Je vais essayer de résumer une histoire longue et compliquée. La maladie de Lyme alimente depuis longtemps polémiques et débats du fait de son polymorphisme, des difficultés de son diagnostic et de sa prise en charge lorsque des symptômes tardifs se manifestent.
Le 5 juillet 2016, le ministère avait nous avait demandé une recommandation de bonnes pratiques sur la maladie de Lyme. Le 29 septembre 2016, la DGS a confié à la HAS et à la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), via le Plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les autres maladies transmissibles par les tiques de 2016, l'élaboration d'un Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS), portant sur les maladies transmissibles par les tiques. L'objectif de ce plan est d'expliquer aux professionnels quelle peut être la prise en charge diagnostique et thérapeutique et le parcours de soins d'un patient atteint d'une maladie rare en l'état des connaissances actuelles.
C'est dans ce contexte que la HAS a co-piloté l'élaboration de recommandations de prise en charge avec la Spilf. Élaborées durant 18 mois par un groupe de travail pluridisciplinaire et incluant des associations de patients, ces recommandations ont vocation à apporter une réponse concrète aux professionnels de santé et aux malades, mais elles doivent être actualisées en fonction des avancées de la science. Ces recommandations se présentent comme des propositions méthodiquement élaborées pour aider les patients à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données et elles se basent sur des synthèses rigoureuses de l'état de l'art et des données de la science à un moment donné, ce qui ne dispense pas les professionnels de santé de faire preuve de discernement dans la prise en charge des patients.
La méthodologie de la HAS est extrêmement codifiée. Tout d'abord, la phase de cadrage précise le périmètre de la production, les enjeux, les risques, les hypothèses retenues et les questions à traiter. Ce cadrage implique une connaissance globale des principales données et il est validé par le collège, dans un format synthétique.
Ensuite, la recherche documentaire est lancée qui implique une étude des données indexées et non indexées. De plus, une veille est mise en place durant la rédaction de la recommandation. L'analyse critique de la littérature selon les standards méthodologiques internationaux permet de quantifier le niveau de preuve de ces études. Une synthèse est ensuite rédigée en interne ou, parfois, en externe et elle aboutit à un document, dont une partie reprend toutes les analyses des articles. Ce document est librement consultable.
Le chef de projet en charge de la production organise le recueil de la position des experts ou l'opinion des parties-prenantes et en rédige la synthèse. Ces informations figurent elles aussi dans le rapport d'évaluation. La transparence est donc totale.
Les experts sont ensuite sollicités. Pour le cas qui nous préoccupe, ce fut un travail pluriprofessionnel et pluridisciplinaire. Des usagers et des patients furent également sollicités. Des experts furent auditionnés et des questionnaires envoyés à des groupes d'experts. Les organismes professionnels ou institutionnels et les associations de patients ou d'usagers ont été sollicités pour proposer des noms d'experts. Nous disposions aussi d'un fichier d'experts et nous avons publié un appel public à candidature.
Pour cette étude, comme pour toutes les autres études, la sélection des experts est faite en fonction de critères de représentativité. Ils doivent se conformer à leur obligation de déclaration des liens d'intérêt, afin de légitimer nos publications. La sollicitation des parties-prenantes, qui ne sont pas considérés comme des experts selon le décret du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l'expertise sanitaire, permet de recueillir le point de vue des parties « intéressées ». Il s'agit donc du recueil d'une opinion.
Enfin, nous pouvons solliciter des professionnels afin de vérifier l'applicabilité de nos recommandations. Ces professionnels ne sont pas considérés comme des experts et ne sont pas soumis à une déclaration publique d'intérêt.
Le document est ensuite validé par le collège de la HAS, après examen le cas échéant de la commission concernée ou par une commission réglementée.
J'en viens au PNDS qui a été élaboré conjointement par la Spilf et la HAS. Un groupe de travail, représentant l'ensemble des professionnels participant à la prise en charge de la pathologie, ainsi que les représentants de patients a été constitué. J'insiste sur la pluralité des opinions de ces groupes de travail.
L'ensemble des disciplines concernées était représenté au sein du groupe de travail où siégeaient huit membres de la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques, un membre de l'association Lyme Sans Frontières, six membres de la SPILF, treize membres de conseils nationaux de professionnels, cinq membres de l'équipe projet de la HAS, soit un total de 35 membres.
La première réunion du groupe de travail s'est tenue en mars 2017. Lors des débats, plusieurs points ont fait l'objet de controverses. Les données de la littérature, parfois contradictoires, pouvant avoir un niveau de preuve insuffisant, n'ont pas toujours permis de trancher les discussions. Certaines questions scientifiques de cette maladie ne sont toujours pas résolues. Ces données, ainsi que les positions des différentes parties, ont été consignées dans l'argumentaire scientifique.
