Intervention de Arnaud de Belenet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 avril 2019 à 9h00
Proposition de loi et proposition de loi organique visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral — Examen du rapport et des textes de la commission

Photo de Arnaud de BelenetArnaud de Belenet, rapporteur :

Ces deux propositions de loi, simple et organique, de notre collègue Alain Richard visent à clarifier certaines dispositions du code électoral. Elles s'inspirent directement des observations rendues par le Conseil constitutionnel le 21 février dernier au sujet des élections législatives de 2017, même si ces deux textes portent sur l'ensemble des élections.

Notre commission, dans un rapport d'information rendu en 2010, souhaitait déjà cette clarification du code électoral qui, à force de modifications successives, a perdu en cohérence et en clarté. Par exemple, son article L. 47 renvoie encore aux lois de 1881 et de 1907 sur la liberté de réunion publique ; ou bien, dans son chapitre « Financement et plafonnement des dépenses électorales », l'article L. 52-12 mentionne toujours « l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés », qui a changé d'appellation en 1994.

Par ailleurs, la structure du code électoral n'a pas été revue depuis 1956, malgré les tentatives de la Commission supérieure de codification. La présence de dispositions de valeur organique exclut tout recours aux ordonnances, outil privilégié pour créer de nouveaux codes ou les réorganiser.

Ces deux textes visent donc à clarifier le contrôle des comptes de campagne et les règles d'inéligibilité, d'une part, et à mieux encadrer la propagande électorale et les opérations de vote, d'autre part.

Premièrement, il est proposé de simplifier les démarches administratives des candidats et d'améliorer les contrôles.

Initialement, tous les candidats devaient déposer un compte de campagne auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Depuis 2011, une dérogation est toutefois prévue pour les candidats qui remplissent deux conditions cumulatives : ils ont obtenu moins de 1 % des suffrages exprimés et ils n'ont pas perçu de dons de personnes physiques.

La CNCCFP doit se prononcer sur le compte de campagne dans un délai de six mois à compter de la date de son dépôt. Elle peut l'approuver, l'approuver après réformation ou le rejeter. Pour les élections législatives de 2017, elle a approuvé 5 261 comptes, dont 2 645 après réformation, et en a rejeté 107. En outre, 244 candidats n'ont pas déposé leur compte dans les délais impartis.

La CNCCFP saisit automatiquement le juge de l'élection lorsque le compte de campagne a été rejeté ou n'a pas été déposé, ou lorsque le plafond des dépenses électorales a été dépassé.

Lors des élections législatives de 2017, le nombre de candidats ayant dû déposer un compte de campagne a augmenté de 27 % par rapport au scrutin de 2012. En conséquence, la commission a saisi le Conseil constitutionnel, juge de l'élection, à 351 reprises, soit une augmentation de 47,5 % par rapport à 2012.

Cette massification du contentieux soulève la question de la dispense de compte de campagne pour les candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages exprimés et n'ayant pas perçu de don de personnes physiques. En pratique, cette dérogation porte principalement sur les élections législatives : 31,61 % des candidats au scrutin de 2017 n'ont pas eu l'obligation de déposer un compte de campagne, contre 0,96 % des candidats aux élections municipales de 2014 et 7,60 % des candidats aux élections régionales de 2015.

Comme le préconise le Conseil constitutionnel, l'article 1er de la proposition de loi vise à étendre cette dispense aux candidats ayant obtenu moins de 2 % des suffrages exprimés. Si cette mesure avait été appliquée aux élections législatives de 2017, 808 candidats supplémentaires auraient été dispensés de compte de campagne, soit environ 10 % des candidats. Au total, environ 40 % des candidats n'auraient pas eu l'obligation de déposer un compte de campagne Cette mesure pourrait donc affecter l'efficacité des contrôles de la CNCCFP. Je vous propose donc de ne pas la retenir.

Je privilégie, à la place, une simplification concernant le recours aux experts-comptables.

Aujourd'hui, seuls les candidats dont le compte ne comprend aucune recette ni aucune dépense sont dispensés de recourir à un expert-comptable. À titre d'information, sachez que lors des élections législatives de 2017, plus de 3,5 millions d'euros ont servi à rémunérer des experts-comptables, soit près de 5 % des dépenses.

Dans ce contexte, je vous propose d'élargir la dispense d'expertise-comptable aux candidats remplissant deux conditions cumulatives : ils ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et leurs recettes ainsi que leurs dépenses n'excèdent pas un montant fixé par décret.

Entendu en audition, l'ordre des experts-comptables ne semble pas opposé à cette simplification, le contrôle des comptes de campagne ne constituant pas une activité stratégique pour la profession.

Deuxièmement, la proposition de loi et la proposition de loi organique visent à clarifier les règles d'inéligibilité.

Le code électoral distingue plusieurs hypothèses d'inéligibilité. En cas de dépassement du plafond des dépenses électorales par le candidat ou si celui-ci n'a pas déposé son compte de campagne, le juge « peut » prononcer l'inéligibilité. En revanche, le juge a l'obligation de déclarer inéligible un candidat « dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ».

En pratique, le juge prononce l'inéligibilité seulement lorsqu'il estime que l'irrégularité constatée présente un degré de gravité suffisant. Malgré ces différences de rédaction, le juge exerce toujours le même office.

Pour plus de lisibilité, les présents textes tendent à clarifier le rôle du juge en mettant en accord le code électoral et la jurisprudence : d'une part, le juge aurait dans tous les cas la faculté de prononcer cette inéligibilité ; d'autre part, une simple erreur matérielle, sans volonté de fraude, n'entraînerait pas d'inéligibilité.

En l'état du droit, l'inéligibilité pour manquement aux règles de financement des campagnes électorales s'applique à compter de la décision définitive du juge de l'élection. Dans ses observations sur les élections législatives de 2017, le Conseil constitutionnel s'est interrogé sur ce « point de départ » de l'inéligibilité. Pour une irrégularité équivalente, l'effet de la sanction varie d'un candidat à l'autre, en fonction du délai d'instruction de son dossier. C'est pourquoi l'article 2 de la proposition de loi et l'article 1er de la proposition de loi organique tendent à faire « démarrer » l'inéligibilité à la date du premier tour de scrutin.

Cette solution présente toutefois plusieurs inconvénients. Dotée d'un effet rétroactif, elle remettrait en cause les mandats acquis entre le premier tour de scrutin, d'une part, et la décision du juge électoral, d'autre part. En outre, elle pourrait permettre à un candidat déclaré inéligible de se présenter plus rapidement à un nouveau scrutin.

En lien avec l'auteur de ces textes, je propose un dispositif alternatif. En particulier, le juge serait invité à moduler la durée des inéligibilités prononcées afin que les candidats ayant commis des irrégularités comparables lors d'un même scrutin soient déclarés inéligibles pour les mêmes échéances électorales.

Par ailleurs, je vous propose de clarifier l'inéligibilité prononcée contre les parlementaires pour manquement à leurs obligations fiscales. Il s'agit de confirmer que les parlementaires concernés ont l'interdiction, pendant la durée de leur inéligibilité, de se présenter à d'autres scrutins et de préciser que cette inéligibilité ne remet pas en cause les mandats acquis antérieurement à la décision du juge.

Troisièmement, la proposition de loi et la proposition de loi organique tendent à mieux encadrer la propagande électorale et les opérations de vote.

En l'état du droit, les réunions électorales sont autorisées le samedi qui précède le scrutin, jusqu'à minuit, mais interdites le jour du scrutin. À l'inverse, les autres formes de propagande - tracts, circulaires, messages électroniques, etc. - et les sondages d'opinion sont prohibés à compter du samedi matin, zéro heure. En conséquence, il est proposé d'interdire la tenue des réunions électorales à partir du samedi qui précède le scrutin, zéro heure.

L'un de mes amendements vise à étendre cette interdiction à l'organisation des réunions électorales dans les locaux diplomatiques et consulaires et à ouvrir la possibilité aux Français de l'étranger de tenir des réunions électorales en amont des campagnes.

En ce qui concerne les bulletins de vote, il est proposé d'y interdire l'apposition de la photographie ou de la représentation de tierces personnes, mais également du candidat ou de son suppléant. Étonnamment, le Conseil constitutionnel avait admis, dans une décision rendue en décembre 2017, la représentation sur le bulletin de vote d'un candidat aux élections législatives d'une tierce personne, maire d'une commune et ancien député de la circonscription.

En complément, il est proposé de consacrer au niveau législatif l'interdiction de mentionner le nom d'autres personnes que celui du candidat, de son suppléant et du candidat pressenti pour présider l'organe délibérant.

En outre, l'article 6 de la proposition de loi tend à inscrire dans le code électoral la tradition républicaine selon laquelle les règles électorales ne sont pas modifiées dans l'année qui précède le scrutin. Le pouvoir réglementaire serait tenu de respecter ce principe législatif, notamment pour délimiter les cantons et les communes. À l'inverse, le pouvoir législatif pourrait y déroger au cas par cas.

Pour conclure, en ce qui concerne l'application de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer comme recevable tout amendement portant sur le financement des campagnes électorales, les inéligibilités et la propagande électorale. En revanche, seraient irrecevables les amendements portant sur les modes de scrutin, le mode de décompte des suffrages exprimés et la prise en compte du vote blanc, la désignation des exécutifs locaux et le fonctionnement des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, le régime des incompatibilités et la limitation du cumul des mandats.

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