Intervention de Sébastien Soriano

Commission des affaires économiques — Réunion du 10 avril 2019 à 10h45
La 5g et les travaux récents de l'arcep — Audition de M. Sébastien Soriano président et de Mme Joëlle Cottenye membre du collège de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes arcep

Sébastien Soriano, président de l'Arcep :

Mes réponses concerneront tout d'abord la 5G. La télémédecine est un cas d'usage attendu de cette technologie qui permet d'obtenir une qualité de service accrue en termes de latence et de fiabilité de la communication. L'usage de la 5G dans ce cadre permet de rester dans le secteur des Télécoms et de bénéficier ainsi du secret des correspondances, contrairement à l'informatique.

C'est bien dans la bande 3,4 à 3,8 mégahertz que doit se développer principalement la 5G. Si d'autres bandes seront progressivement utilisées - la 5G est déjà disponible en bande basse, c'est-à-dire sur la bande des 700 mégahertz et sur les bandes millimétriques, à savoir la bande des 26 mégahertz -, le service de base de la 5G, qui devrait apporter une fiabilité et des capacités fortes, ne sera permis que par la bande de 400 mégahertz, sur laquelle nous devrions disposer d'environ 300 mégahertz, en fonction des occupations existantes. Cette bande de fréquence nous situe dans la fourchette haute de ce qui se passe en Europe. Pour preuve, l'attribution des bandes fréquences, à l'issue d'enchères très élevées, en Italie portait sur 200 mégahertz. Notre situation est donc plutôt favorable en termes de spectre disponible.

L'Arcep n'a pas vocation à s'exprimer sur l'éventuel caractère incontournable de Huawei comme fournisseur de la 5G. Pour autant, chaque année, je me rends au salon mondial du mobile qui se tient à Barcelone pour rencontrer l'ensemble des équipementiers, notamment européens. Demain, Samsung, qui se concentre actuellement sur les terminaux, devrait travailler sur les équipements de réseau. Les lignes évoluent. Les États-Unis, qui ont beaucoup d'ambitions sur la 5G, semblent pouvoir accéder aux équipementiers dont ils ont besoin. La capacité industrielle d'obtenir des équipements de bonne qualité n'est pas en cause.

Il me paraît nécessaire de disposer d'un cadre législatif suffisamment large pour que l'Anssi puisse contrôler les éléments dont elle a besoin. Il serait potentiellement contreproductif dans la loi de préciser de manière trop fine son champ d'action. Il faut ainsi faire confiance aux acteurs. L'Anssi dépendant du Premier ministre et le Gouvernement étant très impliqué dans la 5G, elle aura à coeur de ne pas retarder les déploiements et de trouver un modus operandi avec les opérateurs pour assurer la fluidité des opérations - comme pour les mises à jour des logiciels s'effectuant sur une base quasi-hebdomadaire - et garantir la sécurité des réseaux.

Tel est mon message principal sur la sécurité : nous ne partons pas de zéro, puisque les acteurs se connaissent et les procédures sont bien établies. Nous sommes ainsi dans une logique de complémentarité et de renforcement des dispositifs existants.

Sur les petites cellules (« Small Cells ») et la mutualisation, l'essentiel des déploiements 5G vont consister, dans un premier temps, en une mise à jour du réseau existant et se concentrer dans les zones urbaines pour dé-saturer les réseaux. Effectivement, des besoins d'installations complémentaires devraient se faire jour, soit en zones urbaines, avec des « Small Cells », soit dans le cadre d'applications de « verticaux », c'est-à-dire d'infrastructures et d'usines connectées. La mutualisation représente un sujet important pour l'Arcep : ni en termes d'acceptabilité des habitants, écologiques ou économiques, il n'aura de sens de multiplier par quatre l'installation des « Small Cells ». Nous travaillons actuellement sur les modalités d'inscription, dans les attributions, d'incitations voire d'obligation de mutualiser ce type de déploiement.

