Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 avril 2019 à 9h00
Proposition de résolution tendant à modifier le règlement du sénat pour renforcer les capacités de contrôler l'application et d'évaluer les lois — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere, rapporteur :

Cette proposition de résolution, déposée par le groupe Socialiste et républicain, vise modifier le Règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôler l'application et d'évaluer les lois. L'objectif de nos collègues est d'aller plus loin sur ces deux terrains en désignant un sénateur qui, en plus de son rôle traditionnel de rapporteur, aurait la responsabilité de suivre l'application de la loi et de l'évaluer. Il s'agirait donc d'une forme de « tout-en-un » !

Cette proposition de résolution prend la forme, à l'article 1er, d'un droit de suite sur l'application de la loi au bénéfice du rapporteur du projet ou de la proposition de loi et vise à affirmer, à l'article 2, la mission d'évaluation des lois.

Le premier volet du texte concerne le suivi de l'application des lois. Aux termes de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre « assure l'exécution des lois ». Il s'appuie sur le secrétariat général du Gouvernement, qui dresse un échéancier de mise en application. Une circulaire du 29 février 2008 commande que les textes d'application soient pris dans les six mois.

Le Gouvernement agit sous le contrôle du Parlement, qui veille à la bonne exécution des lois. Depuis 1972, le Sénat a d'ailleurs mis en place un dispositif ad hoc pour assurer ce contrôle.

Au printemps, chaque président de commission dresse un bilan de l'application des lois qui relèvent des compétences de sa commission. Le président de la délégation du Bureau du Sénat chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, élabore ensuite le bilan annuel de l'application des lois, publié fin mai ou début juin.

Depuis 2009, le Règlement de notre assemblée reconnaît, en son article 22, le rôle des commissions permanentes dans le suivi de l'application des lois. Rien n'interdit donc, comme le proposent nos collègues du groupe Socialiste et républicain, d'inscrire le droit de suite du rapporteur dans ce dispositif.

Nous pourrions ainsi trouver une issue favorable à leur proposition, sous réserve de respecter les mécanismes existants et d'être souple, car il ne peut être question d'emboliser les commissions. De même, le droit de suite du rapporteur aurait vocation à alimenter le bilan annuel de l'application des lois, non à s'y substituer. Tous les présidents de commission que j'ai consultés approuvent cette mesure, sous réserve de maintenir de la souplesse.

Par ailleurs, la proposition n° 30 du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle prévoit la possibilité pour les présidents des deux assemblées, soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil d'État afin de contester un retard ou une carence du Gouvernement dans l'application des lois. Cette proposition me semble fondamentale. Aujourd'hui, tout citoyen ayant intérêt à agir peut saisir le Conseil d'État. Pourquoi ne pas ouvrir cette possibilité aux parlementaires ?

Le deuxième volet de la proposition de résolution concerne l'évaluation des lois.

Je rappelle que le Parlement dispose, au titre de l'article 24 de la Constitution, d'une mission plus large d'évaluation des politiques publiques. Cette mission fait d'ailleurs l'objet de nombreuses réflexions.

L'article 9 du projet de loi constitutionnel pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ne change pas la face des choses. Il prévoit, pour l'ordre du jour des assemblées, une fongibilité entre les semaines d'initiative et de contrôle.

Les quarante propositions du groupe du travail du Sénat sur la révision constitutionnelle sont bien plus intéressantes. Elles prévoient notamment un élargissement de la mission d'assistance de la Cour des comptes. Actuellement, seules la commission des finances et la commission des affaires sociales peuvent lui commander des enquêtes thématiques. L'idée serait d'étendre ce droit de tirage à l'ensemble des commissions. En outre, le groupe de travail du Sénat propose d'étendre les prérogatives des commissions permanentes en leur reconnaissant les mêmes pouvoirs d'investigation que les commissions des finances et des affaires sociales. Les membres de chaque commission pourraient procéder à des missions d'évaluation au sein de leur département, au plus près des réalités de terrain.

En matière d'évaluation, beaucoup reste à faire. Le Sénat ayant mis des propositions fortes sur la table, il me semble aujourd'hui prématuré de réviser notre Règlement pour confier un rôle d'évaluation des lois à chaque rapporteur. Comme l'a souligné le président de la commission des finances lors de son audition, l'évaluation doit être un exercice collectif et hiérarchisé. Si le rapporteur du projet ou de la proposition de loi peut y participer, il peut difficilement en être le seul acteur.

En conclusion, je propose de faire droit à la proposition de nos collègues du groupe Socialiste et républicain concernant le droit de suite du rapporteur pour examiner l'état d'application des lois. Je suggère toutefois d'assouplir ses modalités, notamment en prévoyant la possibilité de désigner plusieurs rapporteurs ou des groupes de travail pluralistes.

En revanche, il me paraît préférable de ne pas confier la mission d'évaluation au rapporteur du projet ou de la proposition de loi, dans l'attente des réflexions menées pour renforcer l'évaluation des politiques publiques.

Trois amendements seront soumis à votre appréciation. Le gentlemen's agreement applicable aux textes inscrits dans les espaces réservés implique que ne soient adoptés en commission que les amendements ayant reçu l'accord des auteurs de la proposition de résolution, sachant que nous retrouvons tous notre liberté en séance.

En tout état de cause, la décision que vous prendrez en commission puis en séance restera en « circuit court ». Il n'y aura, par définition, aucune navette, le texte étant directement transmis au Conseil constitutionnel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion