Intervention de Michel Amiel

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 avril 2019 à 9h05
Proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Michel AmielMichel Amiel, rapporteur :

Second étage de notre système de prise en charge des soins, l'assurance maladie complémentaire couvre plus de 95 % des Français, finance 13 % de la dépense de santé et représente 36 milliards d'euros de cotisations collectées. Ce secteur à lourds enjeux financiers est essentiellement confié à des acteurs privés : en 2017, 474 organismes se partagent le marché, relevant des mutuelles, des institutions de prévoyance et des sociétés d'assurance. Une exception existe pour les personnes les plus modestes éligibles la CMU-C, dont la protection complémentaire est majoritairement assurée par la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM).

La proposition de loi portée par le président du groupe La République en Marche de l'Assemblée nationale, et adoptée le 27 mars dernier, répond à un objectif simple : ouvrir la faculté aux assurés de résilier à tout moment leur contrat de complémentaire santé, sans frais ni pénalité, au-delà de la première année de souscription. Cette possibilité serait offerte aux particuliers dans le cadre de contrats individuels ou facultatifs, et aux entreprises dans le cas de contrats collectifs qui sont obligatoires et concernent désormais 96 % des salariés.

Cette disposition, que le Gouvernement avait envisagé de proposer sous forme d'amendement au projet de loi Pacte examiné au Sénat en tout début d'année, a aussitôt suscité des réactions vives, mais contrastées, de nombreux acteurs du secteur. Les représentants des mutuelles et des instituts de prévoyance, que j'ai auditionnés, sont opposés à cette mesure selon eux inutile. Ils craignent, du fait de la particularité de l'assurance santé, que le « nomadisme » entraîne des comportements opportunistes ou consuméristes, susceptibles de porter atteinte aux mécanismes de mutualisation et de solidarité, au détriment des assurés les plus fragiles, notamment les plus âgés. Je suis comme vous très sensible à ces enjeux. Il me semble toutefois que la portée réelle du texte doit conduire à modérer les craintes exprimées.

La possibilité de résilier un contrat d'assurance, y compris en santé, est déjà possible à chaque échéance annuelle ; de l'ordre de 15 % à 20 % des assurés s'en saisissent. La loi Hamon du 17 mars 2014 a ouvert un droit à résiliation infra-annuelle, à tout moment après un an et non seulement à la date anniversaire du contrat, qui s'applique aux assurances auto et habitation. C'est cet assouplissement qu'il est proposé d'étendre à la complémentaire santé. Ce mouvement s'inscrit dans une tendance de fond puisque, sur l'initiative de notre collègue Martial Bourquin, la possibilité de résiliation annuelle concerne également l'assurance emprunteur.

Les objectifs de cette proposition de loi, comme des initiatives précitées, sont à la fois de simplifier la vie des assurés et d'accentuer la concurrence sur un marché, certes, déjà marqué par un grand nombre d'acteurs, mais sur lequel des marges de progression semblent possibles : les complémentaires santé sont régulièrement montrées du doigt pour le montant élevé de leurs frais de gestion - ils représentent 21 % des cotisations en moyenne - et le manque de lisibilité de leurs offres.

Je ne vais pas aujourd'hui vous affirmer que ce texte entraînera une diminution significative des tarifs que certains espèrent ou au contraire une explosion des frais de gestion que certains redoutent. Beaucoup ont regretté l'absence d'étude d'impact, mais une évaluation précise est délicate à ce jour. Il s'agit de fluidifier le marché pour une plus grande efficience des acteurs et de meilleures garanties, au meilleur tarif, pour les assurés. Tous les particuliers et toutes les entreprises, compte tenu de la lourdeur administrative que représente un changement de contrat santé, ne vont pas se saisir de cette faculté nouvelle. Le précédent de la Loi Hamon le montre : il n'y a pas eu de fort bouleversement sur le secteur des assurances auto et habitation. Toutefois, personne ne propose de revenir sur cette avancée. La santé est un bien particulier. C'est pourquoi le secteur des complémentaires santé est régulé et les organismes ne peuvent faire de sélection médicale. Pour autant, ce serait prêter une importance démesurée à l'assouplissement du droit à résiliation que de lui faire porter un risque de déstabilisation majeur d'un secteur qui a connu de plus fortes évolutions.

