Intervention de Anne-Marie Descôtes

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 avril 2019 à 9h45
Ratification du traité d'aix-la-chapelle — Audition de Mme Anne-Marie deScôtes ambassadrice de france en allemagne sur la relation franco-allemande

Anne-Marie Descôtes, ambassadrice de France en Allemagne :

Merci de votre invitation, dans le contexte de la préparation de la ratification du traité d'Aix-la-Chapelle. Je vous félicite pour l'adoption de la déclaration interparlementaire du 19 mars dernier, qui consolide votre relation, déjà riche, avec le Bundesrat. L'intensification des contacts entre parlementaires aidera à une meilleure compréhension des positions mutuelles - tout comme le développement de l'apprentissage de nos langues respectives, ou le renforcement du rôle des collectivités territoriales, notamment dans les zones transfrontalières. La coopération entre les administrations de vos deux institutions sera aussi développée, ce qui est une bonne idée, très bien reçue du côté allemand.

Cette audition intervient à un moment critique, puisque le Conseil européen se réunit aujourd'hui pour parler du Brexit qui, après deux ans et demi de travaux, devrait avoir une portée considérable, même si Berlin et Paris essaient d'en apprécier, et d'en limiter, les conséquences. Dans ce contexte, la relation franco-allemande revêt une importance particulière, comme le symbolise le traité d'Aix-la-Chapelle. Certains accusent ce texte de manquer d'ambition. Cette critique ne me paraît pas fondée, et le traité a été accueilli favorablement en Allemagne, où seules la gauche radicale et l'AFD l'ont dénoncé. Certaines interprétations fallacieuses qui en ont circulé en France ont été entendues en Allemagne. Nous avons pu rétablir la vérité sur le siège permanent de la France au Conseil de sécurité, sur lequel le traité est très clair - notre position, depuis des années, est de réclamer un siège permanent pour l'Allemagne Après le traité de réconciliation qu'était le traité de l'Élysée, ce texte est, comme l'a souligné le Président de la République à Aix-la-Chapelle, un traité de convergence. Comme on avance plus loin, et sur des sujets plus complexes, des divergences apparaissent, qui réclament une coopération plus étroite pour éviter les malentendus et anticiper les difficultés. À l'ambassade, nous suivons de très près les évolutions et nous préparons la mise en oeuvre du traité, notamment grâce à la présence de diplomates d'échange au ministère allemand des affaires étrangères, et au fait qu'une collaboratrice de l'Ambassade participe aux réunions allemandes sur l'Union européenne - tout comme un diplomate allemand suit ces questions en France. Et, comme en Allemagne chaque ministre est pleinement responsable de son portefeuille, à un point qui peut nuire à la coordination interministérielle, nous nous efforçons de clarifier pour Paris la sensibilité du Gouvernement allemand, et pour les Allemands les perceptions françaises. Je suis pour ma part beaucoup sur le terrain. Nous avons la chance d'avoir encore des consuls généraux, qui sont aux avant-postes pour les collectivités territoriales des zones transfrontalières, celles-ci attendant avec impatience la mise en oeuvre du traité.

Parmi les dossiers principaux figurent les projets communs au sein de l'Union européenne, notamment en matière de politique industrielle et sur le droit de la concurrence, qu'il faut adapter à la mondialisation. Le traité prévoit que la France et l'Allemagne se coordonnent davantage en amont des négociations à Bruxelles et dans la transposition des directives. Aux Nations Unies, la présidence allemande du Conseil de sécurité vient de commencer, en parfaite coordination avec la présidence française, grâce à un important travail de préparation de ces présidences jumelées. Les entreprises attendent avec impatience la mise en place du comité de coopération transfrontalière prévu par le traité, comme je le vois lors de mes rencontres avec les chambres des métiers. Elles souhaitent une meilleure fluidité, non seulement par de nouvelles voies de communication, mais aussi par l'application des règlementations. En ce qui concerne la société civile, outre les questions d'apprentissage de la langue, la création d'un fonds citoyen élargira les possibilités d'échanges. Pour accompagner ce travail, la création de l'assemblée parlementaire franco-allemande est bienvenue, tout comme le renforcement des relations entre le Sénat et le Bundesrat.

Les questions de sécurité et de défense sont au coeur de notre relation. Depuis un an et demi, c'est sur ces sujets que nous avons le plus avancé. Dans le cadre européen, nous avons mis en place la CSP et le fonds européen de défense. Et de grands projets sont entrés dans leur phase opérationnelle, comme je l'ai vu récemment chez Thalès et MTU en Bavière. Les décisions annoncées par le vice-chancelier Olaf Scholz font apparaître une augmentation des crédits de défense moindre que ce qui avait été envisagé. La Chancelière promet qu'en 2024 ils atteindront 1,5 % du PIB, mais l'OTAN et les Américains rappellent que l'objectif est à 2 %. Mon homologue américain m'a d'ailleurs annoncé des pressions plus vigoureuses, car cette position est partagée par toutes les forces politiques aux États-Unis. Mais les sommes en jeu sont considérables...

La Bundeswehr doit dont décider comment dépenser cet argent, et dans quel délai, après des années d'économies dont il faut apprendre à sortir en se projetant vers l'avenir. Mme Von der Leyen est en difficulté pour avoir eu recours à des cabinets de conseil, mais c'était peut-être la seule manière de dépasser les freins et les lenteurs propres à une administration conservatrice et habituée à la parcimonie.

Les questions de défense et d'armement sont évidemment instrumentalisées à des fins de politique intérieure, et nous en pâtissons. En un an d'existence, ce Gouvernement a connu des difficultés. On pouvait s'attendre à ce qu'elles viennent du SPD, qui avait perdu beaucoup de voix en 2017 et semblait devoir tirer vers la gauche la partie du contrat de coalition qui l'intéressait, dans la perspective des élections prévues à l'automne en Hesse. En réalité, le SPD a été discret et loyal, et c'est de la CSU que sont arrivées les tensions, car des élections ont eu lieu en octobre en Bavière, et la CSU voulait y conserver la majorité. En juin et septembre, deux crises ont failli faire exploser la coalition. Finalement, tout est rentré dans l'ordre, moyennant un changement de présidence à la CDU et le choix de Manfred Weber comme Spitzenkandidat pour les élections européennes. La Bavière se concentre dorénavant sur les élections européennes, avec un discours très pro-européen. Et le SPD se profile en fonction des élections européennes, puis des élections d'automne dans les Länder de l'Est. Aussi se concentre-t-il sur des actions sociales, portées par le ministre du Budget, qui sont bien accueillies par l'opinion et par son électorat. Les questions d'armement sont les premières victimes de ces évolutions. On aurait pu espérer que le vice-chancelier Scholz impulse une mise en oeuvre dynamique de la partie européenne du contrat de coalition, mais une certaine prudence a prévalu. La demande d'un moratoire de six mois sur les règles de contrôle des exportations d'armement montre bien l'importance des échéances électorales. Cela n'empêche pas, en coulisses, un travail intense pour trouver des accords avec le Gouvernement, mais la situation est délicate pour la Chancelière.

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