C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant vous ce matin et c'est d'autant plus précieux de le faire en tandem avec Nicolas Roche, car nous travaillons en France dans une cohérence d'ensemble entre politique étrangère et politique de défense, ce qui n'est pas toujours le cas de nos partenaires d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique. Nous pouvons ainsi porter des initiatives et être moteurs dans ces domaines. Nous cherchons d'ailleurs le plus souvent à susciter cette même cohérence chez nos partenaires.
Cette Europe de la défense repose sur trois piliers : la PSDC et ses formes récentes de coopération renforcée, dont Nicolas vient de parler, des initiatives plus pragmatiques portées à plusieurs pays dans et hors UE, et enfin des partenariats bilatéraux. Nous développons ces partenariats bilatéraux sur la base d'une approche diversifiée, qui agrège sans exclusivité différents formats de coopération. Nous avons ainsi des liens privilégiés avec l'Allemagne, le Royaume-Uni, et nous approfondissons d'autres partenariats à travers l'Europe. C'est indispensable, puisque c'est avec l'ensemble de nos partenaires européens que la compréhension des besoins de stabilité stratégique en Europe pourra être définie et que la capacité des Européens à faire plus pour leur défense pourra progresser. Cela passe également, comme je l'ai dit, par des formats plus souples tels que l'initiative européenne d'intervention (IEI) que je détaillerai et qui illustre parfaitement notre volonté d'être à la fois intégrateurs et moteurs. Cette initiative est intégratrice dans la mesure où elle agrège le Danemark, qui bénéficie d'un « opt out » dans le domaine de la PSDC, mais aussi le Royaume-Uni, en plein Brexit.
Revenons sur les partenariats bilatéraux les plus exigeants. Le partenariat franco-allemand a connu le 22 janvier dernier, avec la signature du traité d'Aix-la-Chapelle, une étape majeure dans le renforcement de la coopération franco-allemande. Il concrétise une volonté politique, portée au plus haut niveau, d'approfondir notre partenariat pour une Europe plus forte. Ce texte, dont le chapitre 2 sur la paix et la sécurité est central, pose les jalons d'une relation de défense de long terme. Il introduit une clause d'aide et d'assistance mutuelles sur le double fondement des articles 5 du traité de l'Atlantique Nord et 42.7 du traité de l'Union européenne, ce qui traduit une convergence de nos intérêts de sécurité sur la base d'une confiance et d'une solidarité mutuelles. Sur le plan capacitaire, comme vous le savez, il existe des projets communs ambitieux et structurants, tels que le système de combat aérien du futur (SCAF) et le char de combat futur (MGCS). Sur le plan opérationnel, nous sommes déjà engagés avec l'Allemagne au Sahel, au Levant dans le cadre de la coalition contre Daech, ou encore sur le flanc Est de l'Europe où nos deux pays sont déployés dans le cadre de la présence avancée renforcée en Lituanie, et le seront encore en 2020. Ces concrétisations doivent nous servir de socle pour engager Berlin à se montrer davantage prêt à se déployer en opérations à l'avenir à nos côtés, quel que soit le cadre, même si l'on sait que cela suscite encore certaines réticences aujourd'hui.
Nous devons faire vivre ce traité. L'impulsion politique forte qui a été donnée doit être déclinée dans les faits, ce qui induit de surmonter certaines difficultés. Au titre de nos préoccupations, figurent la diminution du budget de défense allemand et la question du contrôle des exportations qui est cruciale pour l'avenir de notre coopération industrielle et, plus largement, pour notre relation bilatérale de défense. D'importants efforts sont réalisés dans ce domaine pour parvenir à trouver une issue qui soit conforme à l'esprit de confiance inscrit dans le traité d'Aix-la-Chapelle. Les développements politiques internes en Allemagne sont suivis de près, notamment le maintien du SPD ou non au sein de la coalition de gouvernement à la suite des élections régionales qui auront lieu à l'automne dans l'Est du pays.
Enfin, la vitalité du traité d'Aix-la-Chapelle doit se transcrire à tous les niveaux de nos sociétés. Il s'est accompagné d'un accord instituant l'assemblée parlementaire franco-allemande, qui s'est réunie pour la première fois le 25 mars dernier. Ces échanges avec des parlementaires allemands sont essentiels, étant donné le poids majeur du Bundestag dans le processus décisionnel allemand, tant en termes de coopération opérationnelle que de contrôle des exportations, notamment.
