Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 avril 2019 à 15h00
Avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité — Audition de M. Didier Migaud président du haut conseil des finances publiques

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je ne peux évidemment me prononcer sur les remarques du rapporteur général. Nous avons travaillé dans les conditions habituelles, à partir des documents que le Gouvernement nous a transmis mercredi dernier. Le Haut Conseil des finances publiques a terminé la rédaction de son avis hier dans l'après-midi et l'a immédiatement transmis au Parlement.

Quant à la crédibilité de l'exercice, le scénario macroéconomique, tel qu'il nous a été présenté, nous paraît réaliste. Le fait que le programme de stabilité ait été préparé indépendamment des suites du grand débat et du calendrier du Brexit est la simple conséquence du calendrier européen, qui exige la présentation de ce programme avant la fin du mois.

Les mesures prises pèseront-elles sur la croissance en 2019 ? Ce n'est pas sûr, en revanche, elles pèseront certainement sur le scénario de finances publiques pour la période 2020-2022.

Le coefficient multiplicateur des mesures prises à la suite de la crise des gilets jaunes n'a pu être mesuré. Les mesures prises en faveur du pouvoir d'achat entre le quatrième trimestre 2018 et le premier trimestre 2019 ont eu des effets, mais pas sur la consommation, qui est restée atone au quatrième trimestre 2018. Le lien entre la hausse de pouvoir d'achat et la hausse de la consommation n'est pas systématique. Le Gouvernement prévoit ainsi une augmentation de 2 % du pouvoir d'achat en 2019 et une hausse de la consommation de 1,6 %. Cette hypothèse, qui repose sur un taux d'épargne élevé, nous semble prudente. Le pouvoir d'achat supplémentaire ne sera pas forcément consommé rapidement. Tout dépendra, ensuite, de la confiance des ménages français dans les mesures prises et de leur foi dans l'avenir.

Ces mesures sont intervenues dans un contexte d'affaiblissement de la demande extérieure causé par un ralentissement européen et mondial ; elles peuvent expliquer pourquoi la croissance française a assez bien résisté.

Il n'appartenait pas au Haut Conseil des finances publiques d'estimer les effets du Brexit ; à terme, il peut bien sûr se traduire par des pertes économiques, notamment à cause d'une baisse des échanges commerciaux. Certains instituts ont évalué la perte de croissance pour le Royaume-Uni à deux points de PIB depuis le vote du Brexit, en raison d'une baisse de l'investissement et de la consommation des ménages. Une étude de l'Insee a évalué les effets d'une augmentation des droits de douane sur l'activité française dans deux scénarios : un soft et un hard Brexit. Dans le premier cas, la perte de croissance serait de 0,3 point, étalée sur plusieurs trimestres ; dans le second, de 0,6 point. La France ne serait pas le pays le plus affecté : l'Irlande serait la plus touchée pour des raisons évidentes, mais l'Allemagne y perdrait également beaucoup. Cela explique la volonté de la chancelière d'éviter une sortie sans accord.

Le Fonds monétaire international a lui aussi publié ses prévisions hier. En cas de Brexit sans accord, l'Union européenne perdrait de 0,1 % à 0,4 % de croissance dès 2019, et 0,2 % à 0,4 % supplémentaires jusqu'en 2021. Nul ne peut déterminer avec précision les effets du Brexit ; seule certitude, il n'est bon pour personne...

La croissance potentielle et l'écart de production sont des sujets sensibles au sein de la communauté des économistes. Leur estimation est difficile, et il n'existe aucune méthode pleinement satisfaisante d'estimation. Ce sont néanmoins des notions utiles, et nous continuons à y travailler. L'hypothèse de croissance potentielle présentée par le Gouvernement a paru raisonnable au Haut conseil. Les avis divergent également sur l'écart de production, et la possibilité d'une évolution de la croissance potentielle. Le Gouvernement a évalué l'impact des réformes de structure à 0,1 point : la croissance tendancielle serait ainsi portée de 1,25 % à 1,35 % à l'échelle du quinquennat.

L'OCDE et le FMI intègrent des effets plus importants des réformes structurelles que ne le fait le Gouvernement. Le FMI va jusqu'à 1,5 point de croissance potentielle. En revanche, la Commission européenne diverge totalement dans ses appréciations, car elle ne prend pas en compte les réformes annoncées. Elle part de ce qui est voté effectivement par les parlements.

Vous m'avez demandé si un pays pouvait avoir une croissance effective supérieure à sa croissance potentielle sur une longue période. Je n'ai aucune certitude sur ce point. C'est difficilement envisageable, même si l'Allemagne et les États-Unis ont prouvé que c'était possible.

Actuellement, la prévision de 1,4 % est proche de la croissance potentielle de la France. On peut penser que ce scénario n'est pas déraisonnable.

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