La proposition de loi comportait à l'origine quatre articles. Elle en contient trois de plus à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale.

Les articles 1er à 3 déclinent la résiliation infra-annuelle pour les contrats souscrits auprès de sociétés d'assurance, d'institutions de prévoyance et de mutuelles. En fait, la proposition de loi continue de renvoyer à un décret la définition du champ des opérations d'assurance concernées. Sur l'initiative du rapporteur, l'Assemblée nationale a complété ces trois articles : d'une part, pour préciser, comme pour les garanties auto et habitation obligatoires, que le nouvel organisme assure les formalités nécessaires au changement de contrat pour faciliter les démarches des assurés, et, d'autre part, pour simplifier les modalités de résiliation des contrats, sans imposer l'envoi recommandé aujourd'hui requis.

Je vous proposerai d'apporter plusieurs clarifications formelles au texte.

L'article 4 rend ce droit à résiliation infra-annuelle applicable au plus tard le 1er décembre 2020. Cette date semble pour les uns trop proche, pour les autres trop lointaine. Elle fixe toutefois un cap et permet aux organismes de se préparer à cette réforme.

Trois articles additionnels ont par ailleurs été adoptés, dans la volonté d'inscrire l'évolution proposée dans un cadre plus large : celui de la transparence des garanties offertes par les complémentaires santé. C'est en effet une évolution souhaitée par nos concitoyens, un enjeu pour la concurrence et une condition préalable à l'effectivité du droit de résiliation.

L'article 3 bis A, issu d'un amendement du groupe La République en Marche, vise à s'assurer du déploiement par les organismes complémentaires des services numériques permettant aux assurés et aux professionnels d'avoir un accès en temps réel à leurs droits et garanties. Certains y voient une fragilisation du tiers payant, du fait de risques d'indus. Or les changements de contrats en cours d'année sont déjà fréquents, par exemple pour un salarié qui change d'entreprise. Par ailleurs, les organismes complémentaires se sont saisis de la question des services numériques lors des réflexions sur le tiers payant généralisable. Si l'intention de l'article est louable, sa rédaction soulève des interrogations, d'autant que les complémentaires ne sont pas responsables des équipements des professionnels et établissements de santé. Je vous proposerai donc, tout en approuvant son esprit, de supprimer cet article.

L'article 3 bis, introduit par le rapporteur, complète l'information aux assurés par la communication du taux de redistribution des contrats, qui est un indicateur éclairant. Le rapport entre les prestations versées et les cotisations collectées est en moyenne de 79 %, mais de fortes disparités existent. Je vous proposerai de clarifier la portée des dispositions prévues.

L'article 3 ter, également introduit sur l'initiative du rapporteur, est une demande de rapport pour évaluer les progrès accomplis en termes de lisibilité des contrats avant l'entrée en vigueur de la proposition de loi. Ce sujet est crucial et récurrent ; il trouve aujourd'hui une nouvelle actualité avec la mise en oeuvre du reste à charge zéro. Ainsi, le 14 février dernier, les fédérations d'organismes complémentaires ont, en présence de la ministre chargée de la santé, signé des engagements : il s'agit d'avancer vers un langage commun et d'adopter une présentation plus intelligible. Là aussi, le sujet est essentiel, mais la portée de l'article reste celle d'un rapport ! Suivant la position régulière de notre commission, je vous proposerai de supprimer cet article : d'autres moyens de pression plus opérationnels sont à la main du pouvoir réglementaire, car le principe de lisibilité de ces contrats existe déjà dans la loi.

Je vous proposerai d'adopter cette proposition de loi sous réserve des amendements que je vais vous présenter.

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