Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 avril 2019 à 14h10
Projet de loi pour une école de la confiance — Audition de M. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Jean-Michel Blanquer, ministre :

Je suis très heureux de me livrer de nouveau avec vous à cet exercice démocratique si important, avant celui que nous accomplirons dans l'hémicycle au mois de mai, conformément au principe vertueux du bicamérisme. Du fait de ses incomplétudes et des incompréhensions qu'il engendre, le présent texte peut encore être amélioré après son passage à l'Assemblée nationale ; je viens ici dans le même esprit d'ouverture afin de contribuer à la réussite des élèves. On m'a reproché d'avoir accepté des amendements, alors que certains d'entre eux ont reçu l'approbation de la majorité comme de l'opposition, puisque le sujet dépasse largement le clivage droite-gauche. En outre, il y a là un paradoxe, car si j'avais agi autrement, on m'aurait accusé d'arriver avec un texte bloqué sans accepter la moindre modification. Nous sommes dans une démocratie parlementaire, il faut l'assumer.

« Pourquoi une loi ? », se demandent certains. Parce que, au sein de l'éducation, certains sujets relèvent de la loi, ce qui est le cas en l'espèce, quand d'autres, sans qu'ils soient pour autant moins importants, sont de nature réglementaire : cette distinction résulte d'une logique historique et des réalisations antérieures du législateur.

Le présent projet de loi présente une cohérence d'ensemble, qui s'articule avec d'autres éléments ayant été pris en amont depuis deux ans. Cette cohérence vise à instaurer l'« école de la confiance » par un cercle vertueux dont nous avons actuellement besoin dans le débat national. La France n'a pas toujours été dans cette situation, mais aujourd'hui, la faible confiance qui se vérifie entre tous les acteurs et chez nos élèves rend nécessaire que le monde des adultes donne l'exemple au monde des élèves par des consensus, des lignes de progrès et le souci de la vérité.

Pendant plus d'un mois et demi, le texte a été discuté normalement, avec des résonnances habituelles dans la société. De fortes réactions sont apparues au cours des deux dernières semaines, la plupart du temps sur la base soit d'imperfections dont je veux bien parler, soit de rumeurs et fausses nouvelles, particulièrement dangereuses pour la démocratie. À cet égard, je pense à ces parents qui ont décidé de ne pas envoyer leurs enfants à l'école maternelle pour protester contre une mesure de fermeture des écoles maternelles, qui n'existe pas dans ce texte... Il s'agissait seulement d'imposer aux jardins d'enfants d'atteindre les standards imposés pour l'école maternelle. Si certains sont accoutumés aux mensonges et autres « bobards » - j'éviterai un anglicisme répandu -, je ne m'y habitue pas.

C'est pourquoi je souhaite que la discussion au Sénat clarifie la situation et permette de faire la lumière sur les vraies mesures, sujettes à débat, et les interprétations fallacieuses. Chacun a le droit d'être en désaccord avec les dispositions du texte, mais nous devons nous concentrer sur des avancées concrètes.

Je citerai un exemple de mésinterprétation. En 2018, une concertation a eu lieu avec les organisations syndicales sur l'enjeu du pré-recrutement des professeurs. Ce travail a abouti à une mesure bien réelle qui s'inscrit dans notre histoire scolaire, puisque les instituts de préparation à l'enseignement secondaire (IPES) permettaient autrefois de financer les études des futurs professeurs. Nous avons voulu réinventer ce système sous une forme nouvelle en proposant à des étudiants de deuxième année de travailler 8 heures en établissement scolaire, rémunérées plus de 700 euros par mois, cumulables avec une bourse, auxquels s'ajouterait un salaire de 900 euros en troisième année, et un peu plus en quatrième année. Il s'agit d'une proposition profondément sociale, mais aussi stratégique, car l'éducation nationale pourra élargir son vivier en termes sociologique, géographique, thématique et scientifique - les étudiants en sciences sont trop peu nombreux aujourd'hui.

Ce dispositif de qualité dont nous étions très fiers avait fait l'objet d'un relatif consensus, mais lorsqu'il est entré dans le débat public au mois de janvier dernier, il a été caricaturé comme répondant à la volonté de remplacer les professeurs par des étudiants de deuxième année, qui recevraient une rémunération précaire. Tout cela est totalement faux. Je suis prêt à échanger sur cette question, car s'il est facile de décocher des flèches en direction du Gouvernement et de la majorité, il est plus difficile de défendre des argumentations concrètes et d'être rigoureux avec la vérité.

Ce projet de loi était nécessaire pour mettre fin aux blocages dont tout le monde, y compris les spécialistes, se plaint, parfois depuis plusieurs décennies. Je me sens désormais un peu seul pour retrouver les convictions qui existaient pourtant chez tel ou tel groupe politique ou telle ou telle organisation syndicale. Voilà pourquoi je suis impatient que nous entrions dans le détail des mesures proposées.