La dernière réunion du groupe de travail s'est tenue en mars 2018. La recommandation de bonne pratique a présenté le résultat auquel il était parvenu.
En juin, au moment de la validation par les deux partenaires, la SPILF a exprimé son désaccord avec les travaux de ce groupe de travail et a, en conséquence, refusé de les adopter. Le 13 juin 2018, le collège de la HAS a donc décidé de les adopter seul, sous l'intitulé « Recommandation de bonne pratique : Borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques ».
Cette recommandation, qui a été publiée le 16 juillet 2018, comprend l'argumentaire scientifiques et six fiches de synthèse associées : « Examens complémentaires et traitements » ; « Performances des tests diagnostiques actuellement recommandés » ; « Borréliose de Lyme » ; « Autres maladies vectorielles à tiques » ; « Prévention des maladies vectorielles à tiques (MVT) » ; « Symptomatologie/Syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique », ce fameux SPPT sujet à tant de controverses.
Le collège de la HAS a estimé que ces recommandations, bien que ne répondant pas à toutes les questions, amélioraient la prise en charge par rapport aux préconisations précédentes.
La HAS a rappelé que le diagnostic reposait avant tout sur un examen clinique et que les sérologies étaient un complément, des examens complémentaires pouvant s'avérer utiles. Comme pour les autres infections bactériennes, le traitement repose sur des antibiotiques, entre 14 et 28 jours selon la forme, avec des posologies variables. Ce sont les seules discordances que je note avec le NICE.
Certaines personnes ayant été potentiellement exposées aux tiques présentent des signes cliniques polymorphes persistants comme des douleurs musculaires, des maux de tête, une fatigue, des troubles cognitifs ; tous ces troubles pouvant être invalidants. En l'état actuel des connaissances, nous ne savons pas si ces signes sont dus à l'existence d'une borréliose de Lyme persistante après traitement ou à d'autres agents pathogènes qui seraient transmis par les tiques, ou même encore d'autres maladies.
Or, ces personnes se retrouvent en errance diagnostique, sans prise en charge appropriée, et ont parfois recours à des tests douteux et des traitements inadaptés, non validés et potentiellement à risque d'effets secondaires. Même si les incertitudes scientifiques sont réelles, tous les patients doivent être pris en charge et leur souffrance doit être entendue. La HAS précise dans le SPPT quelle doit être l'attitude diagnostique et thérapeutique à l'égard de ces patients qui subissent ces signes cliniques depuis plus de six mois et plusieurs fois par semaine. Quel que soit le résultat de leur sérologie, la HAS recommande un traitement pour soulager les symptômes, en attendant d'en savoir plus sur la maladie dont souffre le patient et de réaliser un bilan étiologique pour éliminer les pistes de maladies inflammatoires, de pathologies infectieuses ou non infectieuses.
Si ce bilan n'aboutit à aucun diagnostic, un traitement antibiotique d'épreuve de 28 jours devra être proposé. Aucune prolongation de traitement antibiotique ne devra être entreprise en dehors de protocoles de recherche encadrés par un centre spécialisé des maladies vectorielles à tiques. Ces centres devront proposer une prise une charge multidisciplinaire et pluriprofessionnelle adaptée aux symptômes de chaque personne et documentée afin de faire avancer les connaissances.
Il convient également de mener des recherches fondamentales en partenariat avec le CNRS, l'Inserm, l'INRA ou encore l'Institut de recherche pour le développement (IRD) afin de décrire l'impact chez l'homme des agents infectieux présents dans les tiques et transmissibles par piqûres, de comprendre les mécanismes physiopathologiques déclenchés, d'expliciter les symptômes décrits dans le SPPT, de rechercher les meilleurs schémas thérapeutiques, de chercher le lien entre certains diagnostics différentiels potentiels et l'infection à Borrelia. Il est également nécessaire d'étudier la qualité de vie et le vécu des patients au moyen de recherches en sciences humaines et sociales.
En d'autres termes, la recommandation de la HAS, conforme aux recommandations internationales, prévoit que les personnes souffrant de symptômes polymorphes persistants non expliqués, avec une sérologie de Lyme positive ou négative, bénéficient d'un bilan étiologique complet et d'une prise en charge globale adaptée à leurs symptômes. La recommandation propose également la création de centres spécialisés pour éviter l'errance de ces patients, comme le préconisait le plan Lyme 2016.
