'OCDE, et 1,1 % selon la Banque centrale européenne, ce qui correspond, quelle que soit l'estimation retenue, à une progression sensiblement inférieure à celle observée en 2017 (2,5 %) et en 2018 (1,8 %).

Depuis la mi-2018, notre pays connaît une croissance un peu plus soutenue que celle de ses principaux partenaires européens. Par rapport à la zone euro, la France a en effet bénéficié au second semestre 2018 d'un investissement des entreprises plus élevé et d'une contribution des échanges extérieurs un peu plus favorable. En revanche, l'investissement des ménages français a été moins dynamique que chez nos voisins européens. De même, la consommation a été atone au quatrième trimestre de l'année 2018 sous l'effet, notamment, des mouvements sociaux intervenus en fin d'année. L'écart de croissance de la France par rapport à la zone euro devrait toutefois se maintenir au premier semestre 2019. Le climat des affaires s'est en effet légèrement redressé aux mois de février et de mars, et se situe actuellement à un niveau un peu supérieur à sa moyenne de longue période. Enfin, la demande intérieure serait renforcée par un rebond de la consommation, soutenu par des gains significatifs de pouvoir d'achat au quatrième trimestre 2018 et au premier trimestre 2019.

Le Haut Conseil estime toutefois que ce contexte macroéconomique présente plusieurs facteurs d'incertitudes susceptibles d'affecter l'activité mondiale et européenne, et en conséquence la trajectoire de croissance française. Tout d'abord, les conditions de mise en oeuvre du Brexit constituent un aléa majeur pour notre dynamique de croissance. Ensuite, nous devons intégrer le risque d'une reprise plus lente que prévu du commerce mondial sous l'effet d'un possible durcissement des tensions protectionnistes, ou d'un ralentissement accru de l'activité en Chine ou aux États-Unis. Enfin l'activité française pourrait être freinée si le ralentissement observé ces derniers mois en Italie et en Allemagne était amené à se poursuivre.

À l'inverse, d'autres facteurs pourraient affecter positivement notre trajectoire. Certains pays européens pourraient ainsi utiliser les marges de manoeuvre budgétaires dont ils disposent pour soutenir davantage l'activité. Je pense également aux politiques monétaires plus accommodantes qui résultent des décisions prises par la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne au cours des derniers mois, qui atténuent le risque d'une remontée rapide des taux d'intérêt.

J'en arrive aux observations formulées par le Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement pour l'année 2019.

La prévision de croissance formulée dans le programme de stabilité pour 2019 par le Gouvernement s'élève à 1,4 %. Elle est donc en baisse par rapport à la prévision de la loi de finances pour 2019, qui s'établissait à 1,7 %. Cette prévision de croissance est en ligne avec celle formulée par plusieurs organisations internationales telles que le Fonds monétaire international et la Commission européenne, qui l'évaluent à 1,3 % pour 2019, ainsi qu'avec celle établie par d'autres organismes qui oscille entre 1,5 % selon l'OFCE, 1,4 % selon la Banque de France et 1,3 % selon Rexecode.

Dans le détail, la consommation des ménages français devrait être soutenue par d'importants gains de pouvoir d'achat résultant de la poursuite de la croissance des revenus d'activité, par le ralentissement de l'inflation et par les différentes mesures fiscales et sociales prises à la fin de l'année 2018. Ces gains de pouvoir d'achat, concentrés sur le quatrième trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, ont été jusqu'ici absorbés en grande partie par la hausse du taux d'épargne, qui a atteint un niveau singulièrement élevé. La consommation française dépendra donc au cours des prochains trimestres de la perception qu'auront les ménages de l'évolution de leur pouvoir d'achat et de leur confiance dans l'avenir.

Enfin, la hausse de l'investissement des entreprises devrait également se poursuivre, ce qui est cohérent avec les niveaux élevés de taux d'utilisation des capacités de production.

En résumé, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance pour 2019 formulée dans le programme de stabilité est réaliste. Il en est de même pour les prévisions d'emploi et de masse salariale établies par le Gouvernement pour 2019.

S'agissant de l'inflation, le Haut Conseil juge plausible la prévision du Gouvernement, à 1,3 % pour 2019. Toutefois les premières estimations de l'indice d'inflation du mois de mars 2019 laissent à penser que la hausse attendue de l'inflation sous-jacente pourrait être plus lente que celle prévue par le Gouvernement.

Pour finir, je vous présenterai les observations du Haut Conseil sur le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2019 à 2022.

