Madame la présidente, Mesdames les rapporteures, Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs, je suis particulièrement ravie d'être présente parmi vous aujourd'hui pour aborder ce thème qui nous est cher : le développement du football féminin, et notamment du football féminin professionnel.
Je suis convaincue que la France peut devenir la nation qui permette un développement actif du football féminin. Toutefois, ce défi doit être relevé collectivement. Quand je parle de collectif, je pense bien entendu à la FFF, que vous avez déjà reçue à travers les interventions de Mme Jossinet et de Mme Georges. Je vous rappelle que, de manière historique, le football féminin est géré par la FFF et non par la LFP. La FFF est donc en charge du développement de la féminisation du football, aussi bien pour les aspects amateurs que professionnels. La LFP travaille main dans la main avec la Fédération, mais je ne pourrai malheureusement pas intervenir sur de nombreux éléments qui ne dépendent pas de la Ligue mais de la Fédération.
Ce défi doit être relevé collectivement avec les joueuses et les familles qui les accompagnent, c'est-à-dire les entraîneurs et le staff technique. Ensemble, ils font vivre et grandir la pratique du football au féminin partout en France. Il faut également impliquer les partenaires économiques, qui ne sont pas encore suffisamment présents. Une dynamique commence à se créer et nous devons faire en sorte que cette impulsion qui est apparue il y a quelques années se poursuive. Cette démarche a aussi besoin de vous, les élus, qui avez le pouvoir d'insuffler une dynamique nouvelle. L'intérêt que vous démontrez ici, au Sénat, y contribue fortement. Enfin, la LFP doit prendre sa part dans ce processus. Même si nous ne sommes pas en charge du football féminin, je pense que nos clubs, qui ont des équipes masculines et de plus en plus d'équipes féminines, peuvent y contribuer. Tous les présidents de clubs sont désormais sensibilisés au développement du football féminin. Ce qui semblait compliqué il y a quelques années l'est de moins en moins aujourd'hui.
La Coupe du monde se tiendra, comme vous l'avez dit, Madame la présidente, du 7 juin au 7 juillet. Pour notre pays, cet événement représente une étape majeure. Nous sommes convaincus que cela donnera une impulsion qui permettra de parcourir plus rapidement le long chemin qui nous attend. Je parle d'un long chemin, car le bilan que nous pouvons dresser aujourd'hui est en demi-teinte. Certes, le football féminin, amateur comme professionnel, est en plein essor. Il attire en effet de plus en plus de jeunes filles et de femmes. En 2011, la FFF comptait 53 000 licenciées ; elle en recensait 170 000 à l'été 2018. Les derniers chiffres avoisinent les 180 000 ou 190 000 femmes licenciées. Le développement de la pratique est donc important.
J'aimerais partager avec vous une anecdote. J'ai deux garçons, de vingt-et-un et onze ans. À dix ans d'intervalle, ils jouent dans le même club. Lorsque mon fils aîné avait sept ou huit ans, une seule fille jouait dans l'équipe de ce club. Elle jouait avec les garçons, mais elle a dû arrêter à douze ou treize ans parce qu'il n'y avait pas de vestiaires séparés pour les filles. Mon deuxième fils a commencé au même âge et le club compte désormais trois équipes féminines. Nous constatons en dix ans la progression qu'il peut y avoir dans les clubs amateurs.
Concernant le football féminin professionnel, le haut niveau est de plus en plus compétitif. Nous l'avons vu et nous le voyons constamment avec l'OL, qui est le club professionnel féminin le plus titré en Europe avec cinq victoires en Ligue des champions. L'équipe féminine jouera d'ailleurs une nouvelle demi-finale contre Chelsea le 21 avril prochain.
L'équipe de France est troisième au classement mondial de la FIFA. Elle a atteint les quarts de finale lors de la dernière Coupe du monde et des Jeux olympiques de Rio en 2016. En outre, la D1 féminine gagne en visibilité. Les droits télévisuels ont dépassé la barre du million d'euros annuel, soit neuf fois plus qu'en 2011. L'ensemble des matchs dispose d'un diffuseur, ce qui n'était pas le cas auparavant. Pour illustrer cet engouement, j'aimerais souligner que la rencontre PSG-OL de novembre dernier a été retransmise en prime time et suivie par 487 000 téléspectateurs. Il s'agit d'un record d'audience en matière de football féminin.
Ces éléments doivent être remis en perspective avec la jeunesse du football féminin. En effet, la pratique est apparue en France en 1917, mais ce n'est que dans les années 1970 que le football féminin a été internationalement reconnu et intégré au sein de la FFF. Il s'agit donc d'une pratique relativement récente comparée à la pratique masculine.
Cet essor rapide reste néanmoins limité. La pratique du football demeure aujourd'hui majoritairement masculine. Les femmes représentent moins de 8 % du total des licenciés dans le football en France, contre 35 % dans le basket et 48 % dans le volley. De plus, elles sont encore largement absentes du personnel encadrant. En effet, il n'y a presque pas de femmes qui forment, qui entraînent ou qui arbitrent. Cela constitue un enjeu fédéral, notamment lorsque nous savons que le football est le troisième lieu éducatif en France, après la famille et l'école. C'est dans le football que se trouve le plus grand nombre d'éducateurs. Comment se fait-il que les femmes, qui sont très nombreuses dans l'éducation à l'école et à la maison, soient aussi absentes dans ce troisième lieu éducatif ? Il s'agit d'une réelle discussion que nous devons mener. Concernant l'arbitrage, Laura Georges a dû vous expliquer tout ce que la FFF met en place pour développer l'arbitrage féminin.