S'agissant de l'autre partenariat le plus exigeant que nous avons noué, celui avec le Royaume-Uni, il se caractérise par un contexte difficile en raison des tensions liées au Brexit. Ceci fait peser des incertitudes sur l'outil de défense britannique et notamment sur l'évolution du budget de défense britannique. Qu'il y ait un accord ou non, le Brexit ne devrait pas avoir un impact très fort sur la relation bilatérale, qui est sécurisée par les accords de Lancaster House. Toutefois, il y aura des conséquences indirectes et des irritants bilatéraux tels que la participation britannique au projet européen Galileo par exemple. Il y a également un risque que nos visions stratégiques divergent dans la mesure où le Royaume-Uni embrassera peut-être plus volontiers la position des États-Unis et s'inscrira encore plus fortement dans le cadre de l'OTAN. Le Royaume-Uni doit ainsi accueillir la réunion des leaders de l'OTAN en décembre à Londres. Comme on peut le comprendre, il s'est montré de plus en plus dur et agressif vis-à-vis de Moscou au lendemain de l'affaire Skripal. Il adopte sur les questions cyber une position un peu divergente, sur les questions d'attribution par exemple. Enfin, il développe la volonté du « Global Britain » avec une volonté de compétition avec nous dans certains domaines, comme dans la zone Indo-Pacifique.
Nonobstant tous ces défis, il sera essentiel après le Brexit d'associer étroitement le Royaume-Uni à l'Union européenne, comme l'a rappelé le Président de la République dans sa récente tribune aux citoyens européens. Notre partenariat doit nous permettre d'ancrer le Royaume-Uni qui a pleinement son rôle à jouer dans la sécurité, la stabilité et la défense du continent européen. Cette relation est pour nous structurante en matière de défense : c'est le partenaire qui est le plus proche de nous, c'est un État doté de l'arme nucléaire, disposant d'un siège de membre permanent au Conseil de sécurité, capable d'entrer en premier sur un théâtre d'opération comme on a pu le constater en Syrie avec l'opération « Hamilton ». En 2020, nous célébrerons les 10 ans des accords de Lancaster House. L'objectif pour nous est d'intensifier, pendant cette période de turbulences, le dialogue à tous les niveaux, d'essayer de faire converger nos analyses stratégiques, de développer une compréhension commune de l'évolution et des ambiguïtés des États-Unis, et de continuer à peser ensemble en faveur d'une Europe capable de faire davantage pour sa défense et sa stabilité, et enfin de renforcer notre coopération sur les différents théâtres de déploiement, en Afrique, dans l'Indo-Pacifique. Cela passe aussi par le renforcement de notre action au sein des instances multilatérales et le développement de notre coopération en matière d'armement, qui, pour l'instant, n'est pas à la hauteur de son potentiel. Plus généralement, cet anniversaire sera l'occasion d'affirmer la résilience et la solidité de notre coopération de défense.
Ces deux partenariats exigeants doivent se développer sans exclusivité. Nous réfléchissons et nous agissons pour renforcer tous nos partenariats et liens bilatéraux, notamment au Sud et à l'Est de l'Europe. Nous le faisons en tenant pleinement compte des perspectives et en étant attentifs à la contribution que ces pays, en coopérant avec nous, peuvent apporter à la sécurité européenne. Parmi les exemples que je voudrais citer, on trouve l'Espagne et l'Italie. En Espagne, on voit malheureusement que le budget de défense reste faible. En Italie on a vu les aléas politiques des derniers mois. Mais l'une comme l'autre demeurent engagées à nos côtés en Méditerranée, en Afrique du Nord, au Sahel. La France conduit également avec ces deux pays des coopérations industrielles structurantes et développe une réflexion commune sur ce qu'est l'autonomie stratégique européenne. L'Espagne a rejoint en février dernier le projet SCAF. Côté italien, le partenariat entre Naval Group et Fincantieri se poursuit. Le groupe E4 qui comprenait l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Italie, a joué un rôle moteur au début du lancement de la coopération structurée permanente et continue de représenter un canal privilégié pour continuer de porter ces initiatives.
Nous portons également un fort intérêt pour le Portugal. C'est un pays qui a rejoint l'IEI, c'est un partenaire fiable et privilégié en Afrique. Nous coopérons avec lui dans le Golfe de Guinée.