Il convient d'abord d'examiner les hypothèses de croissance de produit intérieur brut potentiel, c'est-à-dire la production dite soutenable qui peut être réalisée sans engendrer de tensions dans l'économie. Le Gouvernement n'a pas modifié ses hypothèses par rapport à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. La croissance potentielle de l'économie française est ainsi estimée à 1,25 % pour chacune des années comprises entre 2018 et 2020. Elle augmenterait cependant très légèrement en fin de période pour tenir compte de l'impact des réformes structurelles, et s'établirait alors à 1,35 % en 2022. Le Haut Conseil renouvelle donc l'avis qu'il a déjà exprimé lors de l'examen de la loi de programmation, considérant que les hypothèses retenues par le Gouvernement pour cette période sont raisonnables. Il convient ensuite d'évaluer la position de l'économie française dans le cycle en 2019 et en 2020. Elle est estimée grâce à l'écart de production, également appelé output gap. Cet écart constitue en principe un indicateur de la capacité de rebond d'un pays quand il est négatif ou d'une perspective de ralentissement quand il est positif. Les estimations du Gouvernement établissent un écart de production très légèrement négatif pour 2018 et 2019, et se situent dans la fourchette des estimations disponibles.

Cependant l'incertitude portant sur l'écart de production est importante. En effet, cet écart ne correspond pas à une donnée observable ou comptable. Ces estimations sont régulièrement sujettes à des révisions significatives. Comme en avril 2018, la fragilité des évaluations de l'écart de production est mise en lumière par les messages divergents délivrés par les indicateurs d'inflation et de tension. Ainsi l'inflation sous-jacente fluctue faiblement et reste à un bas niveau, ce qui ne témoigne pas de signe de tension. En revanche, les taux d'utilisation des capacités de production dans l'industrie manufacturière et les difficultés de recrutement s'établissent depuis 2019 au-dessus de leur moyenne de long terme.

J'en viens au scénario de croissance établi par le Gouvernement pour la période 2020-2022. L'an dernier, dans notre avis sur le programme de stabilité d'avril 2018, nous avions considéré que le scénario d'une croissance effective demeurant continument supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 était optimiste. Le nouveau scénario présenté cette année se prête moins à cette critique. Le Gouvernement a en effet révisé à la baisse son scénario de croissance par rapport au programme de stabilité transmis en 2018. Les prévisions de croissance établissaient ainsi un taux de 1,4 % par an. Ce niveau est proche de la croissance potentielle jusqu'en 2022. En conséquence, l'écart de production serait durablement proche de zéro. Ce nouveau scénario constitue une base plus raisonnable que dans le programme de stabilité précédent pour établir une trajectoire pluriannuelle de finances publiques.

Pour conclure, j'évoquerai l'impact du scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement sur les finances publiques. Dans l'ensemble, le Haut Conseil note que le Gouvernement a souhaité rendre plus crédible le scénario macroéconomique de moyen terme. La comparaison des trajectoires de finances publiques du programme de stabilité transmis en avril 2018 et de celui-ci montre qu'un scénario optimiste de croissance tel que celui de l'an dernier tend à minorer le déficit et à afficher une trajectoire favorable de dettes publiques. Tandis que le solde public effectif devait être positif dans le dernier programme de stabilité à hauteur de 0,3 point de PIB en 2022, celui de cette année prévoit désormais un déficit public de 1,2 point au même horizon. Le programme de stabilité établi en avril 2019 inscrit donc une dégradation du déficit de 1,5 point de PIB par rapport à celui de l'an passé. Dans l'ensemble, cette évolution est expliquée pour un peu plus de la moitié par la révision de la trajectoire de croissance économique sur la période de 2018 à 2022, et pour un peu moins de la moitié par les choix faits en matière de finances publiques, essentiellement le choix d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires sans effort supplémentaire en matière de maîtrise de la dépense publique.

En conséquence, dans le nouveau scénario, en 2022 le solde structurel restera éloigné de l'objectif de moyen terme fixé à moins 0,4 point de PIB. Il serait encore de moins 1,3 point de PIB en 2022 contre moins 0,6 point initialement fixé dans le programme de stabilité établi en avril 2018. La révision du scénario de croissance, et dans une moindre mesure de celui des finances publiques, se traduirait aussi par une modification significative de la trajectoire de diminution du ratio de dette sur PIB.

D'après le programme de stabilité transmis par le Gouvernement, il ne diminuerait sur l'ensemble de la période 2018-2022 que de 1,6 point dans le programme de stabilité d'avril 2019, contre 7,2 points initialement anticipés dans le programme de stabilité établi l'année dernière. La baisse du ratio de dette annoncée ne commencera qu'en 2021, alors qu'elle était attendue à compter de 2018 dans le programme de stabilité d'avril 2018.

Le Haut Conseil relève donc que pour des raisons tenant à la fois aux perspectives de croissance révisée à la baisse et au choix fait d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires, le nouveau programme de stabilité conduit, par rapport au précédent, à une réduction sensiblement moindre des déficits effectif et structurel à l'horizon 2022, et en conséquence de notre dette. Cette évolution rend d'autant plus nécessaire un strict respect des objectifs de dépenses publiques si les pouvoirs publics veulent respecter les engagements pris.

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