Sur les incidences sur la santé, ce sujet a bien été anticipé par le Gouvernement dans le cadre de la feuille de route adoptée l'année dernière. Nous sommes, sur ce sujet, dans l'anticipation puisque dans toutes les actuelles expérimentations accordées par l'Arcep, il est demandé aux acteurs de faire des évaluations sur l'exposition particulière aux ondes de la 5G. Ce retour d'expérience va ainsi permettre, sous l'égide de l'Agence nationale des fréquences, de mettre à jour les normes de mesure d'exposition aux ondes. La 5G réduit l'exposition aux ondes : en effet, aujourd'hui dans un réseau Télécom, l'antenne envoie les ondes de manière indifférenciée, à l'inverse de la 5G dont les émissions sont davantage concentrées vers les récepteurs. Ainsi, les utilisateurs de la 5G sont potentiellement les plus exposés. On va ainsi davantage vers une exposition choisie ; cette réalité me paraissant un élément plutôt en faveur de la 5G. Néanmoins, la mesure de l'exposition à ses ondes doit être différemment conduite. C'est ce sur quoi l'Agence nationale des fréquences travaille, afin d'instaurer la confiance et de définir un protocole qui soit partagé. En outre, sans être un spécialiste de la question, je peux toutefois vous indiquer que le Gouvernement a officiellement saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour conduire des évaluations sur ce sujet qui a déjà fait l'objet d'un nombre conséquent de travaux internationaux. Il incombe à cette autorité de donner ses indications. Il me semble que l'impact sur la santé n'a pas de raison d'être différent au Japon, en Corée, aux États-Unis et en France. J'espère que la communauté internationale saura suivre une approche aussi harmonisée que possible en la matière.

Le risque Linky a fait prendre conscience au Gouvernement de l'enjeu pédagogique et de la nécessaire création de l'acceptabilité du déploiement de la 5G.

Je ne dispose pas d'information sur l'installation à Monaco de la 5G par le Groupe Huawei.

Sur les incidences de la proposition de loi sur la sécurité numérique sur le déploiement de la 5G, nous invitons le Gouvernement à éclairer les opérateurs, dans les meilleurs délais, sur la règle du jeu. Le texte législatif, une fois adopté, va arrêter le cadre. Il reviendra à l'administration de préciser aux différents opérateurs ce qu'il sera possible de faire dans ce cadre. Ces éléments d'explication doivent être apportés très vite afin de ne pas freiner les déploiements. L'Arcep sera vigilante sur ce point, qu'elle estime critique pour la mise en oeuvre de la feuille de route sur la 5G. Je rappelle que notre ambition est d'ouvrir commercialement la 5G en France dès 2020.

Concernant les risques de consolidation induits par la 5G du fait de l'ampleur des investissements requis, je tiens à être rassurant. Grâce au « New Deal » et au déploiement de la fibre, nous allons disposer en France d'une infrastructure mobile - de sites et de réseaux de collectes pour relier ces sites avec la fibre - qui sera extrêmement avancée. La 5G représente d'abord un effort de remplacement des équipements électroniques qui se trouvent sur les sites. Il ne s'agit donc pas de construire de nouveaux sites ; ce qui, en termes d'investissement, n'induit pas les mêmes conséquences. Cette démarche est ainsi plus aisée pour les opérateurs qui vont remplacer la 4G par la 5G. Pour autant, ces investissements demeurent significatifs. La capacité du secteur à investir dépendra du niveau des redevances attendu par l'État. La réflexion ayant conduit au schéma acté pour le « New Deal », consistant à renouveler les attributions de fréquences en s'abstenant de faire une enchère élevée, devra également avoir lieu sur la 5G, bien que la question se pose en des termes différents puisqu'il s'agit de nouvelles fréquences impliquant de nouvelles redevances, sur le niveau desquels le Gouvernement devra donc s'exprimer. Ce sont des éléments sur lesquels nous sommes en attente de cadrage : plus les opérateurs consacreront d'argent au paiement des redevances, moins ceux-ci pourront investir dans le réseau.

