Dès 2017, notre collègue Françoise Laborde, Présidente du groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en régions, nous avait alertés sur la fragilité croissante des festivals. Leur équilibre économique, déjà naturellement précaire en raison des nombreux aléas auxquels ils sont soumis, est de plus en plus menacé par la hausse du coût des cachets des artistes, d'une part, et la hausse des coûts de sécurité d'autre part. J'avais moi aussi évoqué ce problème des coûts de sécurité lorsque je vous avais présenté mes avis sur les projets de budget pour 2018 et pour 2019.
Il me paraissait important d'attirer de nouveau votre attention sur les inquiétudes qu'ils font naître parmi les organisateurs de festivals et qui sont loin d'être dissipées à la veille de l'ouverture du Printemps de Bourges la semaine prochaine. Cette question pourrait de nouveau poser problème pour cette nouvelle saison des festivals, comme ce fut le cas l'an dernier, lorsque les organisateurs de festivals s'étaient émus de se voir facturer des frais de sécurisation exorbitants susceptibles de fragiliser leur modèle économique.
Je vous rappelle que cette situation est née de la publication, en mai dernier, de la circulaire dite « Collomb ». Elle précise les règles pour garantir la facturation des services d'ordre indemnisés, dont le principe est prévu à l'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure, et en assurer une application uniforme sur l'ensemble du territoire.
Jusqu'ici, de fortes disparités étaient constatées à la fois entre les départements et les festivals. Beaucoup d'entre eux échappaient au dispositif ou se voyaient présenter des factures largement en deçà du coût que représentait, pour la puissance publique, la mise à disposition des forces de l'ordre.
C'est pourquoi la circulaire rappelle d'abord le principe de la prise en charge, par les organisateurs de festivals, de la rémunération des forces de l'ordre mobilisées pour l'événement dans le cadre du « périmètre missionnel ». Sont concernés les dispositifs de sécurité mis en place par la puissance publique pour gérer et sécuriser les flux de population ou de circulation et prévenir les troubles à l'ordre public directement imputables à l'événement. En revanche, les missions qui relèvent traditionnellement de la responsabilité de la puissance publique (sécurisation et surveillance de la voie publique, sans lien direct avec l'événement, forces de l'ordre placées en réserve d'intervention, intervention des forces de l'ordre en vue du maintien de l'ordre public...) ne peuvent pas faire l'objet d'une demande de remboursement.
Pour tenir compte de la situation particulière de certains festivals - en particulier les manifestations à but non lucratif -, la circulaire prévoit la possibilité de leur appliquer un bouclier tarifaire.
L'application de la circulaire a eu des répercussions importantes sur la saison des festivals en 2018. Elle s'est traduite par une très forte augmentation des coûts de sûreté pour plusieurs festivals. Vous vous souvenez sans doute du cas des Eurockéennes de Belfort, qui avait été largement médiatisé. Même si un compromis a finalement été trouvé, le montant du devis initialement présenté par la préfète était près de dix fois celui acquitté par le festival les années précédentes.
Face aux difficultés rencontrées par les festivals pour équilibrer leurs budgets, avec des programmations bouclées largement en amont, des évolutions aussi significatives qu'imprévues de leurs charges sont susceptibles d'avoir des effets dévastateurs.
D'ailleurs, les remous provoqués par le risque de flambée des dépenses de sûreté ont conduit au début du mois de juillet 2018 les ministres de la culture et de l'intérieur à prendre un communiqué conjoint pour appeler les préfets à faire preuve de discernement dans l'application de la circulaire, « pour que la facturation des services d'ordre soit toujours compatible avec l'équilibre économique des festivals et ne fragilise pas les événements ».
Cette décision a sans doute permis d'apaiser les tensions. Dans les faits, aucun festival n'aurait finalement été annulé en 2018 en raison d'une hausse des coûts de sûreté qui se serait révélée insoutenable. Rien n'indique toutefois que les préfets recevront les mêmes consignes d'appel au discernement cette année - souvenons-nous que les deux ministres ont été remplacés à l'automne dernier.
Par ailleurs, on constate que les consignes ont donné lieu à d'importantes différences d'appréciation selon les préfets. Celles-ci concernent à la fois le champ du périmètre missionnel et celui du bouclier tarifaire.
Plusieurs festivals indiquent que les conventions conclues avec les préfets ne font pas suffisamment apparaître, parmi les forces de l'ordre mobilisées au moment de l'événement, celles qui interviennent au titre des missions relevant de la puissance publique, celles qui interviennent au titre du risque attentat et celles qui interviennent directement en lien avec ledit événement, ce qui rend très délicate l'évaluation précise de la conformité du montant de la facture.
La notion de non-lucrativité nécessaire pour déclencher l'application du bouclier tarifaire fait également l'objet d'appréciations divergentes. Certains festivals associatifs, dont l'avis fiscal mentionne pourtant le caractère désintéressé de la gestion, se sont vus refuser l'application du bouclier tarifaire au motif que la vente de billets devait être considérée comme une activité lucrative.
J'ai auditionné à deux reprises, en novembre et février derniers, le préfet Etienne Guépratte, chargé de la sécurité des événements culturels. Il m'a redit le souhait du ministère de l'intérieur de garantir une application effective et équitable de l'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure dans l'ensemble des départements. Au regard de la situation sécuritaire de notre pays, il a estimé que les charges de sécurité ne devaient plus être considérés par les organisateurs de festivals comme des surcoûts, mais comme des coûts incompressibles devant être pris obligatoirement en compte dans l'élaboration de leurs budgets.