Ce n'est qu'au début des années 2000 que la France a commencé à investir dans le football professionnel féminin. Cependant, la D1 n'est pas encore intégralement professionnalisée. Elle compte neuf clubs professionnels sur douze. Trois de ses clubs sont donc encore des clubs amateurs. En outre, la D2 est uniquement composée de clubs amateurs. Il existe seulement neuf clubs professionnels féminins en France contre 40 clubs professionnels masculins. Deux de ces clubs dominent largement le championnat et arrivent à émerger sur la scène européenne : l'OL et le PSG. Ces deux équipes sont adossées à des clubs masculins, qui ont beaucoup investi dans leur développement.
Les écarts de salaire sont frappants entre les joueuses et les joueurs de football professionnels. La joueuse professionnelle la mieux payée de D1 gagne environ cent fois moins que son homologue masculin. Le salaire moyen des joueuses oscille entre 1 500 et 3 000 euros par mois, contre en moyenne 75 000 euros par an pour les joueurs qui évoluent en Ligue 1, même s'il existe des disparités importantes entre les joueurs.
Par ailleurs, le club vainqueur de la Ligue des championnes 2019 touchera une prime de 250 000 euros alors que cette prime sera d'un montant de 19 millions d'euros chez les hommes, soit 76 fois plus. Pour comparaison, tous les tournois du Grand Chelem de tennis ont établi la parité entre les prix offerts aux vainqueurs féminins et masculins depuis 2007.
Les affluences dans les stades sont encore faibles. Seule une dizaine de rencontres de D1 attirent plus de 2 000 spectateurs au cours d'une saison. En Ligue 1, la moyenne est supérieure à 20 000 spectateurs par match, soit dix fois plus. Le football féminin souffre donc d'un déficit d'attractivité. Je disais tout à l'heure que les droits télévisuels du football féminin ont atteint un million d'euros annuel. Dans le football masculin, les droits télévisuels du cycle 2020-2024 ont franchi le milliard d'euros. La différence est donc particulièrement importante. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.
Toutefois, la France n'est absolument pas une exception. Tous les pays d'Europe et du monde rencontrent ce même écart entre les pratiques du football professionnel masculin et féminin. Force est pourtant de constater que certains pays sont plus avancés que d'autres en la matière. Je pense notamment aux États-Unis, où le soccer est presqu'exclusivement pratiqué par les femmes. Il s'agit d'un héritage historique. Le football féminin a contribué à améliorer la visibilité du football (soccer) aux États-Unis. Culturellement, les garçons étaient orientés vers le football américain et le basket. Les filles, pour leur part, étaient encouragées à pratiquer le soccer. Cela est lié à la dangerosité de la pratique du football américain, qui engendre notamment des traumatismes crâniens. Il est d'ailleurs intéressant de souligner qu'un nombre croissant de parents orientent désormais leurs garçons vers le soccer pour cette raison. Le soccer n'est donc plus réservé uniquement aux filles et la pratique masculine augmente.
Le modèle professionnel aux États-Unis est différent du système français, puisqu'il existe plusieurs ligues nationales et régionales. En outre, un championnat féminin entièrement professionnel a été créé en 2001. Nous avons donc pratiquement vingt ans de retard sur les États-Unis. L'équipe nationale y est très performante, avec plusieurs victoires en Coupe du monde et des médailles d'or olympiques. Les matchs sont fortement suivis, ce qui nous montre qu'il n'y a pas de fatalité. La dernière finale du Mondial, qui a confronté en 2015 les équipes des États-Unis et du Japon, a été suivie par 25 millions de téléspectateurs américains.
Du côté européen, l'Allemagne compte un million de femmes licenciées, même si la manière de compter les licenciés diffère de celle de la France. Le championnat professionnel allemand est plutôt homogène, avec au moins quatre équipes qui luttent pour le titre chaque année. L'équipe nationale a déjà remporté deux Coupes du monde. La victoire de la Coupe du monde de 2003 a été un élément déclencheur pour susciter des vocations. Par conséquent, si la France remporte une étoile, il est évident que cela participera à la progression du football féminin.
Il serait possible de disserter longuement sur les raisons pour lesquelles le football féminin français n'a pas encore vraiment pris son envol. Je me contenterai d'en évoquer trois.
Je pense qu'il existe en premier lieu un frein culturel. La pratique du football pour les petites filles est récente en France. J'ai 50 ans et j'ai grandi à la campagne. Les petites filles faisaient traditionnellement de la danse à la MJC locale ou du tennis. Le football était réservé aux garçons. Il y a donc un frein culturel, même si les mentalités évoluent. L'autocensure des femmes et des filles vis-à-vis de la pratique du football évolue également.
En outre, j'identifie un frein socioéconomique, car nous n'avons pas suffisamment de sponsors et de diffuseurs qui permettent de développer économiquement la pratique du football professionnel à haut niveau pour les femmes.
Enfin, un frein symbolique persiste. En effet, les petites filles manquent de modèles d'identification. Nous avons Amandine Henry ou Laure Boulleau, mais ces jeunes égéries restent rares.
Il nous reste donc un travail significatif à mener. La Fédération et la Ligue y contribuent, car il est essentiel d'améliorer l'égalité hommes-femmes.