Sur la place des verticaux et le modèle allemand, la situation française est différente pour deux raisons. D'une part, nous avons en France moins de spectre, avec 300 mégahertz contre 400 mégahertz. En revanche, nous disposons de quatre opérateurs, tandis que les Allemands en ont trois. Il est ainsi plus aisé aux Allemands de faire de la place aux opérateurs et aux verticaux. D'autre part, en Allemagne, les acteurs de l'industrie se positionnent, notamment Bosch et Siemens, ainsi que les usines de construction automobile. En France, ce sont plutôt les acteurs d'infrastructures qui se positionnent sur la 5G. Ils peuvent davantage bénéficier d'une couverture nationale assurée par les opérateurs plutôt que de réaliser la couverture par eux-mêmes, en local, dans leurs usines. Nous allons donc sans doute vers un équilibre différent. Quoi qu'il en soit, si les fréquences devaient être détenues exclusivement par les opérateurs, nous nous attacherions à ce que les verticaux aient bien accès à un service pertinent. En cas de carence des opérateurs, on pourrait même veiller à ce que les verticaux puissent utiliser la fréquence inutilisée. C'est une question qui pourra se poser.

Sur l'aménagement du territoire, j'ai bien noté les différents exemples évoqués d'équipement des pylônes en 3G. Je le regrette ; de tels aménagements représentent des fins de programmes précédents. Désormais, les équipements en 3G et 4G arrivent sur les territoires et nous avons travaillé avec les opérateurs pour doter immédiatement ces équipements de la 4G.

Nous travaillons également sur les problèmes de duplication de poteaux. Dans le cadre du « New Deal », des accords devraient être prochainement conclus entre opérateurs pour renforcer la mutualisation.

Concernant la fibre et le renouvellement des droits d'usage, nous avons réglé un différend entre Orange et Free. La règle issue de ce différend nous semble avoir vocation à se généraliser à l'ensemble des territoires. Le co-investissement souscrit par les opérateurs a ainsi vocation à être renouvelé au moins pour vingt ans, si le premier investissement a été initialement octroyé durant cette même période. Le co-investissement implique la solidarité entre les acteurs qui ont conjointement pris un risque dans le déploiement du réseau dont ils espèrent la pérennisation.

Nous accueillons très favorablement les solutions satellitaires qui seront indispensables au raccordement des zones les plus éloignées. Le Gouvernement leur a d'ailleurs consacré un volet spécifique d'accompagnement. En revanche, le satellite dispose d'une capacité structurellement limitée et ne pourra répondre aux besoins que d'une fraction limitée de la population française. Il n'y a pas de réponse à cette limite capacitaire. Les satellites représentent donc une solution utile et complémentaire, mais non structurante pour l'ensemble du territoire. En ce sens, la Direction générale des entreprises et l'Arcep conduisent actuellement une étude commune sur l'évaluation des coûts des différentes technologies, dont le recours à la 5G pour assurer cette couverture, y compris dans certains territoires très ruraux.

Sur la consolidation, nous n'avons écho d'aucune discussion entre les opérateurs.

Sur le service universel, l'Arcep est d'une extrême vigilance. Nous avons constaté à la fois une dégradation inacceptable de la qualité de service et un certain déni de l'opérateur historique. Au-delà des procédures juridiques, l'Arcep a veillé à faire prendre conscience à cet opérateur de la nécessité de s'organiser pour gérer deux réseaux : la fibre et le cuivre. Nous n'allons pas abandonner le cuivre parce qu'il y a la fibre ! S'il est prématuré de faire le point sur cette procédure, nous devrions, à partir du mois de mai prochain, conduire un état des lieux. Nous constatons cependant sur cette question une évolution de la part des grands dirigeants d'Orange, qui doit maintenant être suivie d'effets sur le terrain.

Conscients des disparités en matière d'accès au débit internet, sur lesquelles a porté l'étude conduite par l'UFC-Que Choisir, nous soutenons l'ambition du Gouvernement de proposer 8 mégabits pour tous d'ici la fin 2020. Nous y contribuons à travers le « New Deal » qui va apporter des solutions en 4G fixe aux problèmes des territoires.