L'organisation des soins recommandée par la HAS permet d'expérimenter des traitements d'épreuve et notamment des antibiothérapies prolongées, mais en les encadrant dans des protocoles de recherche, afin de garantir la sécurité du patient et d'évaluer l'impact de ces traitements dans le but d'améliorer les connaissances.
Contrairement à ce que j'ai pu lire, la HAS n'a donc ni affirmé, ni infirmé l'existence d'une forme chronique de la maladie de Lyme. Elle a fait part de l'impossibilité de se prononcer en l'état actuel des connaissances et des études. Ce faisant, elle n'a cédé à aucune pression, mais a fait primer la rigueur, l'objectivité et l'intégrité scientifiques sur toute autre considération. Notre priorité est la prise en charge adaptée des usagers.
Dans le préambule de sa recommandation, la HAS a prévu une actualisation de celle-ci au minimum tous les deux ans, pour prendre en compte les nouvelles données qui pourraient justifier des modifications dans la prise en charge des patients. Dans les faits, nous organisons un point d'étape tous les six mois, la première réunion d'actualisation s'étant tenue le 23 janvier dernier.
En septembre 2018, la DGS a missionné la Spilf pour un travail supplémentaire. J'en prends acte et attends de voir le travail et la méthodologie retenues. Il serait regrettable, pour les professionnels de santé comme pour les patients, que deux recommandations différentes existent, au risque d'entraîner confusion et désorganisation. Il est en revanche tout à fait possible que la HAS intègre à ses recommandations des compléments élaborés par la Spilf et qui obéiraient à la même rigueur scientifique et la même impartialité.
Enfin, la HAS n'a jamais fermé la porte à une actualisation de ses recommandations, bien au contraire, à condition qu'elle soit scientifiquement justifiée. En l'occurrence, compte tenu des incertitudes scientifiques persistant sur cette maladie, nous l'avions prévue d'emblée.
Professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, ministère des solidarités et de la santé. - Les patients n'en peuvent plus des polémiques, nous devons les écouter, les accompagner, mettre un terme à leurs souffrances et à leur errance diagnostique, thérapeutique, géographique.
J'ai exercé la médecine avec passion, et mon engagement pour la santé publique et les maladies infectieuses est ancien. Avec rigueur, tolérance et constance, j'ai travaillé durant plus de vingt ans dans le service du professeur Eric Dournon, pionnier de Lyme en France, puis de Christian Perronne. J'ai suivi des centaines de malades. Les deux dernières années, entre 2015 et 2017, ma consultation était presque remplie de malades complexes, en errance tragique.
J'ai participé à de nombreux projets de recherche en immunologie, en clinique. J'ai porté, comme conseiller de la ministre Marisol Touraine, la création d'un plan Lyme et maladies vectorielles de la tique (MVT) cohérent, avec cinq axes : renforcement de la surveillance vectorielle ; renforcement de la surveillance épidémiologique pour la population humaine ; prise en charge optimisée ; amélioration des tests de diagnostic ; renforcement de la recherche globale, avec l'ensemble des opérateurs de recherche en santé, environnement, sciences humaines et sociales. Un comité de pilotage animé par le DGS se réunit deux fois par an ; il inclut les associations.
S'agissant des recommandations nationales, j'ai été président du groupe de travail pour le PNDS Lyme et MVT à la HAS. Ce fut une très riche expérience. À chaque séance de travail, où nous étions toujours une quarantaine de participants, nous écoutions les malades, qui nous disaient leur souffrance ; et nous recherchions un consensus - la précédente conférence de consensus, celle de 2006, nous paraissait obsolète...
Du reste j'ai été frappé en entendant notre collègue britannique de la similitude des enjeux et des démarches. Le travail de la HAS a été similaire au sien, nos conclusions étaient proches de celles de nos homologues britanniques ou allemands. J'ai été nommé DGS quelques jours avant la clôture, mais j'ai déploré que certaines parties prenantes ne signent pas le rapport final, car un important travail collégial avait été conduit, avec un consensus sur de nombreuses questions, et des dissensus qui portaient seulement sur quelques points très techniques.
Comme directeur de la santé, je m'occupe des questions de prévention, de santé publique, de prise en charge optimale des patients, de développement de la recherche transversale, en lien avec le ministère de la recherche et avec l'Inserm, pilote sur le projet et représentant des Alliances. Les malades ont droit à des recommandations consensuelles. La HAS avait prévu une actualisation en fonction des connaissances et des pratiques médicales. Je suis totalement indépendant par rapport aux pressions, je veux ici le souligner, et j'ai effectivement demandé au président de la Spilf de retravailler, avec la vingtaine de sociétés savantes concernées, à partir des travaux importants du groupe de travail de la HAS, qui représentaient une énorme masse d'informations et de recommandations. Je souhaitais qu'avec les associations et les parties prenantes, de nouvelles recommandations soient formulées, tenant compte des très nombreuses publications nouvelles et des travaux internationaux - la Grande-Bretagne, je le rappelle, a publié récemment ses recommandations ; les États-Unis vont faire de même dans quelques jours.
