Intervention de Anne-Marie Descôtes

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 avril 2019 à 9h45
Ratification du traité d'aix-la-chapelle — Audition de Mme Anne-Marie deScôtes ambassadrice de france en allemagne sur la relation franco-allemande

Anne-Marie Descôtes, ambassadrice de France en Allemagne :

Son élection a été très serrée : moins de 51 % des voix. Nous la connaissons bien, et elle connaît bien la France. Elle a décidé de faire de la Sarre, dont elle a été ministre-présidente, un Land bilingue d'ici à 2035. Elle avait été plénipotentiaire pour les relations culturelles et l'éducation, et siégeait à ce titre au conseil des ministres. Beaucoup se sont réjouis à juste titre de sa nomination ; j'ai toutefois pour ma part appelé l'attention sur le fait que Mme Kramp-Karrenbauer n'était désormais plus seulement Sarroise mais avant tout présidente de la CDU, pour toute l'Allemagne. Son objectif est de rassembler sa famille politique, après avoir fait ses preuves sur les questions économiques. Elle s'est très vite efforcée de retisser les liens avec la CSU, avec succès.

Ses convictions sont différentes de celles de la Chancelière, qu'il s'agisse de questions de société ou du traitement des migrations - sur lequel Mme Merkel est très critiquée, au point que la perspective qu'elle fasse campagne dans les Länder de l'Est est considérée comme contre-productive. À la conférence de Munich sur la sécurité, elle a eu un entretien avec Mme Parly et M. Etienne. Elle leur a exposé une vision pro-européenne et rigoureuse, puisque le clan de la rigueur a pris le pas dans la CDU. Sa tribune a surpris. Plusieurs de mes interlocuteurs me disent qu'elle n'était sans doute pas assez préparée. Elle n'était pas obligée de revenir sur le siège au Conseil de Sécurité, ni sur Strasbourg...

À nous de faire passer des messages, y compris publiquement. C'est une personnalité qui est dans sa fonction de présidente de la CDU, à deux mois des élections européennes. L'Allemagne a derrière elle une période de très grande santé économique. C'est le pays qui pèse le plus au sein de l'Union européenne, et notamment à travers son poids au Parlement européen. L'enjeu, pour Mme Kramp-Karrenbauer, est de rassembler sa famille, pour emporter les élections avec un PPE uni et éviter que son candidat ait moins de succès que ses prédécesseurs. C'est dans ce but qu'elle a durci son discours.

Nos sociétés sont traversées d'interrogations fortes. L'Allemagne, qui a pensé pendant longtemps que ces évolutions ne la touchaient pas, se rend compte que ce n'est pas le cas. Après les élections de septembre, elle n'a cessé d'affirmer que rien n'avait changé et que les deux grands partis populaires assuraient la stabilité. Si elle prend désormais conscience de la fragmentation qui se fait jour au sein du Parlement européen, elle n'a pas su anticiper ces évolutions, comme en témoigne son étonnement l'an dernier de ne pas voir les représentants du parti de la République en marche rejoindre ceux du PPE. Les Allemands, hormis la présidente de la CDU, n'ont pas compris l'évolution sociale et politique qui était à l'oeuvre en France et qui s'étend désormais à l'Allemagne. En janvier, au moment où le Président de la République lançait le Grand débat, Mme Kramp-Karrenbauer me disait scruter avec attention ce qui se passait en France, pour en tirer des leçons sur les évolutions à l'oeuvre dans son pays. Nous sommes dans une phase d'incertitude, d'autant plus forte en Allemagne que le pays subit depuis deux ans le traumatisme des attaques violentes portées par M. Trump, et celui de la crise de l'automobile et du diesel. Les piliers de la société allemande sont fragilisés, ce qui favorise son repli sur elle-même. Le couple franco-allemand sera-t-il assez solide pour faire face au Brexit et au durcissement qui prévaut en Italie ?

Le Conseil des experts économiques est une instance où les échanges pourront s'inscrire dans un contexte qui transcende les différences culturelles nationales. En Allemagne, même si des questions se posent, la règle de la Schwarze Null entrée dans la Constitution il y a dix ans, perdurera. Le vice-chancelier Olaf Scholz a annoncé qu'il conduirait son parti aux prochaines élections, en assurant qu'il respecterait la Schwarze Null. Les économistes poussent pourtant vers plus d'investissements et recommandent de sortir du carcan de la Constitution destiné à contenir la dette.

Le traité d'Aix-la-Chapelle est parfaitement clair sur le siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Il ne s'agit pas de transformer le siège français en siège européen, mais de faire en sorte que l'Allemagne obtienne un siège permanent.

Quant à la dissuasion nucléaire, elle relève du Président de la République et cette autorité ne se partage pas, chacun en est bien conscient. Si la question se pose parfois dans l'opinion publique, c'est parce que le nucléaire fait peur en Allemagne. Le débat prend des formes baroques dans la presse, et il faudrait le clarifier. Qu'est-ce que la dissuasion nucléaire ? Quelle est la doctrine d'emploi ? Tels sont les enjeux à expliquer. L'attitude de la Russie a évolué, et nous ne pouvons pas ignorer ce débat.

Nous faisons collectivement crédit aux Allemands d'adopter la même logique que nous, alors que ce n'est pas forcément le cas.

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