Le premier objectif de ce texte est l'élévation du niveau général des élèves. D'autres dispositions ont une visée plus sociale, mais étroitement liée à la justice territoriale. C'est le cas de notre proposition la plus emblématique, essentielle à mes yeux, à savoir l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire à trois ans, en vue de réintégrer chaque année plus de 25 000 enfants à l'école maternelle ; je veux la magnifier, comme l'ont fait avant moi différents partis politiques, et attirer l'attention de tous sur les efforts à faire en la matière. Nous proposons une deuxième mesure qui est passée un peu inaperçue : l'obligation de formation pour tous les jeunes de 16 à 18 ans, afin qu'à l'horizon de 2020 aucun jeune ne soit dépourvu d'un emploi ou d'une formation. Nous y avons travaillé lors de l'élaboration du plan Pauvreté. Troisièmement, le pré-recrutement des professeurs donne déjà des indices quant à la grande attractivité du dispositif en faveur des étudiants.

Quatrièmement, nous voulons développer l'école inclusive, qui fera l'objet de débats importants. Avec ma collègue Sophie Cluzel, nous avons engagé, à partir du mois d'octobre et jusqu'au mois de février, des concertations avec un certain nombre d'associations. Grâce à ces discussions, nous avons élaboré des propositions comprises dans le « service public de l'école inclusive », qui devrait constituer une double révolution pour l'organisation de l'éducation nationale. D'abord, les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) seront considérés par les rectorats comme de véritables personnels de l'éducation nationale, suivront des formations de 60 heures et rencontreront les parents en amont de la rentrée. Ensuite, en 2020, les contrats aidés, précaires, disparaîtront au profit des contrats AESH, lesquels seront plus nombreux, dureront trois ans, seront renouvelables une fois et pourront se transformer en CDI à l'issue de deux périodes de trois ans.

Autre révolution, les pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL), qui concerneront 2 000 des 6 000 collèges, privilégieront une approche au plus près des élèves handicapés, y compris par le biais de personnels médicosociaux. L'avantage de cette méthode est que nous pourrons envisager à la rentrée un tiers de contrats à plein temps pour les AESH : actuellement, 2 % à 3 % seulement le sont, pour un salaire mensuel de 1 200 euros par mois en moyenne ; les agents à temps partiel gagnent 700 euros par mois.

Le projet de loi a aussi l'ambition, au travers de la justice sociale, de simplifier la procédure d'obtention des bourses au lycée, et d'améliorer l'équité et l'innovation territoriales, via la création de nouveaux outils pour les acteurs locaux. C'est le cas avec la création d'un rectorat de plein exercice à Mayotte et la réforme des instances de dialogue locales : les conseils départementaux de l'éducation nationale (CDEN) et les conseils académiques de l'éducation nationale (CAEN).

La création d'établissements publics locaux d'enseignement international (EPLEI), à la suite de l'expérience menée à Strasbourg, doit permettre à des collectivités locales d'envisager la création d'établissements d'excellence, attractifs pour des étudiants étrangers et pour ceux qui vivent au sein des territoires. Cet objectif est important dans le contexte du Brexit et pour favoriser la mixité sociale - Lille et Courbevoie ont déjà montré leur intérêt pour cet outil de revitalisation rurale, notamment s'il est couplé avec la politique d'internat que nous afficherons.

Les établissements publics locaux d'enseignement des savoirs fondamentaux (EPLESF), créés par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, mais moins connus que les EPLEI, visent, d'une part, à renforcer le lien décisif entre l'école et le collège, car trop d'enfants se perdent entre le CM2 et la sixième du fait des grandes différences pédagogiques, et, d'autre part, à favoriser les écoles primaires rurales. Je suis très attentif au développement des collectivités locales et me préoccupe autant que vous, je l'ai montré à de multiples reprises, du devenir de ces écoles, pour deux raisons : leurs élèves réussissent mieux que ceux des autres écoles primaires ; l'enjeu de la reconquête des territoires est vital pour notre pays, notamment en raison de la baisse de la démographie française. Cet outil peut aider à avoir une approche plus offensive sur le sujet.

Les craintes qui se sont exprimées, je les entends, et il est vital de rassurer tous nos concitoyens lors de la discussion dans l'hémicycle. Le texte évoluera à la lumière de nos échanges. Mesdames, messieurs les Sénateurs, je suis dans le même bateau que vous : je crois profondément à la nécessité du soutien à l'école rurale, mais rien ne sera imposé, et le lien entre l'école primaire et le collège devra, de façon concrète, faire l'objet d'accords des élus locaux, des écoles et des conseils d'administration - je l'ai dit à l'Assemblée nationale.

Il n'y aura pas de déménagement des écoles vers les collèges, et l'inverse pourra être vrai en cas de consensus. On peut concevoir qu'une école soit renforcée par des moyens administratifs et l'appartenance à un réseau. Cela ne fait peser aucune menace sur les directeurs d'école, bien au contraire ! Leur rôle reste fondamental dans notre système scolaire, et leur présence physique à l'école ne disparaîtra pas. Je n'ai aucun plan caché pour affaiblir l'école primaire rurale, qui reste une priorité, ou les directeurs d'école. Mais ne nous voilons pas la face : un sujet autour de la direction existe depuis très longtemps, qui nécessite un travail. Tous ces mots m'engagent pour que, dans les textes de loi ou les règlements d'application, vous puissiez me prendre au mot. Je crois que d'un malentendu peut naître quelque chose de positif, mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain ! Veillons avant tout à consolider l'école primaire, l'école rurale et les directeurs et directrices d'école. Sur ces points, le texte pourra évoluer dans le bon sens.

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