L'actualisation était nécessaire. Et l'on ne peut accepter, ni que certains médecins ou certaines sociétés savantes disent se sentir indépendants des recommandations de la HAS, ni que les recommandations de 2006 continuent à s'appliquer... Je n'ai pas voulu cette polémique, je refuse également que chaque société produise ses recommandations de façon cloisonnée. Il n'est pas non plus concevable que coexistent plusieurs recommandations officielles ou officieuses. Gardons-nous des procès d'intention : je souhaitais que nous parvenions à des recommandations consensuelles, à partir de la méthodologie de la HAS, en nous appuyant sur les recommandations disponibles chez nos voisins britannique et allemand, en travaillant avec toutes les sociétés savantes et associations de patients, et en prenant en compte les impératifs de déontologie, de transparence, de rigueur scientifique, d'indépendance et de prévention des conflits d'intérêts. J'appelle de mes voeux, en lien avec la HAS, un document final pratique, cohérent, applicable par les médecins généralistes, compréhensible par les patients.
La présidente de la HAS et moi-même souhaitons que ce travail puisse intégrer et actualiser les recommandations nationales du collège de la HAS, pour parvenir à un document intégratif apportant réponse à tous les patients, et validé par le collège. Le DGS que je suis et la Haute Autorité ont le même objectif, le partage des connaissances au profit des professionnels de santé et des patients. Tout doit être fait pour éviter les dogmes, les postures, les querelles de mots et les guerres d'egos : les malades attendent de nous tous rigueur, indépendance et engagement. Je veux de la science, des progrès réels pour les malades et de la sérénité. Face aux incertitudes scientifiques et médicales, il faut aussi savoir reconnaître que nous ne savons pas ; et adopter une stratégie humble, l'enjeu étant de parvenir à un consensus pragmatique, car le risque pour les patients réside dans la stigmatisation, conséquence des polémiques.
Nous pouvons faire aussi bien que les Britanniques ! Un travail majeur est mené par l'INRA et l'Anses, comme par Santé publique France en matière de surveillance. Quant à la prévention, nous lançons un spot qui sera diffusé dans les prochains jours.
Nous allons effectivement créer des centres de référence, non pas pour y parquer les patients mais pour leur proposer des lieux où l'on écoute les associations, où tous les médecins ont une grande ouverture d'esprit, où la prise en charge est multidisciplinaire et l'approche pragmatique, non dogmatique. Les candidatures sont nombreuses, un jury indépendant sera constitué, comprenant des représentants de l'Inserm, de la Fédération hospitalière de France, des associations, de Santé publique France, et un président désigné de façon indépendante. Nous veillerons à la prévention des conflits d'intérêts en son sein. Les critères de choix, pour les centres, seront en particulier l'écoute des patients, la qualité scientifique du dossier, l'engagement dans une démarche de démocratie sanitaire. Une enveloppe de 1,5 million d'euros est prévue dans le cadre d'une mission d'intérêt général (MIG).
Le diagnostic est clinique avant tout : les symptômes priment sur le résultat du test. J'ajoute que l'on observe une immense variabilité individuelle en médecine.
Je voudrais terminer par une note d'espoir : ces maladies induites par la modification climatique, environnementale et par la modification des comportements humains exigent une mobilisation générale des opérateurs de recherche - pour permettre une approche globale. Il y a là un enjeu majeur pour l'avenir.
L'Inserm est l'opérateur pilote sur cette thématique. J'ai rencontré récemment Gilles Bloch, le nouveau PDG, il est totalement mobilisé. Quant aux travaux de recherche prioritaires, il y a les nouveaux tests diagnostiques, le projet de recherche participative porté par l'INRA, passionnant, ou encore l'étude protéomique de la tique. De nombreux acteurs se mobilisent, CNR, CNRS, INRA ; les cliniciens, aussi, puisqu'un dossier pour le PNRH vient d'être déposé par l'Inserm et sera prochainement étudié par un jury indépendant. Il faut se féliciter de la mobilisation de tous les opérateurs de recherche, sur ce sujet émergent et important. J'ajoute qu'il existe des financements importants au plan européen.
Je le répète, DGS et HAS ont un seul but : fournir des recommandations claires, et s'assurer que les patients reçoivent écoute et réponses - pas forcément à tout, bien sûr, mais les malades demandent surtout à être écoutés.