Enfin, nous travaillons avec des pays qui peuvent être vus comme ayant des positions plus éloignées des nôtres. Je voudrais citer les Pays-Bas. La convergence en matière politique et de défense avec La Haye s'est intensifiée au cours des dernières années, sans doute car notre analyse commune des menaces pesant sur notre continent nous a conduits à resserrer nos liens. Les Pays-Bas participent à l'IEI dont ils accueillent la prochaine réunion ministérielle à l'automne. C'est un pays volontaire et capable militairement ; c'est aussi un pays ultra-marin caribéen, un pays exposé au terrorisme... autant de domaines dans lesquels notre coopération s'est avérée nécessaire. Les Pays-Bas sont traditionnellement proches des États-Unis et de l'Allemagne, mais ils cherchent à diversifier leurs partenariats dans un souci d'autonomie. Ils ont besoin d'un allié capable de les tirer vers le haut du spectre opérationnel tel que la France. Ils étudient notamment la possibilité d'un engagement au Sahel, dans l'opération Barkhane.
Le réengagement de la France en faveur des partenariats bilatéraux se déploie également vers le Nord de l'Europe. Il a été annoncé, et doit être développé et pérennisé.
Je mentionnerai l'espace baltique pour commencer. Il est au coeur de la « bulle » de déni d'accès et d'interdiction de zone russe et revêt un intérêt stratégique pour l'Europe. C'est pourquoi nous contribuons de manière régulière à toutes les activités de l'OTAN dans cette région.
Ces coopérations sont renforcées par des liens bilatéraux étroits, par exemple avec l'Estonie qui contribue, depuis 2018, à l'opération Barkhane, a des capacités précieuses dans le domaine cyber, et partage avec nous des informations sur l'appréciation de la Russie.
C'est aussi la Finlande avec laquelle les relations se sont renforcées parce qu'il y a une convergence de nos visions stratégiques, et parce que ce pays prépare sa présidence du Conseil de l'Union européenne au second semestre 2019. Nous avons de nombreux points communs.
Le Danemark, de la même manière, est un des rares pays impliqués en permanence en opérations, qui témoigne de la volonté d'utiliser ses forces spéciales et ses forces conventionnelles sur différents théâtres et qui se rapproche de nous.
Il est intéressant de noter que l'exemplarité française, l'engagement opérationnel français, les lignes politiques défendues par la France pour soutenir l'Europe de la défense, sa capacité à être force de proposition, encouragent ces pays à se rapprocher de nous et à trouver un intérêt à s'ancrer à nous pour construire davantage d'autonomie nationale et européenne même si, dans les discours, la terminologie que nous employons suscite parfois des questions et des doutes, la crainte étant de ne pas crisper le partenaire américain.
J'en viens à l'Europe centrale, avec laquelle nous avons une histoire commune. Nous partageons avec la République tchèque et la Slovaquie une vision pro-européenne qu'ils portent au sein du groupe de Viegrad. Je me rendrai bientôt à Bratislava pour une réunion du V4 avec l'Allemagne. Nous essayons de revigorer ce format de discussion de façon à ce que la Pologne et la Hongrie rejoignent peut-être des vues davantage européennes.
Dans les Balkans, le Président de la République a souhaité renforcer significativement nos efforts et nous sommes en train de décliner la stratégie qui a été adoptée.
Le dernier format est celui de l'Initiative européenne d'intervention (IEI). Nous sommes les derniers, après les Allemands qui avaient développé le concept de nation-cadre, après la JEF britannique et d'autres formats multilatéraux, à avoir proposé une initiative qui reflète notre culture, nos appétences, nos objectifs opérationnels. Ce sont aujourd'hui dix pays militairement capables et politiquement volontaires qui sont prêts à prendre davantage de responsabilités à l'international. Cette initiative n'a pas vocation à être une nouvelle construction institutionnelle. C'est une avancée pragmatique, qui doit créer des réflexes opérationnels entre des pays affinitaires, connecter davantage les appareils militaires, créer une convergence des cultures stratégiques, le partage de doctrines et de renseignement, ouvrir des canaux et des points de contact pour permettre in fine une meilleure coordination opérationnelle, une meilleure réactivité et une meilleure interopérabilité pour agir où que ce soit, dans quelque format que ce soit : Union européenne, OTAN, coalition ad hoc.