Les organisateurs de festivals ne contestent pas le principe de la refacturation des services d'ordre indemnisés inscrit dans la loi. Mais ils demandent que soient mieux pris en compte le statut et la situation économique de chaque festival, ainsi que le rôle qu'ils jouent dans l'animation des territoires. Ils souhaitent également que le niveau des forces de l'ordre mises à disposition soit ajusté en fonction du dispositif de sécurité mis en place par l'organisateur.
Il faut savoir que plusieurs recours ont été déposés devant la juridiction administrative, en particulier par le PRODISS auquel s'est joint le Syndicat des musiques actuelles (SMA) et par les Eurockéennes de Belfort, pour demander l'annulation de la circulaire, au motif que le périmètre missionnel recouvrirait à leur sens des missions régaliennes qui devraient être assumées par l'État. Dans l'attente de ces décisions, la situation entre les différents acteurs es relativement paralysée.
Ces évolutions tarifaires interviennent dans un contexte marqué par la disparition du fonds d'urgence à la fin de l'année dernière. Or, ce fonds est régulièrement venu en aide ces dernières années à plusieurs festivals pour la prise en charge partielle des coûts liés au renforcement des mesures de sécurité.
Au regard de l'ampleur des enjeux autour de la sécurité des événements culturels, le ministre de la culture, Franck Riester, a créé, par décret du 18 mars dernier, un fonds d'intervention pour la sécurité des sites et manifestations culturels et la sécurité des sites de presse qui devrait prendre le relais du fonds d'urgence. Il doit permettre d'aider au financement des actions visant à améliorer les conditions de sécurité des manifestations de spectacle vivant, principalement des équipements et des dépenses de fonctionnement.
C'est une décision qu'il faut saluer compte tenu de l'importance qu'a pris la problématique de la sécurité pour les acteurs culturels, et qui permet de pérenniser le dispositif introduit par le fonds d'urgence. Mais, il est d'abord clairement précisé que ce fonds ne pourra pas être utilisé pour rembourser les prestations des services d'ordre indemnisés visés par la circulaire Collomb. Ensuite, sa dotation est très inférieure à celle du fonds d'urgence. Elle devrait être de 2 millions d'euros en 2019, que nous avons votée à l'occasion du dernier projet de loi de finances. Le spectacle vivant ne devrait donc pouvoir percevoir à ce titre qu'1,5 million d'euros au titre de 2019, auquel pourront s'ajouter 600 000 euros de crédits du fonds d'urgence non consommés en 2018, soit un total de 2,1 millions d'euros. Ces montants sont excessivement modestes au regard des 16 millions d'euros d'aides non remboursables distribués au titre du fonds d'urgence entre 2015 et 2017, au point de faire craindre à beaucoup d'acteurs le risque d'un saupoudrage. À titre de comparaison, le fonds d'urgence a distribué 2,8 millions d'euros d'aides en 2018. Enfin, il ne pourra bénéficier qu'aux entreprises du spectacle vivant privé ou aux entreprises subventionnées entrant dans le champ de la taxe parafiscale qui alimente le budget du CNV. Tous les festivals ne seront donc pas éligibles.
L'augmentation des coûts de sûreté et de sécurité supportés par les festivals est susceptible d'avoir des conséquences graves, qui appellent notre vigilance.
À court terme, j'identifie trois risques préoccupants :
- premièrement, celui d'une hausse du prix des billets des festivals - les Eurockéennes de Belfort ont d'ailleurs augmenté le tarif de leurs places pour l'édition 2019 - avec les risques que cela comporte, pour l'organisateur du festival, en termes de fréquentation, mais surtout des conséquences au regard de l'enjeu de démocratisation de la culture et d'accès du plus grand nombre à ce type de rassemblements ;
- deuxièmement, celui de voir les organisateurs de festivals se tourner vers les collectivités territoriales pour revoir à la hausse le montant de leurs subventions, dans un contexte où celles-ci manquent de moyens et sont bloquées par les nouvelles règles de conventionnement financier avec l'État ;
- troisièmement, celui que les organisateurs de festivals revoient leurs ambitions à la baisse et renoncent à certaines activités parallèles qu'ils mènent en marge du festival tout au long de l'année. Il serait très regrettable que les festivals ne disposent plus des ressources suffisantes pour conduire des actions d'éducation artistique et culturelle, dont ils sont pourtant devenus des acteurs importants sur les territoires.
À moyen terme, c'est la question à la fois de la pérennité et de l'indépendance des festivals qui est posée, ce qui ne serait pas sans risque pour le maintien de la diversité culturelle.
Dans ces conditions, il me semble nécessaire que nous soyons très vigilants dans les prochains mois aux évolutions qui pourraient être enregistrées à ce sujet. En tant que parlementaires, je crois que nous pourrions jouer un rôle utile en nous rapprochant chacun de nos préfets de manière à savoir s'il leur a été de nouveau demandé de faire preuve de discernement cette année et la manière dont ils entendent appliquer la circulaire. Nous pourrions tout à fait officier comme médiateurs dans le cadre des discussions entre les services déconcentrés de l'État et les organisateurs de festivals pour cette édition 2019 comme pour les suivantes. En tout cas, je ne peux que vous inviter à surveiller de près ce qui va se passer sur vos territoires. En Bretagne, j'ai pu constater combien les organisateurs de festivals étaient inquiets.