L'usage de la fibre dans les entreprises a une valeur stratégique pour l'Arcep. La concurrence n'est pas assez développée sur le marché des entreprises. Cependant, les lignes bougent et les grands acteurs considèrent ce marché comme un relai de croissance important. Ainsi, Bouygues Telecom conduit actuellement sur ce marché de la fibre pour les entreprises un certain nombre d'acquisitions. Free se positionne également. En discussion permanente avec l'Autorité de la concurrence, nous sommes très vigilants pour qu'Orange ne profite pas de sa position acquise. Pour l'instant, nous n'avons pas de motif d'inquiétude à partager sur cette question.

Pendant des années, l'Arcep a considéré que le territoire était couvert à hauteur de 99 %, à l'inverse de ce que constataient les élus, et notamment les membres de votre commission lors de ma nomination. Nous avons établi des cartes, certes imparfaites, destinées à alimenter le débat. Nous contrôlons ces cartes et faisons payer aux opérateurs des audits que nous conduisons, à travers le choix des auditeurs et des lieux de contrôle. Ces tests s'élèvent chaque année à plusieurs centaines de milliers d'euros ! Ce contrôle est bien réel et les millions de points où il s'opère sont publiés en open data. Désormais, il est possible de contredire ou de compléter ces cartes. Pour y parvenir, deux modalités existent : la première, plus onéreuse, consiste à suivre le même protocole que celui de l'Arcep en utilisant des véhicules dédiés, conformément aux instructions et au cahier des charges du « kit du régulateur » que nous avons rendu public. La seconde, plus agile et moins coûteuse, consiste à faire du crowdsourcing, en sollicitant directement vos administrés, vos agents municipaux, ou vos partenaires habituels, comme les représentants des services publics, pour qu'ils conduisent des tests avec leur téléphone. Cette démarche, déjà été mise en oeuvre dans certains territoires, connaît des problèmes de fiabilité. C'est pourquoi, l'Arcep prépare un code de conduite destiné aux acteurs du crowdsourcing. Dans plusieurs semaines, nous serons donc en mesure de vérifier et de labelliser leur pratique.

La redevance de l'ONF nous est connue. Le cadre légal n'est pas nécessairement le plus favorable. Pour autant, nous espérons travailler sur ces redevances qui sont effectivement très élevées.

S'agissant des délais de réparation, nous faisons des progrès en agissant sur la transparence de l'information. Dans le cadre du « New Deal », les opérateurs ont l'obligation d'informer les collectivités lorsqu'un service est indisponible et de dire quel type de service est affecté (2G, 3G ou 4G). C'est là une première étape. L'Arcep commence ainsi à normaliser les éléments transmis par les opérateurs afin d'assurer leur comparaison et leur transmission rapide. Sur la base de ces constats, vous pourrez davantage dialoguer avec les opérateurs sur les rétablissements de service.

Mon mot de conclusion portera sur la souveraineté numérique à laquelle nous sommes très attachés. Aujourd'hui, le numérique n'est pas seulement perçu comme un secteur économique, mais plutôt comme la source même de la mutation de toute l'économie. La question de la souveraineté est cruciale. Un premier enjeu concerne le contrôle et la sécurité ; thématiques dont l'Arcep n'est pas spécialiste. De mon point de vue, un autre enjeu de la souveraineté numérique concerne notre capacité à être nous-mêmes des acteurs du numérique. La régulation peut ainsi être une réponse pour donner des outils à tous les entrepreneurs et les citoyens qui souhaitent se saisir du numérique. Il me semble qu'il nous faut inventer des formes de régulation autres qu'horizontales, c'est-à-dire s'appliquant uniformément à tous les acteurs, comme le règlement européen n? 2016/679, dit règlement général sur la protection des données (RGPD). Je milite personnellement pour des régulations qui soient ciblées sur les acteurs les plus puissants et les contraignent d'une manière qui ouvre la porte à tous les autres. Tel est le sens de ce que nous proposons pour réguler les terminaux, à savoir aujourd'hui Apple ou Androïd et, demain, Amazon avec Alexa, de manière à ce que les entrepreneurs qui souhaitent être référencés sur les magasins d'application, et demain sur les assistants vocaux, puissent avoir un réel droit d'accès non discriminatoire à ces plateformes. Cet enjeu de régulation me semble extraordinairement important.

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